JEAN-JACQUES ROUSSEAU, MUSICIEN ET MÉLOMANE Élizabeth Giuliani S.E.R. | « Étude

JEAN-JACQUES ROUSSEAU, MUSICIEN ET MÉLOMANE Élizabeth Giuliani S.E.R. | « Études » 2012/6 Tome 416 | pages 793 à 801 ISSN 0014-1941 DOI 10.3917/etu.4166.0793 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-etudes-2012-6-page-793.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour S.E.R.. © S.E.R.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © S.E.R. | Téléchargé le 15/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.51.24.137) © S.E.R. | Téléchargé le 15/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.51.24.137) 793 Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Juin 2012 – n° 4166 Arts et Littérature Directrice du département de la musique de la BNF. Élizabeth Giuliani Jean-Jacques Rousseau, musicien et mélomane Q uand il entreprend la parution d’un feuilleton heb- domadaire pour Le Ménestrel, Arthur Pougin s’étonne que le xixe siècle ait minimisé l’importance de « Jean-Jacques Rousseau musicien1 ». En 1978, dans une page spéciale célébrant le philosophe genevois à l’occasion du bicentenaire de sa mort2, Jean Lacroix écrit qu’« en France, Rousseau a été mal compris pendant près de deux siècles ». Le philosophe et l’écrivain ont enfin été lus au-delà des cli- chés réducteurs ou erronés de la bonté naturelle. Le musicien, lui, reste encore à mieux considérer sans qu’on ait toujours à l’excuser pour la fadeur de ses compositions. Son Devin du village fut l’un des succès publics les plus intenses et durables de la scène lyrique, donné sans interrup- tion de 1752 à 1829 ; tandis que son Dictionnaire de musique, publié en 1767, constitua le modèle (et le réservoir) de tout travail de lexicographie musicale ultérieur. J.-J. était né pour la Musique ; non pour y payer de sa personne dans l’exécution, mais pour en hâter les progrès et y faire des découvertes. Ses idées dans l’art et sur l’art sont fécondes, intarissables3. 1. Texte publié de sep- tembre 1899 à mars 1900 et édité en 1901 chez Fischbacher. 2. Supplément au Monde des livres, 7 avril 1978. 3. Rousseau juge de Jean- Jacques, 2 e dialogue, Œuvres complètes (Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade) I, p. 872. © S.E.R. | Téléchargé le 15/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.51.24.137) © S.E.R. | Téléchargé le 15/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.51.24.137) 794 L’authenticité de ses facultés de musicien (auditeur, compositeur, « musicologue » et musicographe) est au cœur des ultimes pages autobiographiques et, notamment, de cet étonnant texte schizophrène, Rousseau juge de Jean-Jacques. À défendre sa paternité du Devin du village il applique plus d’effort qu’à toute autre cause et justification. Comme Rousseau lui-même dans cet écrit, il faut donc envisager la musique comme véritablement fondatrice de sa vie, de son œuvre et de sa personne. L’artisan musicien Il fut un homme du métier, ne se satisfaisant jamais d’être tenu pour un amateur inexpérimenté. Dès l’adolescence, il étudia l’art des sons, jeune homme il l’enseigna et l’exécuta. De 1 7504 à ses dernières années, il exerça une activité de copiste. Et il composa, rencontrant pour ces productions musicales des réactions du public (positives et négatives) aussi passionnées qu’ avec ses écrits politiques, pédagogiques ou romanesques. Pour l’adolescent nomade, la musique fut la seule matière d’études « encadrées ». Il chanta six mois, en 1729, dans la maîtrise de la cathédrale d’Annecy, bénéficiant de l’enseignement de Louis-Nicolas Le Maître. Puis, il poursui- vit en autodidacte l’apprentissage de la musique : la prati- quant avec des amateurs provinciaux (il chantait, jouait de la flûte et du clavecin, lors des « concerts » organisés aux Charmettes), en étudiant la théorie au travers de traités ita- liens et, surtout, des écrits de Rameau dont il « dévora5 » le Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels. Il s’oc- cupa même à l’enseigner à de jeunes filles de la noblesse ou de la bourgeoisie savoyardes : « Je me plaisais à mes leçons quand j’y étais, mais je n’aimais pas être obligé de m’y rendre ni que l’heure me commandât.6 » Cette activité stimulait déjà son intérêt pour la pédagogie et suscitait de premières réflexions relatives à la notation musicale. Un projet concer- nant de nouveaux signes pour la musique était prêt pour être remis à l’Académie des Sciences en 1742 à son arrivée à Paris. De cette opiniâtreté à maîtriser l’écriture de la musique, participe également sa longue pratique du métier de copiste. Il devint même sa seule source de revenus dans la dernière partie de sa vie. 4. Cf. Les Confessions, livre VIII, OC I, p. 363. 