Circuit Document généré le 29 août 2017 07:14 Circuit Le circuit du désir music

Circuit Document généré le 29 août 2017 07:14 Circuit Le circuit du désir musical : L’interprète, le compositeur, l’auditeur — organes et instruments Bernard Stiegler et Nicolas Donin Interpréter la musique (d’)aujourd’hui Volume 15, numéro 1, 2004 URI : id.erudit.org/iderudit/902340ar DOI : 10.7202/902340ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 1183-1693 (imprimé) 1488-9692 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bernard Stiegler et Nicolas Donin "Le circuit du désir musical : L’interprète, le compositeur, l’auditeur — organes et instruments." Circuit 151 (2004): 41–56. DOI : 10.7202/902340ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2004 Le circuit du désir musical L'interprète, le compositeur, Vauditeur — organes et instruments Bernard Stiegler Entretien avec Nicolas Donin1 NICOLAS DONIN : Il se cache souvent, derrière les comparaisons ou les opposi­ tions entre interprète et compositeur, un antagonisme plus profond : l'inter­ prète serait reproducteur et le compositeur, producteur. Reprendrais-tu ces termes si tu devais à ton tour les définir Fun par rapport à l'autre ? BERNARD STIEGLER : est avant toute autre chose un interprète qui, parfois, ne se sait pas interprète. Il faut distinguer l'interprète de l'instrumentiste. Si le compositeur n'a pas affaire à un instrument, il est cependant inscrit dans une organologie musicale que l'on a (bien à tort) réduite jusqu'ici à celle des instru­ mentistes — à ce que l'on appelle en général la lutherie. L'écriture, dans le sens que je tente de conférer à l'organologie (que je dis alors « élargie »), fait partie d'un système technique de la musique dont les instruments ne sont que des aspects et bien sûr, les tout premiers aspects. Le compositeur a des techniques d'écriture, des règles d'écriture, il est inscrit dans une histoire de l'écriture constituée de textes qu'il interprète, et qui hantent ses oreilles comme attentes d'un avenir de la musique, tout entières tramées par le passé de la musique. À partir d'une cer­ taine époque, ces attentes peuvent devenir celles de ruptures, inscrites cependant dans ce que j'appelle, avec Simondon, un processus d'individuation psychique et collective. Ces attentes, ces expectations au sens de Leonard B. Meyer, ce ne sont pas simplement des attentes individuelles : ce sont celles d'une époque. C'est en cela qu'il faut élargir la pensée de Meyer, par exemple, aux expectations 1. Ce texte a été réalisé, à partir d'un entretien par courriels, de février à mai 2004. d'un nous musical, un peu comme Bernard Lortat-Jacob tente de le penser avec la musique sarde. Quant au compositeur, il a accès à des corpus de « litté­ rature » musicale dans les conditions non temporelles et spatialisées qu'a si bien décrites Hugues Dufourt, en sorte qu'il constitue non seulement un savoir de la musique, mais bien une connaissance de celle-ci. C'est en cela que l'on aurait tendance à éliminer la dimension interprétative, on pourrait être tenté de voir dans ce que l'on appelle l'écriture savante de la musique un processus de décou­ verte plutôt que d'interprétation, et, en cela, de libération de l'histoire. Cependant, un tel point de vue est une illusion : lorsqu'il écrit, qu'il le sache ou pas, un compositeur ne fait qu'écrire ce qu'il a entendu, et il ne s'agit d'ailleurs pas nécessairement de ce qu'il a entendu dans la musique savante, ni même dans la musique. Un musicien, c'est quelqu'un qui d'abord entend, c'est-à-dire qu'il est primordialement affecté par l'oreille, une oreille qui a cependant des yeux et des mains, et un corps qui les relie. Il ne se contente pas de calculer. Il peut calculer, il doit même calculer, mais s'il le fait, c'est pour donner à entendre ce qu'il a lui-même entendu comme l'incalculable même. Ceci s'inscrit dans un circuit du désir qui se constitue comme un tissu d'excla­ mations. Ces exclamations sont toujours à retardement, elles sont les échos plus ou moins lointains, par exemple, de Monteverdi, Mozart, Beethoven, Mahler, Webern ou Stravinsky, qui sont autant de coups reçus par une oreille qui les rend en composant, des « coups de boutoir dans tous les sens » comme disait Artaud, et ces contre-dons peuvent avoir lieu à l'occasion d'autres coups, d'autres chocs, d'autres affects qui ne sont pas nécessairement de nature musi­ cale : une femme, un sourire, un poème de Celan, comme dans une pièce récente d'Hector Parra2, le cinéma, comme chez Olga Neuwirth. Ce peut être aussi une inspiration musicale radicalement non savante, comme Aphex Twin pour Andrea Cera. Lorsque le compositeur écoute ou regarde ou lit quelque chose, par exemple, ça se traduit par des choses qu'il entend, ainsi de Debussy quant à L'après-midi d'un faune. Cette « traduction » peut avoir lieu très en dif­ féré, comme le dit Klee à propos de sa peinture comme mémoire tardive du voir. Mais toute sensibilité noétique (c'est ainsi qu'Aristote caractérise les âmes des humains) est ainsi affectée, et elle ne constitue son affect qu'en l'extério­ risant dans un circuit qui est aussi une «différance», au sens de Derrida. Cependant, le compositeur le fait depuis les affections primaires (pour lui en tant que musicien) qu'auront été dans la constitution de son oreille les œuvres musicales écrites qu'il a étudiées et qu'il interprète, au-delà de la nécessaire connaissance qui lui permet de « s'exprimer », c'est-à-dire ici d'écrire et de composer. Le compositeur a donc un organe auditif ou, disons, un appareil d'écoute, qui a besoin de se traduire sous la forme de ce que j'appelle, dans un 2. Strette ( 2 0 0 3 ) pour soprano, électronique et vidéo en temps réel. texte que je viens d'écrire5, la forme exclamative, c'est-à-dire qu'il a besoin de spatialiser et de temporaliser son écoute, en sorte que celle-ci devient immé­ diatement une écriture. J'ai dit ailleurs que lire c'était écrire, et qu'écrire c'était toujours lire. De même, Cézanne dit de la montagne qu'il ne la voit que dans la mesure où il est capable de la montrer. Schubert, Pauset l'entend dans la mesure où il le donne à entendre, ce qui est aussi une démesure. Quant à l'interprète, au sens habituel du terme, c'est-à-dire l'instrumentiste, ce n'est pas quelqu'un qui reproduit. L'interprète ne reproduit rien, sauf à dire que toute production, toute création, toute corn—position est toujours déjà une repro—duction. Non pas une re—production qui supposerait qu'il y a d'abord une production puis ensuite une reproduction, mais bien une repro—duction où la « duction » est ce que donne la répétition, une répétition originaire : il n'y a pas de musique, il n'y a pas d'art en général hors d'un horizon de répétition. Cet horizon de répétition est, par exemple, la répétition de la gamme que le pia­ niste ou l'instrumentiste fait sur son instrument, c'est la répétition des tonalités, ou des règles d'atonalité, et c'est l'ensemble extrêmement riche et varié des rétentions secondaires collectives qui caractérisent l'histoire et la géographie de la musique mondiale. La rétention et la protention sont les concepts par lesquels Husserl spécifie l'objet temporel qu'est, par exemple, une mélodie. Un tel objet temporel est constitué par le temps de son écoulement, que Husserl nomme son flux. Il n'apparaît qu'en disparaissant : c'est un objet qui passe. La conscience est éga­ lement temporelle en ce sens. Un objet temporel est constitué par le fait que, comme les consciences dont il est l'objet commun, il s'écoule et disparaît à mesure qu'il apparaît. Un « je » est une conscience consistant en un flux tem­ porel de ce que Husserl appelle des « rétentions primaires » : la rétention pri­ maire est ce que la conscience retient dans le maintenant du flux en quoi elle consiste. C'est, par exemple, la note qui résonne dans une note présente à ma conscience comme point de passage d'une mélodie, et où la note précédente n'est pas absente, mais bien présente, parce que maintenue dans et par le main­ tenant : elle constitue la note qui la suit en formant avec elle un rapport, l'inter­ valle. C'est aussi le mot que je viens de prononcer ou d'écrire et qui retient primairement le mot qui le précède pour constituer le sens d'une phrase, qui retient elle-même la phrase précédente pour constituer l'unité de mon dis­ cours, etc. Comme phénomènes que je reçois aussi bien que comme phéno­ mènes que je produis (une mélodie que je joue ou entends, une phrase que je prononce ou entends, une séquence de gestes ou d'actions que j'accomplis ou que je subis, etc.), ma vie consciente consiste essentiellement en de telles réten­ tions. Or, ces rétentions sont des sélections : je ne retiens pas tout ce qui uploads/s3/ le-circuit-du-desir-musical 1 .pdf

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