ORLAN : « JE SUIS “UN” FEMME, JE SUIS “UNE” HOMME » Hervé Castanet L'École de l
ORLAN : « JE SUIS “UN” FEMME, JE SUIS “UNE” HOMME » Hervé Castanet L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir » 2017/1 N° 95 | pages 95 à 98 ISSN 2258-8051 ISBN 9782905040985 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2017-1-page-95.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Le tableau (46 x 55 cm) est celui d’un corps de femme réduit au sexe et au ventre, peint avec des détails précis représen- tatifs du toucher pictural réaliste : sous la toison pubienne, les lèvres s’entrouvrent... Le tableau a fait l’objet de nombreux commentaires1. Les plus sérieux ont insisté sur la façon dont il était présenté : toujours caché à la vue – par un rideau, un autre tableau. Lacan lui-même avait fait réaliser par le peintre André Masson un cache en bois sur lequel était peint un dessin suggérant les formes du corps et du sexe. On a insisté sur la fonction de ce cache, lu, à juste titre, à l’aune des commentaires de Lacan, dans son Séminaire IV, La Relation d’objet, consacrés au voile ! Une phrase en résume la thèse : « avec la présence du rideau, ce qui est au-delà comme manque tend à se réaliser comme image. Sur le voile se peint l’absence. […] Le rideau, c’est, si l’on peut dire, l’idole de l’absence2 ». Le dévoilement du tableau de G. Courbet produit un effet de sidération du spectateur, aussitôt transformé en voyeur. Lacan, dit-on, aurait pris un malin plaisir à réaliser ce dévoilement devant des invités choisis, avertis par ouï-dire de ce qu’ils allaient découvrir : le Courbet inconnu. La bascule subjective a lieu : celui qui veut voir, le cache ôté, est regardé. De prédateur, il devient proie. Réduit à l’objet regard, il ne voit plus rien et s’annule comme sujet. D’où l’effet de sidération silencieuse obtenu par le lever du voile avec éventuellement ses effets de gêne, voire de honte. Ainsi va la pudeur… Comme la fresque de la Villa des mystères, à Pompéi, la représente. 95 E UNE ŒUVRE Hervé Castanet est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne. 1. Voir notamment : Teyssèdre B., Le Roman de l’Origine, Paris, Gallimard, 2007 et Savatier T., L’Origine du monde. Histoire d’un tableau de Gustave Courbet, Paris, Bartillat, coll. Omnia, 2009. 2. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet (1956-1957), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1994, p. 155. L’Origine de la guerre, ORLAN Une œuvre, rien qu’une, sera mise à l’honneur dans chaque numéro. Une œuvre dont nous estimons qu’elle hisse à la dignité de la Chose l’objet de notre investigation ; un invité à écrire en dira sa lecture. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) Une œuvre – ORLAN, L’Origine de la guerre Le tableau dévoilé serait-il la Chose même enfin visible ? Le soleil au zénith pourrait-il être affronté les yeux ouverts ? La fiction perverse (voyeuriste et fétichiste) veut nous le faire croire mais l’épate-bourgeois vire court. Car le tableau, malgré son réalisme cru, est lui-même un voile et le procès est décalé d’un cran. Le voyeur échoue à voir le phal- lus symbolique absent – « le sujet héraldise son rapport avec le sexe.3 » En 1989, l’artiste ORLAN (née en 1947) réalise une interprétation, souvent exposée, de L’Origine du monde. Elle utilise le même format, le même cadre doré, la même posi- tion d’un corps nu jambes écartées, sexe visible. Une différence : la peinture de femme est remplacée par la photographie d’un sexe d’homme en érection. Le corps est réduit de la même façon que dans le Courbet. Bref, cette photographie est la réplique du corps nu – au pénis près, en érection et planté au milieu. ORLAN le titre : L’Origine de la guerre. À le déplier : les femmes donnent la vie. Les hommes se battent et tuent. Une femme est à l’homme ce que la vie est à la mort (la guerre). Le titre interprète idéolo- giquement l’œuvre désormais partie prenante des productions artistiques dites fémi- nistes. Mais reste la photographie. En 2013, le musée d’Orsay expose l’œuvre d’ORLAN. Elle en est ravie : « Cette exposition, Masculin / Masculin titille la censure […]. Dans mes rêves les plus fous, je n’aurai jamais cru que le Musée d’Orsay oserait montrer L’Origine de la guerre qui est le pendant de l’humanité, l’autre versant de L’Origine du monde. J’ai toujours essayé de dérègler les choses, et de montrer les pro- blèmes politiques, sociaux, qui s’impriment dans les chairs. Quand j’ai fait cette œuvre, j’ai voulu voir ce qui se passait sur un homme quand on fait ce qu’on a fait avec cette femme en lui coupant la tête, les bras et les jambes pour qu’il ne reste plus qu’un ventre, un sexe. Et donc, j’ai fait la même chose en l’intitulant un peu différemment […]. C’est un sexe qui n’humilie pas les autres, ce n’est pas un sexe énorme à la Mapplethorpe. C’est un sexe normal que tout le monde peut avoir. On connaît l’histoire de L’Origine du monde. Là, la personne qui pose et qui ne se cache pas, est en fait pour moi, la queue du diable parce que c’est la queue de Jean-Christophe Bouvet qui jouait Satan avec Depardieu.4 » Elle ajoute : « L’Origine du monde est ce qu’on a fait subir de pire à la femme car il s’agit d’une femme complètement mutilée, amputée et sans tête, sans bras, sans jambes. Il n’y avait pas de raison que cela ne se fasse pas aussi avec quelqu’un de l’autre sexe.5 » Accepter que le corps d’un homme soit traité, idéologiquement et donc dans le champ de la représentation artistique, comme celui d’une femme, soit maltraité comme une femme l’est inlassablement, dénude un enjeu militant de protestation contre le patriar- cat. En déduire que la virilité masculine est synonyme, par définition, de violence est une position qui n’est pas celle de la psychanalyse. Mais pourquoi donc ? Une phrase de Lacan suffit à nous orienter autrement : homme et femme ne sont que des signifiants et il n’y a pas de réalité pré-discursive6. Tout à la fois, l’œuvre d’ORLAN annule cette 96 3. Ibid., p. 157. 4. « De “L’Origine du monde” à “L’Origine de la guerre” », vidéo disponible sur internet. 5. ORLAN, « “Elles sommes” avec ORLAN » (entretien), posté le 11 octobre 2010 sur le blog elles@centrepompidou. 6. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore (1972-1973), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1975, p. 33 : « Chaque réalité se fonde et se définit d’un discours. » © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) Hervé Castanet, ORLAN : « Je suis “un” femme, je suis “une” homme » thèse par son titre L’Origine de la guerre et tout à la fois, par l’image donnée à voir, la démontre. Le pénis comme organe ne prend sa valeur psychique que rapporté à la cas- tration, soit au phallus comme signifiant. Les confondre ouvre le champ où se loge le fétiche : « C’est sur le voile que le fétiche vient figurer précisément ce qui manque au- delà de l’objet.7 » L’Origine de la guerre participe-t-elle allégrement du fétichisme de l’image en peinture ou bien le dénonce-t-elle rigoureusement ? À chaque spectateur d’apporter sa réponse. 97 7. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, op. cit., p. 165. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) © L'École de la Cause freudienne uploads/s3/ orlan-je-suis-quot-un-quot-femme-je-suis-quot-une-quot-homme.pdf
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- Publié le Mar 28, 2022
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