5. Les Confessions, livre V, OC I, p. 184. 6. Les Confessions, livre V, OC I, p. 190. © S.E.R. | Téléchargé le 15/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.51.24.137) © S.E.R. | Téléchargé le 15/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.51.24.137) 795 Je vous ai dit que je l’avais trouvé copiant de la musique à dix sols la page ; occupation peu sortable à la dignité d’Auteur, et qui ne ressemblait guère à celles qui lui ont acquis tant de réputation tant en bien qu’en mal7. Il tenait à jour un registre de ses travaux8, signait chacun de ses initiales et le numérotait par une combinaison de lettres et de chiffres. Du 1er avril 1772 au 22 août 1777, il dénombra ainsi 360 copies équivalant à 8 343 pages. On y trouve notam- ment – ultime référence : E 63 JJR cop. –, celle de l’Olimpiade de Pergolèse où il a tracé cette observation : « cette copie achevée le 22 aoust 1777 étant la preuve trop claire que ma main m’a quitté comme tout le reste m’a averti qu’il falloit quitter ce travail, et c’est ici mon dernier numero.9 » En matière de calligraphie musicale, Rousseau a voulu égale- ment innover et clarifier, cherchant à retrouver la méthode « d’écrire par sillons, pratiquée par les anciens Grecs… J’ai écrit de cette manière beaucoup de Musique tant vocale qu’instrumentale, tant en parties séparées qu’en partition, m’attachant toujours à cette constante règle, de disposer tel- lement la succession des lignes et des pages, que l’œil n’eût jamais de saut à faire, ni de droite à gauche, ni de bas en haut.10 » De la musique, Jean-Jacques Rousseau bien sûr en composa et sa première notoriété dans la société parisienne fut musicale. À trente ans, il s’installait dans la capitale avec dans ses bagages quelques compositions. Après un séjour à Venise où il avait reçu la révélation de la vocalité italienne, il reprenait un acte de ses Muses galantes qu’il avait placées sous l’autorité alors révérée de Rameau et le faisait entendre chez le fermier général La Pouplinière, en septembre 1745. Rousseau y récoltait l’enthousiasme du monde mais l’hosti- lité du « maître »11. Flatté par l’un et irrémédiablement meur- tri par l’autre, il persévérerait dans la composition et entreprendrait d’investir la sphère de la critique et de la théo- rie musicales. Avec Le Devin du village, créé en 1752, il obtient véritablement la gloire. Des reprises régulières à l’Académie royale de musique attestent d’un réel engouement du public pour cet ouvrage. Dans ces mêmes années où Rousseau est un homme à la mode, il compose pour Mademoiselle Fel qui tenait les premiers rôles à l’Opéra et avait créé le rôle de Colette, un Salve Regina exécuté au Concert spirituel, autre institution phare de la vie culturelle française. Cependant sa célébrité s’attache désormais d’avantage à des écrits théo- 7. Rousseau juge de Jean- Jacques, 2e dialogue, OC I, p. 831. 8. Albert Jansen dans Rousseau als Musiker (Berlin, 1884). 9. Manuscrit conservé au Musée Jea n-Jacques R o u s s e a u d e Montmorency. 10. Lettre à M. Burney, OC V, p. 436. 11. « Rameau prétendit ne voir en moi qu’un petit pillard sans talent et sans goût. » Les Confessions, livre VII, OC I, p. 334. © S.E.R. | Téléchargé le 15/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.51.24.137) © S.E.R. | Téléchargé le 15/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.51.24.137) 796 riques qui semblent abandonner la musique. Mais cet art occupe toujours le proscrit et contempteur du genre humain qu’il est devenu après la condamnation de l’Émile par le Parlement de Paris en juin 1762. En 1770, il l’honore en par- ticipant, comme auteur du texte, à la création d’une œuvre d’un genre musical inédit, le mélodrame Pygmalion12. Représenté, sans son assentiment, par la Comédie française le 31 octobre 1775, l’ouvrage impressionne une fois encore et inaugure une formule qu’adopteront les musiciens roman- tiques de Beethoven à Schumann ou Liszt. Le dernier Rousseau, consacré tout entier a l’autodé- fense et à l’introspection, a dressé le catalogue de ses œuvres musicales et l’a uploads/s3/ etu-4166-0793.pdf

  • 38
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager