E. Benveniste L'expression du serment dans la Grèce ancienne In: Revue de l'his
E. Benveniste L'expression du serment dans la Grèce ancienne In: Revue de l'histoire des religions, tome 134 n°1-3, 1947. pp. 81-94. Citer ce document / Cite this document : Benveniste E. L'expression du serment dans la Grèce ancienne. In: Revue de l'histoire des religions, tome 134 n°1-3, 1947. pp. 81-94. doi : 10.3406/rhr.1947.5601 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1947_num_134_1_5601 L'expression du serment dans la Grèce ancienne C'est un fait singulier qu'il n'y ait pas en indo-européen d'expression unique pour « jurer » et « serment », alors que l'usage du serment est mentionné dès les premiers monuments littéraires. A une pratique aussi ancienne et constante on peut s'étonner que ne réponde pas de terme consacré dans ce voca bulaire religieux qui nous est attesté par tant de communes survivances. En fait chaque langue use d'une expression diffé rente1 ; même deux langues aussi voisines que le latin et l'osque divergent, l'osque employant deiua-, le latin, iurare. Et quand on a établi que « jurer » se disait en hittite lingâi-, il a fallu ajouter un verbe nouveau à une liste qui comprenait déjà autant de termes qu'il y a de langues. Mais ce désaccord même est instructif, plus peut-être que ne le serait une dénomination unique. Il enseigne la diversité des représentations auxquelles donnait lieu un phénomène dont nous sommes plus enclins à dégager la signification constante qu'à décrire les formes spécifiques. Ici peuvent se confronter utilement les vues du théoricien moderne qui ramène des manifestations distinctes à une structure d'ensemble, et les conceptions toujours particulières inhérentes aux expressions de chaque langue. Il y a à cette diversité une raison générale. C'est qu'en dépit des apparences, le serment n'est pas une institution définie par sa fin et son efficacité propres. C'est une modalité particulière d'assertion, qui appuie, garantit, 1) On trouvera une revue des principales expressions chez Schrader-Nehring Reallex., s. v. Eid. 4 82 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS démontre, mais ne fonde rien. Individuel ou collectif, le se rment n'est que par ce qu'il renforce et solennise : pacte, enga gement, déclaration. Il prépare ou termine un acte de parole qui seul possède un contenu signifiant, mais il n'énonce rien par lui-même. C'est en vérité un rite oral, souvent complété par un rite manuel de forme d'ailleurs variable. Sa fonction consiste non dans l'affirmation qu'il produit, mais dans la relation qu'il institue entre la parole prononcée et la puissance invoquée, entre la personne du jurant et le domaine du sacré. Quelle est cette relation et comment doit-elle s'interpréter ? On ne peut l'inférer que d'une analyse comparée des expres sions et des usages. Ici les témoignages linguistiques, positifs ou négatifs, prennent leur valeur. La situation en iranien peut servir d'exemple. On serait en peine de trouver en iranien ancien un mot propre pour « se rment ». Un terme'tel qu'avest. âstuiti- indique plutôt le fait de se déclarer solennellement (â-slav-) pour un dieu, de se vouer à lui. L'absence d'un mot aussi nécessaire peut surprendre. Mais il faut observer qu'en fait le serment est implicite dans l'engagement mutuel que le dieu Mithra, personnifie et qui est appelé aussi mibra ; celui qui trompe Mithra est aussi celui qui manque au serment, miftrô. drug-. Or, au cours de l'histoire," les données du problème changent complètement. A partir du moyen-iranien il s'instaure des expressions constantes qui subsistent désormais en persan et ont été adoptées dans tous les parlers actuels : pers. sowgand « serment », sowgand xordan « jurer », litt. « manger (ou boire) le sowgand ». Le terme sowgand, dont la signification propre est abolie en persan, s'explique par la forme av. saokdnta- « soufre ». Pour découv rir un coupable, on lui faisait, entre autres épreuves, « boire l'eau soufrée ». Si cette expression ne signifie plus que «prêter serment », c'est en vertu de la liaison de fait que l'usage établis sait entre la parole jurée et un certain rite, qui est un rite d'or dalie. Il s'agit donc du serment judiciaire. Ainsi, d'une époque à l'autre, ou le serment n'a pas de nom spécial, ou quand il en reçoit un, il esi déterminé parades usages particuliers. • L'EXPRESSION DU SERMENT DANS LA GRÈCE ANCIENNE 83 L'observation vaut pour l'ensemble des langues indo-euro péennes et rend compte de la diversité constatée. Selon les langues, le serment tire en général son nom soit de l'acte social qu'il appuie (ainsi si. rota « serment » : skr. vrata- « décision »), soit du rite qui le consacre (osque deiua- « jurer » < « prendre les dieux à témoin »)x. Quand nous ne connaissons pas les for malités de prestation, le nom risque de demeurer obscur : c'est le cas en germanique où got. aips (cf. angl. oath, all. Eid) paraît indiquer une « marche »'dont on ne peut préciser autre ment la nature. De toute manière, le moyen le plus sûr et souvent le seul que nous ayons de définir le concept de serment dans une langue donnée est d'examiner dans toutes les condi tions de leur emploi les termes en usage. Il suffit parfois de menus indices pour éclairer une préhistoire que rien autrement ne révèle. Tel est le problème qui se pose pour le grec. L'expression grecque2, consacrée -tlès le début et main tenue jusqu'à la fin de la tradition, est Ôpxov ôfxviSvoa. On n'emploie le verbe ni le nom en aucune autre circonstance et réciproquement le fait de jurer n'a pas d'autre expression. Ce que les textes par ailleurs nous apprennent sur les pratiques de serment ne paraît aider en rien à interpréter ces termes. Cependant tout n'est pas aboli de leur sens premier. Pour établir la signification propre de ôjxvuvai, on dis pose d'un rapprochement signalé depuis longtemps3, mais dont il reste à dégager toutes les conséquences. Le radical grec 6\i- a un correspondant exact dans le verbe védique am- qui se rapporte aussi au serment et dont plusieurs emplois répondent à ceux du verbe grec. Notamment celui-ci. Soma a épousé les 23 filles de Prajâpati, mais il n'en fréquente qu'une. Prajâpati les reprend. Soma vient les réclamer. Prajâpati lui 1) La signification de lat. iusiurandum sera examinée ailleurs. 2) Dans l'abondante littérature consacrée au sujet, le livre de R. Hirzel, Der Eid (1902), reste le plus complet. Cf. aussi l'article de G. Glotz, Jusjurandum du Diet, des Antiqu., et M. P. Nilsson, Gesch. der griech. Relig., I (1941), p. 128 sq. qui cite les travaux les plus utiles, notamment ceux de P. Stengel. 3) W. Neisser, Bezz. Beitr., XXX (1906), p. 299-304. A cet article sont pris les exemples cités, que M. L. Renou a eu l'obligeance de me confirmer. 84 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS enjoint alors de s'engager par serment à les fréquenter toutes et lui dit : « Jure..., flám amïsva ». Et Sonia jura, rlàm âmïl (TS., II, 3, 5, 1). La^locution [•tam am-, litt. « jurer le vrai » énonce en « complément interne » la notion appelée à garantir le serment. Plus fréquemment, am- actif ou moyen se compose avec le préverbe sam- (cf. crov-o^vovou) pour souligner l'e ngagement mutuel qui lie les contractants. Déjà dans le Rig Veda (VIII, 53, 8) le fidèle dit à Indra : tvam id evá lám áme sám « je me lie à toi par serment ». En valeur réciproque : etád dha devâ sám âmira « les dieux convinrent par serment que... » (SB., III, 4, 2, 13); yáu samamâte « quand deux per sonnes ont contracté serment » (TS., II, 2, 6, 2) ; samvatsarâya sámamyate « on s'engage par serment pour un an » (MS., II, 1,2) ; yas samântam abhidruhyet yo vâbhidudrukset « celui qui trompe ou veut tromper son co-jurant... » (KS., I, 127, 3). Or comme Neisser l'a déjà indiqué, le sens de am- est « saisir fortement ». Cela ressort de l'équivalence entre am- et grh- dans des phrases qui se répondent : « Celui qui viole le serment, tam varuno grhnali, Varuna le saisit » (TS., II, 2, 6, 2) et iâm abhyàmïii varunah. On a en outre, de am- les dérivés ama-, av. ama~ « force" d'attaque », abhyánta-* « saisi (par la maladie) » et amïva-, av. amayâvâ- « maladie », probablement « attaque de maladie ». On est donc fondé, sur la base de ce rapprochement avec des formes qui sont indo-iraniennes et non pas seulement indiennes, à présumer que gr. ofxvúvat a signifié aussi « saisir fortement.». Ce n'est encore qu'une induction. Pour- qu'elle prenne consistance, il faut qu'elle s'accorde avec le sens de ôpxoç. Mais ce sens doit être retrouvé. Ici commence le second problème, le plus difficile. Pour interpréter ôpxoç, nous n'avons plus le secours de l'étymologie. Tout au plus alléguerait-on une possibilité de comparer, en grec même, opxoç « serment » à êpxoç n. « bar rière, enceinte ». Mais ce rapprochement, que les anciens don-t naient déjà, ne convainc guère et il semble que personne aujourd'hui ne lui accorde crédita : l'image de la clôture, de- L'EXPRESSION DU SERMENT DANS uploads/s3/ benveniste-e-l-x27-expression-du-serment-dans-la-grece-ancienne 1 .pdf
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- Publié le Mai 18, 2021
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