Actes de la recherche en sciences sociales L'âne qui peint avec sa queue Borona

Actes de la recherche en sciences sociales L'âne qui peint avec sa queue Boronali au Salon des Indépendants, 1910 Monsieur Daniel Grojnowski Citer ce document / Cite this document : Grojnowski Daniel. L'âne qui peint avec sa queue . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 88, juin 1991. Les avant-gardes. pp. 41-47; doi : https://doi.org/10.3406/arss.1991.2980 https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_88_1_2980 Fichier pdf généré le 22/03/2019 Résumé L'âne qui peint avec sa queue. Fondé en 1884, le Salon des Artistes indépendants n'a pas de jury, il est ouvert à quiconque souhaite soumettre son oeuvre au jugement du public. En 1910 Roland Dorgelès, jeune journaliste, veut dénoncer la déconsidération qui résulte de ce libéralisme. Il veut aussi tourner en dérision les audaces des écoles nouvelles (Fauvisme, Futurisme) et les étrangetés que la critique du temps impute aux étrangers. Pour mystifier les amateurs, il expose un "Coucher de soleil sur l'Adriatique" que le catalogue attribue à J.R. Boronali et dont un constat d'huissier, publié dans un magazine, atteste qu'il a été fabriqué par un âne. La lecture de la presse qui commente cette "farce de rapin", montre que celle- ci n'a pas fait rire tout le monde. Car elle met en question la "valeur" que chacun attribue à l'oeuvre d'art. Resumen El asno que pinta con su cola. Fundado en 1884, el Salón de los Artistas independientes carece de jurado, esta abierto a quienquiera que desee someter su obra al juzgamiento del público. En 1910 Roland Dorgelès, este joven periodista, quiere denunciar la desconsideración que resulta de ese liberalismo. También desea hacer burla de las osadias de las nuevas escuelas (Fauvismo, Futurismo) y las extrañezas que la crítica del tiempo imputa a los extranjeros. Para mistificar los aficionados, expone un cuadro, "La puesta del sol sobre el Adriático" ("Coucher de soleil sur l'Adriatique") que el catalogo atribuye a J.R. Boronali acerca del cual un acta de ordenanza fué publicado en una revista, atestando que habia sido fabricado por un asno. La lectura de la prensa que comenta esa "farza de pintorzuelo", muestra que esta no hizo reir a todo el mundo. Pues cuestiona el "va-lor" que cada uno atribuye a la obra de arte. Zusammenfassung Der mit dem Schwanz malende Esel. Der 1884 gegrundete Salon des Artistes indépendants [Salon der Unabhängigen Künstler] verfügt über keine Jury ; er steht jedem offen, der sein Werk dem Urteil der Öffentlichkeit aussetzen möchte. 1910 will Roland Dorgelès, ein junger Journalist, den durch diesen Liberalismus beförderten Mißkredit, wie er meint, anprangern und zugleich die Anmafiungen der neuen Schulen (Fauvismus, Futurismus) wie auch die von der zeitgenössichen Kritik den Ausländern zugeschriebenen Absonderlichkeiten ins Lächerliche ziehen. Zur Verulkung der Kunstliebhaber stellt er ein Gemälde "Sonnenuntergang an der Adria" aus, das der Katalog J. R. Boronali zuschreibt, das aber laut einem amtlichen Protokoll, das in einer Zeitschrift veröffentlicht wird, von einem Esel fabriziert wurde. Eine Analyse der Pressekommentare zu dieser "Malerfarce" belegt, daß diese keineswegs alle Welt zum Schmunzeln gebracht hat. Legt sie doch den "Wert" in Zweifel, der generell einem Kunstwerk zuerkannt wird. Abstract The Donkey that Painted with its Tail. The Salon des Artistes independants, founded in 1884, had no selection panel and was open to anyone who wanted to offer his work to the judgement of the public. In 1910, a young journalist, Roland Dorgeles, sought to denounce the lack of esteem which resulted from this liberalism. He also wanted to ridicule the audacities of the new schools (Fauvism, Futurism) and the oddities which the criticism of the day attributed to foreigners. To mystify the amateurs, he exhibited a "Sunset over the Adriatic" which the catalogue attributed to J.R. Boronali and which a court official's testimony, published in a magazine, declared to have been painted by a donkey. A reading of the press which comments on this "art student's joke" shows that the joke did not amuse everyone. For it called in question the "value" that everyone attributes to works of art. daniel grojnowski LANE QUI PEINT tourne le dos à une toile posée sur le sol : sur sa queue a été attaché un pinceau ; à l'arrière-plan six joyeux drilles masqués (dont une femme, la muse de cet amusement) lèvent leur verre pour célébrer l'événement. La seconde montre l'âne, le mufle à ras du sol, qui paraît scruter son œuvre. Ces "preuves irréfutables" font savoir que le nom de Boronali camoufle par anagramme celui de maître Aliboron. Par ces révélations un plaisantin met les rieurs de son côté, la manifestation artistique est tournée en dérision. L'affaire Boronali - l'histoire de l'âne qui peint avec sa queue -jouit d'une renommée mondiale. En mai 1912 à Moscou Larionov et Gontcharova intitulent leur exposition à l'Ecole des Beaux-Arts "la Queue de l'âne".' En juin 1928 Alejo Carpen tier évoque dans une revue cubaine, Carteles, la vogue des ismes à Montparnasse où on s'amuse à attacher un pinceau à la queue d'un âne. Plus récemment dans les années 60, Nikita Khrouchtchev, visitant une exposition de peinture "moderne", déclarait ne discerner que les traces d'une queue d'âne promenée sur les toiles. Le scandale qui en 1910 occupe l'avant-scène de l'actualité parisienne est de nature quelque peu bâtarde. II illustre les grandes mystifications de l'histoire de l'art : le "coucher de soleil" de Boronali a été l'une des pièces remarquées de l'exposition "Le faux dans l'art et dans l'histoire", qui eut lieu au Grand Palais en 1955. Il illustre également les railleries de la Belle Epoque envers l'art d'avant-garde : au demeurant les plaisanteries qui visent la nouvelle peinture constituent de longue date l'un des poncifs de la presse satirique. Mais surtout il s'inscrit dans les débats dont l'institution picturale est alors le siège. Tandis que les critiques choisissent leur camp, le Salon des Indépendants ou le Salon d'Automne s'opposent violemment à la Société des artistes français ou à la Société nationale des Beaux-Arts. Ils s'efforcent, contre ces dernières, de conquérir une légitimité qui ne leur revient pas de droit. Les controverses ont pour enjeu le pouvoir, celui d'accorder aux œuvres une valeur symbolique et marchande. L'argus de presse conservé dans les archives de la Société des artistes indépendants comporte plus d'une centaine d'articles et de comptes rendus. Ils proviennent des sources les plus diverses, ce qui permet d'analyser pour ainsi dire "sur le vif un événement qui appartient à un passé déjà lointain. Ils en éclairent les différentes facettes : l'intention comique d'un instigateur, l'objet risible mis en circulation, la réception à laquelle il donne lieu. On est ainsi en AVEC SA QUEUE BORONALI AU SALON DES INDEPENDANTS, 1910 mesure de comprendre pour quelles raisons et selon quelle logique s'établit - ou non - la relation rieuse. Car l'intention comique a beau solliciter le rire, elle le provoque de manière aléatoire. Selon qu'elle le déclenche ou non, elle refuse au tableau le statut d'oeuvre d'art ou se trouve dans l'obligation de le lui accorder. Les faits Rappelons les faits tels qu'ils ont été rendus publics à l'époque par Roland Dorgelès et tels qu'il les a rapportés près de quarante ans plus tard, dans un recueil de souvenirs, Bouquet de bohème (1). A 24 ans ce Montmartrois frais émoulu de l'Ecole des Beaux- Arts décide de mystifier les organisa- teurs et le public des Artistes indépendants. Il commence par communiquer à la presse un "manifeste de l'excessivisme". Puis il fait confectionner par l'âne du père Frédéric, le patron du cabaret "Le Lapin agile", un tableau qu'il expose en mars 1910 au 26e Salon des Indépendants. L'œuvre est attribuée à J. R. Boronali, peintre italien né à Gênes. Des comptes rendus paraissent dans la presse. Dorgelès prend prétexte d'une remarque mitigée du Matin pour faire éclater le "scandale". Dans la dernière semaine de mars, à la date du 1er avril, Fantasio publie des documents qui relatent la préparation du canular. Un constat d'huissier nomme les protagonistes. Deux photographies accompagnent l'article. La première montre l'âne qui l-R. Dorgelès, Bouquet de bohème, Paris, A. Michel, 1947, ch. XI. Rapporté près d'un demi-siècle après coup, l'événement n'est pas dénaturé par son instigateur qui, selon toute probabilité, dispose d'un dossier documentaire. Il est toutefois recomposé en récit exemplaire. Une brève enquête fait apparaître des contradictions ou des omissions dignes d'intérêt. Elles signalent les soubassements d'une légende dont on ne perçoit depuis longtemps que la pointe visible et risible. - Le témoignage de Dorgelès et le constat d'huissier mentionnent une toile confectionnée par l'âne du père Frédé. Le catalogue des Indépendants en indique trois sous les numéros 604, 605 et 606. A celle qui s'intitule "Et le soleil s'endormit" en sont adjointes deux autres : "Sur l'Adriatique" et "Marine", qui n'ont jamais été exposées ni sans doute produites (2). Les trois titres composent un ensemble cohérent par leur référence à un genre pictural et à l'art italien (un des prénoms de Boronali est Raphaël). - Sur la trentaine de salles du Salon des Indépendants de 1910 l'une au moins (la 22) est réservée aux artistes humoristes : c'est là qu'expose Boronali. La plaisanterie de Dorgelès ne relève donc uploads/s3/ l-x27-ane-qui-peint-avec-sa-queue-grojnowski-daniel.pdf

  • 51
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager