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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=LPM&ID_NUMPUBLIE=LPM_020&ID_ARTICLE=LPM_020_0115 L’art de l’après-guerre à Beyrouth par Sarah ROGERS | Actes Sud | La pensée de midi 2007/1 - N° 20 ISSN | ISBN 2742765212 | pages 115 à 123 Pour citer cet article : — Rogers S., L’art de l’après-guerre à Beyrouth, La pensée de midi 2007/1, N° 20, p. 115-123. Distribution électronique Cairn pour Actes Sud. © Actes Sud. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. L’ART DE L’APRÈS-GUERRE À BEYROUTH | 115 SARAH ROGERS * L’art de l’après-guerre à Beyrouth L’artiste libanais contemporain serait-il l’historien critique de sa société ? * Sarah Rogers prépare actuellement une thèse de doctorat en architecture à l’Institut de technologie du Massachusetts sur “Les artistes de l’après-guerre dans les racines historiques d’un Beyrouth cosmopolite”. Elle a publié des essais et des articles dans différentes revues, dont Parachute, Jusoor, Arte East on Line ou encore Arab Studies Journal. (1) Pour connaître ses activités et ses publications, consultez le site www.ashkalalwan.org (Toutes les notes sont de l’auteur.) I. En apparence, l’art et la guerre ne font pas bon ménage. L’art produit tandis que la guerre, en dépit de ses meilleures inten- tions, détruit. Pourtant, l’histoire de l’art nous a montré que le processus artistique, en règle générale, se nourrit aussi de la guerre. Au pire, on risque de tomber dans la propagande ; dans le meilleur des cas, l’artiste émet une pensée critique. Quelque part entre les deux se trouve la possibilité de transformer la vio- lence en un objet de contemplation esthétique. Durant les dix dernières années, Beyrouth est devenue un ter- rain fertile pour la production artistique. Peu après que l’accord de Taïf de 1989 a officiellement mis fin à presque vingt ans de violence, le gouvernement a lancé un projet destiné à faire rega- gner au Liban son titre de “Suisse du Moyen-Orient”. Ce pro- gramme économique, qui repose sur un système de laisser-faire hérité du mandat français, va de pair avec des tentatives indivi- duelles et collectives pour reconstruire, grâce à la culture, une société civile morcelée. Parmi ces efforts, l’initiative d’Ashkal Alwan, l’Association libanaise pour les arts plastiques(1), a connu un remarquable succès. Depuis sa première exposition publique d’art en 1995, qui s’est tenue dans le jardin de Sanayeh, cette association a essaimé. Le festival international “Home Works” qu’elle organise montre des œuvres d’art plastique, des films, des vidéos, propose des conférences, des événements pour la sortie d’un livre, des interventions artistiques et des performances. En 2006, le théâtre Masrah Al Madina, plein à craquer, a accueilli à cette occasion des centaines de personnes. Pour cette troisième édition, le festival et son association tutélaire ont acquis une envergure régionale et même internationale. De plus, Ashkal Alwan n’a pas été la seule à s’efforcer de créer un lieu d’échange conséquent pour les pratiques artistiques expérimentales. Pendant quelques années, de 1997 à 2001, Elias Khoury et Pascale Feghali ont organisé le festival Ayoul. Par ailleurs, en 1997, Fouad El Khoury, Samer Mohdad et Akram Zaatari ont créé les Archives de la photographie, ou Fondation arabe pour l’image, qui est à l’origine de plusieurs expositions itinérantes et de publications(2). Ces trois organismes à but non lucratif ont travaillé avec zèle et créativité, en collaboration avec les galeries locales et les centres culturels, afin de promouvoir un système de soutien aux formes d’art émergentes. Compte tenu de la double réputation de Beyrouth, violente et cosmopolite, les critiques et les commissaires d’exposition ont afflué du monde entier. La scène artistique de la ville a depuis lors agrémenté les pages de Flash Art, de la revue d’art Parachute, d’Art Forum International et du New York Times, et la liste des expositions auxquelles elle a été invitée comprend la Documenta (1997), la 116 | BEYROUTH XXI e SIÈCLE (2) La Fondation Arabe pour l’Image a organisé plusieurs expositions, présentées dans la région et ailleurs dans le monde, et a publié les catalogues correspondants, dont Histoires intimes, 1900-1960 (1998), Portraits du Caire (1999), The Vehicle : l’importance du véhicule dans l’imaginaire photographique arabe (1999), Mapping sitting (2002) et Hashem El Madani (2004). Des extraits de la collection sont consultables en ligne sur le site www.fai.org.lb Biennale de Venise (2003), DésORIENTation : artistes arabes contemporains