M. Chion, La Musique concrète/acousmatique, un art des sons fixés 1 Michel CHIO

M. Chion, La Musique concrète/acousmatique, un art des sons fixés 1 Michel CHION LA MUSIQUE CONCRÈTE/ACOUSMATIQUE, UN ART DES SONS FIXÉS troisième édition revue par l'auteur de "L'art des sons fixés" juillet 2017, copyright Michel Chion M. Chion, La Musique concrète/acousmatique, un art des sons fixés 2 TABLE Avertissement de la troisième édition I. Une musique du son fixé II. Au-delà des sources III. Dix commandements pour la musique concrète/acousmatique IV. Qu'est-ce qui est fixé dans le son fixé? V. La notion de matériau mise en question VI. Technique et appareils en musique concrète/acousmatique VII. Les deux espaces VIII. Questions d'esthétique IX. Questions d'appellation M. Chion, La Musique concrète/acousmatique, un art des sons fixés 3 Avertissement de la troisième édition Le texte que je mets en ligne est la troisième version, condensée et allégée, d'un texte que j'ai publié une première fois en 1990 chez Metamkine/Sono Concept, sous le titre L'Art des sons fixés, et une seconde fois en 2009 chez Mômeludies sous le nouveau titre La Musique concrète, art des sons fixés. Cette deuxième édition comportait une importante annexe sur les "techniques analogiques". Comme j'ai vu qu'elle créait une confusion musique concrète = magnétophone, alors que le reste de l'ouvrage ne cesse d'affirmer que cette musique ne dépend pas des appareils utilisés et des techniques de travail, je l'ai retranchée et la republierai à part. Je rappelle que l'expression "sons fixés" a été lancée par cet ouvrage, que je remets à la disposition des professionnels et du public. J'en profite pour préciser que sont parues, depuis la première édition française, des traductions italienne (L'arte dei suoni fissati, trad. par Maria Antonietta Salvucci, aux éditions Interculturali, Rome, 2004), espagnole (El arte de los sonidos fijados, trad. par Carmen Prado, Universidad de Castilla-La Mancha, Madrid, 2000), et allemande (Die Kunst fixierter Klänge, trad. par Ronald Voullié et Reinhold Friedl, Merve Verlag, Berlin, 2010), toutes les trois appuyées sur le texte de la première édition chez Metamkine. Une traduction anglaise a été établie par Justice Olsson, mais est encore inédite. J'ai changé une deuxième fois le titre, afin qu'il soit clair que "musique concrète" et "musique acousmatique" sont la même chose. Depuis longtemps, je plaide pour une unification des appellations (voir le dernier chapitre de cette nouvelle version), mais cette unification n'est pas encore réalisée. Mes plus vifs remerciements à Jérôme Noetinger, grâce à qui la première version de l'ouvrage a été publiée et diffusée, et à Francis Dhomont, qui avait relu différentes versions du texte. Et bien sûr à Justice Olsson, aussi bien pour son initiative de traduire cet ouvrage en anglais, que pour la qualité du travail qu'il a réalisé, ainsi qu'aux différents éditeurs et traducteurs. Je remercie également l'équipe de Nota Bene Metamkine, ainsi que ma femme, Anne-Marie Marsaguet, et Geoffroy Montel, grâce à qui mon site existe et vit et qui a aidé à mettre ce document en ligne, pour téléchargement gratuit. Michel Chion, 7 juillet 2017 M. Chion, La Musique concrète/acousmatique, un art des sons fixés 4 Chapitre I. UNE MUSIQUE DU SON FIXE Le lecteur doit d'abord s'imaginer qu'il écoute, confortablement installé dans son fauteuil, le repiquage sur disque compact (Blue Note CJ28-5166) de It never entered my mind, de Rodgers and Hart, avec Miles Davis à la trompette: un délice de musique suave , et un son comme le fil d'un rasoir.... 1. Jazz et sono-fixation De quel genre relève cette plage enregistrée en 1954 par Miles Davis? La réponse vient toute seule: du jazz, que l'on décrit comme une musique basée sur l'improvisation. On peut même préciser que c'est du "jazz cool". Ce faisant on aura, comme d'habitude, occulté une donnée importante, qui est que cette plage a été gravée, et que le musicien jouait en se sachant enregistré. Qu'a-t-il gravé? Des notes, certes, des valeurs rythmiques, mais aussi la moindre de ses inflexions passagères, la moindre coloration qu'il donnait au timbre, le moindre effet d'émission: Miles Davis savait donc qu'en fait il traçait du son sur un support, comme un dessinateur peut faire d'un trait sur un papier. Il savait que sa plus fine action serait conservée et fixée, qu'elle ne s'évanouirait pas au fur et à mesure, comme jusque-là avant le phonographe il en était de la moindre note musicale émise, et aussitôt balayée par le vent. J'ignore si les historiens et les critiques, et les jazzmen eux-mêmes accordent de l'importance au fait que la naissance du jazz est contemporaine de l'arrivée du son fixé. Mais je suis convaincu