Le courant spectral français, Autour de la musique de Gérard Grisey et de Trist

Le courant spectral français, Autour de la musique de Gérard Grisey et de Tristan Murail Paru en allemand sous le titre « Grisey, Murail und die Spectralismus » dans la revue Musik und ästhetik, 6 Jahrgang, Heft 21-21, januar 2002, Klett-Cotta, Stuttgart La musique spectrale définit en France un des principaux courants de la création musicale contemporaine, depuis le milieu des années soixante-dix, spécialement illustré par les productions de Tristan Murail et de Gérard Grisey. Afin de cerner sa spécificité, nous avons choisi d'étudier la notion scientifique et musicale de spectre, situant ce courant dans une démarche plus générale de modélisation du musical s’inspirant de méthodes scientifiques d’analyse et de resynthèse du sonore. La notion musicale de spectre a été tirée du concept scientifique du même nom, relatif à l’analyse du contenu fréquentiel d’un son. Concernant le signal, Curtis Roads propose une définition générale du spectre comme étant la mesure de distribution de l’énergie du signal en fonction de sa fréquence, spécifiant que le résultat de toute analyse spectrale, sauf tests particuliers, est une approximation du spectre réel, et qu’il serait plus juste de parler d’estimation spectrale, plutôt que d’analyse spectrale. Si Isaac Newton (1642-1727) fut au dix-huitième siècle le premier à utiliser le terme de spectre pour décrire la fréquence des bandes des couleurs à travers un prisme de verre, c’est Joseph Fourier (1768-1830) qui, en exposant les lois mathématiques de sa "Théorie analytique de la chaleur" formulera les équations qui jusqu'à nos jours contribuent à analyser le contenu fréquentiel du son. Usant de séries trigonométriques pour exprimer la propagation de la chaleur dans un solide rectangulaire infini, Fourier note que son expression analytique finie se décompose en une série de mouvements simples, et tire de son analyse des théorèmes qui résolvent les questions qui se sont élevées sur l'analyse de Daniel Bernoulli dans le problème des cordes vibrantes. Il apporte ainsi les premiers éléments de modélisation du son, permettant de réduire le contenu d'une onde sonore en une série de sinusoïdes, sinus et cosinus, fusionnant par addition, la relation de rapport entier entre les fréquences donnant des sons "harmoniques". L’analyse de Fourier sera connue sous le terme d’analyse harmonique, au sens mathématique. De nos jours, la transformée de Fourier rapide (Fast Fourier Transform, F.F.T.), associant une fenêtre temporelle à la transformée classique de Fourier, exploitée dans les domaines les plus diverses de la modélisation numérique, ou bien encore les développements de la théorie des ondelettes, restent fondées sur l'environnement de calcul promu par Fourier. Georg Ohm (1789-1854) appliquera la théorie de Fourier aux signaux acoustiques, tentant de comprendre leur réception par l’oreille humaine.Herman von Helmholtz (1821-1894), s’inspirera de ces travaux. Helmholtz différencie les sensations auditives, opposant le bruit au son musical. Le son musical est selon lui un phénomène périodique stable, dont les propriétés ne varient pas, tandis que le bruit est instable, irrégulier et non périodique. L'intensité, la hauteur et le timbre (Klangfarbe) apparaissent alors comme ses principaux constituants. L'intensité est relative à l'amplitude de la période (cycle de vibration), la hauteur est relative à la fréquence périodique du son fondamental, et le timbre relatif aux composantes harmoniques ou sons partiels formant la vibration, ce que Helmholtz va exposer longuement, en démontrant par expérimentation la valeur de l'analyse de Fourier appliquée au phénomène vibratoire musical. La notion de durée est exclue de ces propriétés de différenciation du son. La reconnaissance du timbre doit se tenir à l'analyse de l'intensité des partiels constituant la série harmonique du son. Helmholtz note que les caractéristiques permettant d'identifier le son résident également dans son début et sa fin, notamment à l’attaque, affirmant cependant que pour la musique, on ne doit considérer que les sons entièrement uniformes, et ne s'attacher qu’au caractère harmonique de leur entretien. La "portion musicale" des sons simples est exemplaire dans le cas de la flûte ou du violon, dont il reconstitue graphiquement la forme d’onde en dents de scie. Helmholtz tire de l'observation des jeux de fourniture enrichissant les sons graves des orgues la démonstration de la fusion du son fondamental, entendu comme hauteur, avec des partiels, dont l’amplitude décroît d’autant qu’ils s’en éloignent. Ainsi, quant aux perspectives d'une éventuelle synthèse du son, il conseille au musicien de concevoir les sons à imiter sur le modèle des jeux de fourniture. Il imagine même un procédé de synthèse des voyelles, avec, pour générer chaque partiel sinusoïdal, un diapason. Sont ainsi posés les principes de la synthèse additive. S’accordant avec l’esthétique musicale tonale, l’approche analytique d’Helmholtz favorise le domaine fréquentiel du son, au détriment du temporel, ainsi qu’une conception du son ondulatoire plutôt que corpusculaire. Les développements scientifiques et technologiques du vingtième siècle invalideront cependant une partie de cette conception. Les expériences de Pierre Schaeffer en France feront, entre autres, valoir l’importance des transitoires, notamment celle de l’attaque dans la reconnaissance des timbres. Iannis Xenakis avancera quant à lui le potentiel d'une approche granulaire du son. Dans les années soixante aux Bell Laboratories, l’équipe de Max V. Mathews testera sur ordinateur le potentiel limité de la synthèse additive, à partir de données tirées de l’analyse harmonique, et Jean-Claude Risset y définira, à travers son étude des sons de cuivres, une nouvelle méthode prenant en compte l’évolution temporelle de chaque partiel. L’approche spectrale du phénomène sonore et musical, associant la description du timbre, directement héritée du dix- neuvième siècle aura cependant été exploitée au moins par Karlheinz Sockhausen, suite à son expérience avec la musique électronique, manipulant le modèle de la synthèse additive grâce aux premiers synthétiseurs analogiques, dans les studios de Cologne, créé en 1953. « Un processus acoustique périodique dont la phase fondamentale contient des maxima d'intensité de grandeur différentes ne s'appelle plus, pour être précis un son, mais une sonorité, un spectre. » Les données présentées par le sonagraphe, instrument créé dans les années quarante aux Bells Labs dans le cadre de la recherche sur la parole, (on parlait alors de “ parole visible ”), bien qu’ajoutant une illustration de l’évolution temporelle des partiels, seront également traitées par les musiciens d’après l’héritage épistémologique hérité du XIXe siècle. Ainsi l’écrit l’acousticien français Émile Leipp, assimilant la notion de son partiel fusionnant au sein d’un spectre à la notion de note dans le contexte d’un accord : « Ce document est une véritable partition musicale comportant exactement les renseignements que l’on trouve sur la partition classique, avec cette différence toutefois qu’il est possible de mesurer avec précision la fréquence et la durée de chaque note, ainsi que son évolution dynamique. Moyennant un certain apprentissage, on peut lire et siffler directement cette partition. On peut même poser par dessus une véritable portée dessinée sur calque transparent, ce qui simplifie encore les choses. » L’influence des recherches d’Émile Leipp dans son laboratoire de la Faculté des Sciences de Jussieu à Paris, accueillant de nombreux jeunes scientifiques, luthiers, interprètes et compositeurs dès le début des années soixante, complétée aussi bien par l’enseignement de Stockhausen à Darmstadt que par la fréquentation de la classe de Messiaen au Conservatoire de Paris, fut manifeste pour la jeune génération de l'époque, alors que dès la fin des années soixante-dix, l’Ircam, avec pour conseiller scientifique Max Mathews, et directeur de recherche pour le département ordinateur Jean-Claude Risset, transfèrera à Paris le savoir circulant outre-atlantique entre les Bells labs et Stanford. Avant d’aborder la musique de Murail et de Grisey, il nous semble utile d’éclairer également le contexte musical et institutionnel de la génération qui fut celle de l’ensemble de l’Itinéraire, généralement associée au courant spectral. Laissant de côté les questions de matériau qui s’étaient trouvées au cœur des problématiques des compositeurs post-sériels, cette génération a eu vent de la musique de Ligeti (Atmosphères, Lontano), de celle de Xenakis (Metastasis, Pithoprakta), des longues œuvres de l’Américain LaMounte Young, du Stockhausen de Stimmung, ou encore du mythique Scelsi, que certains pensionnaires de la Villa Médicis ont pu fréquenter à Rome. La création de l’ensemble de l’Itinéraire coïncide en 1973 avec le vide laissé par la dissolution du Domaine Musical, juste avant la création de l’Ircam par Pierre Boulez. Des œuvres de compositeurs ayant en commun l’appartenance à une génération montante, plutôt qu’à une esthétique commune, sont annoncées pour les premiers concerts (dont Philippe Hersant, Yoshihisa Taïra, Marcel Goldmann et Michäel Levinas). L’Itinéraire se distinguera pour une large place donnée à la musique électronique en temps réel (live electronic), favorisant une collaboration active entre les interprètes et les compositeurs, dans un cadre, au moins pour les premières années, pratiquement autogéré par ses membres. Dès 1979, les échanges avec l’Ircam seront constants. Des compositeurs étrangers sont accueillis : l’Équatorien Mesias Meguashca, les Allemands Yohann Fritsch, Jens-Peter Ostendorf, l’Anglais Jonathan Harvey, ou encore le Canadien Claude Vivier, tous formés de près ou de loin chez Stockhausen. Parmi les Français, quelques personnalités émergent tels Roger Tessier, Michäel Levinas, Hugues Dufourt, Gérard Grisey et Tristan Murail. Tessier et Levinas ont en commun l’exploitation de la théâtralité du son instrumental et mixte, Levinas, attiré par l’esthétique du son sale, ne trouvera aucun intérêt à des uploads/s3/ le-courant-spectral.pdf

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