du Moyen-Orient à la Maison des cultures de Berlin (2003) et enfin Out of Beirut à la Modern Art Oxford (2006). De plus, Christine Tohmé, la directrice d’Ashkal Alwan, a conçu des manifestations pour le centre artistique Borusan d’Istanbul (2000), pour la galerie Townhouse du Caire (2001), pour VideoBrasil à São Paolo et pour le Festival international de théâtre de Londres (2004). Au cœur de ce dispositif se trouve un groupe d’artistes parfois amis – appelé “la génération d’après-guerre” – dont le travail a pour point commun un intérêt critique pour la guerre, ses his- toires et ses souvenirs. Certains se sont formés à l’étranger, tan- dis que d’autres ont pris part à la guerre, à des degrés divers ; plusieurs n’ont aucune formation en arts plastiques. Depuis le démarrage de l’association Ashkal Alwan au début des années quatre-vingt-dix, ces artistes ont grandi avec elle, avec le festival Ayoul et la Fondation arabe pour l’image en se soutenant mutuel- lement, et beaucoup sont devenus des artistes maison : Tony Chakar, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Lamia Joreige, Bilal Khebeiz, Rabih Mroué, Walid Raad, Walid Sadek, Lina Saneh, Jalal Toufic, Akram Zaatari. La liste peut s’allonger ou se raccour- cir : elle inclut parfois Ziad Abillama, Ali Cherri, Paola Yacoub et Michel Lasserre, Marwan Rechmaoui et Jayce Salloum. Leur travail converge autour d’un noyau central d’enjeux spé- cifiques à la Beyrouth d’après-guerre, mais qui ont également cours dans le monde de l’art contemporain : la mémoire, l’his- toire et les archives. Prenons par exemple une série de projets de Walid Raad, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, dans les- quels ils racontent le parcours d’historiens, de photographes, de martyrs et d’otages imaginaires. Réunissant des documents inventés de toutes pièces et des documents d’archives relatifs à la guerre, ils présentent les matériaux visuels (photographies, vidéos et albums de coupures de presse) comme des éléments trouvés, dotés d’un titre et classés sans tenir compte de leur véracité his- torique. Les critiques ont comparé leur pratique à une activité clandestine se déroulant dans les ténèbres de la ville, à la fois parce que ces artistes utilisent des médias éphémères (performances ou interventions inattendues dans l’espace urbain) et en raison L’ART DE L’APRÈS-GUERRE À BEYROUTH | 117 du manque de soutien durable des pouvoirs publics pour ces médias envers ce type d’art(3). Sans parler de nostalgie pour une avant-garde contemporaine, un tel succès révèle que plus de quinze années de guerre civile ont engendré l’un des mouve- ments artistiques les plus remarquables de la région. L’idée de la violence comme force de régénération sur le plan culturel n’est pas propre à l’histoire de l’art. Même si les impli- cations d’une telle analyse de la guerre sont optimistes et en même temps profondément problématiques, le but de cet article n’est pas de trancher en faveur de l’une ou de l’autre. Ce n’est pas non plus, et j’espère y être parvenue, d’offrir une version à peine retravaillée des arguments convaincants développés ailleurs(4) pour dépeindre la génération d’après-guerre. Ce que je souhaite démontrer, c’est que ce travail assigne à l’artiste un rôle nouveau : celui d’historien critique. M’appuyant sur l’étude succincte de quatre projets, j’entreprendrai de cerner les moyens par lesquels les artistes déploient des stratégies plastiques comme une sorte de reflet critique du passé proche. En guise de conclusion, j’en- visagerai brièvement comment les réactions artistiques à la guerre récente entre le Hezbollah et Israël diffèrent, dans la mesure où les conditions du conflit sont inscrites dans le processus même de la production de l’œuvre. 118 | BEYROUTH XXI e SIÈCLE (3) Cf. Stephen Wright, “Tel un espion dans l’époque qui naît : la situation de l’artiste à Beyrouth aujourd’hui”, dans Parachute, n°108, 2002, p. 13-31, et “Territoires de la différence : extraits d’un échange de courriels entre Tony Chakar, Bilal Khbeiz et Walid Sadek”, dans Out of Beirut, Modern Art Oxford, Oxford, 2006, p. 57-64 ; cf. Simon Harvey, “Infiltrations dans l’image de Beyrouth”, Out of Beirut, op. cit., p. 36-40. Ce tableau est bien entendu déjà pour une part périmé en raison de l’attention des média régionaux et internationaux (4) Cf. Kaelen Wilson-Goldie, “Creuser pour trouver du feu : pratiques artistiques contemporaines dans le Liban d’après-guerre”, mémoire de master inédit, uploads/s3/ l-x27-art-de-l-x27-apres-guerre-a-beyrouth.pdf

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