que si des maîtres comme Miles Davis ont pu créer leur son, c'est parce qu'il y a eu l'avènement de ce que l'on peut nommer, de préférence à enregistrement, la sono-fixation. Laquelle entraîne pour le musicien une double conséquence: d'abord elle lui permet, on ne dira même pas de se réécouter, mais tout simplement de s'écouter, de s'entendre de l'extérieur, d'une façon dissociée de son propre geste émetteur de son, ce qui jusque-là lui était interdit. Et d'autre part elle fixe sa création sur un support. Deux données qui bouleversent le travail et la technique de l'interprète, tout comme le cinématographe a changé la nature du travail du comédien. Bien entendu, un musicien de jazz joue souvent sans être enregistré, donc sans pouvoir s'entendre. Mais il suffit qu'il le soit de temps en temps, et qu'il ait la conscience de la fixabilité de son travail, pour que ce dernier se présente à lui dans une autre perspective. Sans compter que la sono-fixation lui permet d'entendre ses confrères de tous les pays. Globalement, l'enregistrement M. Chion, La Musique concrète/acousmatique, un art des sons fixés 5 des sons a donc eu des conséquences positives, et pas seulement les effets industrialisants qu'il est courant à son propos de voir dénoncer. 2. Avec la musique concrète/acousmatique, l'enregistrement est l'oeuvre En ce sens, les compositeurs de musique concrète, ceux qui travaillent pour et sur le support, ont un certain lien avec les jazzmen: comme eux ils sont des auteurs de sons; comme eux ils ne laissent à personne d'autre le soin de créer la substance sonique. A moins que, tel le metteur en scène de cinéma dirigeant et récupérant le travail de ses acteurs, ils ne préfèrent parfois susciter et s'approprier, par différents moyens - conditions techniques d'enregistrement, direction des interprètes, montage, traitements et mixages - le travail d'autres créateurs de sons et d'autres "phoniurges", dont une fois capturé sur support ils isoleront les traits signifiants pour eux. Mais la grande différence aussi est que contrairement aux jazzmen, le compositeur concret risque tout dans le son fixé et n'a pas d'alternative "live" de son travail. Ainsi, il n'est pas responsable seulement du son émis, comme le musicien de jazz, mais aussi de la manière dont ce son est gravé. Ses enregistrements ne sont pas la trace d'une "live performance", mais ils sont l'oeuvre, la chose même. De sorte que le moindre frémissement, le moindre effleurement sonore, le moindre écart de hauteur, le moindre souffle ou cahot dans le cours d'un son font partie intégrante de cette oeuvre, et constituent une dimension, parfois la plus importante, du message qu'elle livre. Dans un certain sens, donc, le compositeur de musique concrète/acousmatique est quelqu'un qui reprend à son profit et qui met au compte de sa création, pour en faire une partie intégrante de son oeuvre, tout ce dont, dans l'autre manière de composer c'est-à-dire la manière instrumentale classique, le privilège est laissé à l'interprète. Lorsque nous assistons à une pièce contemporaine jouée par des instruments, ou par des synthétiseurs ou autres dispositifs maniés en direct, et que cette musique se veut basée sur le son, et pas seulement sur des valeurs de hauteurs et de durée, étonnons-nous que le compositeur laisse à quelqu'un d'autre que lui le soin d'émettre le flux sonore, de le filer, de le porter, de le faire vibrer, rouler, roucouler, grésiller ou frémir. Et d'autre part qu'il recoure, pour faire vivre l'entretien du son, à un moyen aussi fragile et aléatoire que l'exécution en direct. C'est comme si l'on voulait faire du Max Ophuls ou du Tarkovski - pour citer des cinéastes chez lesquels compte la moindre vibration du cadre, la moindre fêlure dans le jeu des acteurs, la moindre variation de lumière - en recourant à la retransmission vidéo et non à la fixation sur bande magnétique, pellicule ou mémoire numérique. Un pari qu'à mon grand étonnement continuent de faire beaucoup de musiciens, par attachement au modèle classique qui institue la séparation en deux temps de l'acte de composer et de celui d'interpréter, fussent-ils assumés par une même personne. M. Chion, La Musique concrète/acousmatique, un art des sons fixés 6 Pour en revenir aux musiciens de jazz, puisque je suis parti de leur exemple, je ne dirai pas cependant qu'ils font complètement ce qu'on peut appeler une musique du son fixé : chez la plupart d'entre eux subsiste une nette séparation entre d'une part la hauteur, la note et d'autre part le timbre, en tant que couleur habillant et concrétisant celle-ci. Le musicien du son uploads/s3/ michel-chion-la-musique-concre-te-acousmatique-un-art-des-sons-fixe-s.pdf

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