1 Charles Péguy et les « hussards noirs » de l'École normale primaire de garçon

1 Charles Péguy et les « hussards noirs » de l'École normale primaire de garçons d'Orléans C'est à Charles Péguy (1873-1914) que revient la paternité de l'expression « hussards noirs » à l'usage des enseignants dans L'Argent en 1913 lorsqu'il parle de ses souvenirs d'écolier en culotte courte à l'école primaire annexe de l'École normale de garçons d'Orléans qu'il fréquenta de 1879 à 1885. École annexe où venaient enseigner, en uniformes noirs, les élèves-maîtres en formation professionnelle qu'il décrit en ces termes : « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes, sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. » Puis, décrivant leur uniforme noir à pantalon, gilet, longue redingote et casquette plate noirs, il précise que « cet uniforme civil était une sorte d'uniforme encore plus sévère, encore plus militaire, étant un uniforme civique. » Pour lui, ces jeunes élèves-maîtres, âgés en fait de 17 à 20 ans, « étaient vraiment les enfants de la République, […] ces nourrissons de la République, […] ces hussards noirs de la sévérité… » Et pour Charles Péguy alors âgé de quarante ans, « cette École normale semblait un régiment inépuisable. Elle était comme un immense dépôt, gouvernemental, de jeunesse et de civisme. Le gouvernement de la République était chargé de nous fournir tant de sérieux […]. Ces instituteurs étaient sortis du peuple, fils d'ouvriers, mais surtout de paysans et de petits propriétaires […]. Ils restaient le même peuple… » Ce surnom vient donc, d'abord, de la couleur noire des uniformes des élèves-maîtres des écoles normales. Écoles normales créées selon la loi Guizot de 1833 pour les garçons mais écoles normales revues et corrigées après la victoire des républicains aux élections de 1879 et l'arrivée de Jules Ferry au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts puis à la présidence du Conseil. De ce fait, en effet, la loi Bert de 1879 redéfinit les écoles normales qui deviennent obligatoires dans chaque département pour les garçons mais aussi maintenant pour les filles. L'institution va alors bannir rapidement toute ornementation religieuse comme tout enseignement religieux pour se consacrer à sa nouvelle mission. Et c'est là peut- être le plus important, de ces écoles normales sortirent alors des instituteurs qui avaient reçu une véritable mission (le terme n'est pas trop fort[Selon qui ?]) : instruire la population française. L'instituteur cherche en éducation civique à inculquer les valeurs républicaines, comme en témoignent de nombreux extraits de cahiers d'écoliers2. Et c'est ainsi que le jeune Charles Péguy, d'origine modeste, put bénéficier d'une solide instruction primaire de 1879 à 1885 puis d'une bourse lui permettant d'être admis au lycée d'Orléans à partir de 1885. À partir de 1913, « hussards noirs » devient le surnom donné aux instituteurs publics depuis les lois scolaires de Jules Ferry La comparaison par Charles Péguy des futurs instituteurs de son école primaire annexe avec « des hussards noirs » témoigne bien de la mission confiée par la République aux instituteurs mais aussi aux institutrices. Une mission fondamentale : assurer l'instruction obligatoire, gratuite et laïque de tous les garçons et de toutes les filles de France âgés de 6 ans révolus à 11 ans pour ceux admis au certificat d'études primaires ou à 13 ans pour les autres dans un cadre républicain et civique. Et cela afin de « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui vient de la naissance, l'inégalité d'éducation » comme l'avait déclaré Jules Ferry dès 1870. Mission que précise en ces termes l'historien Serge Issautier3 : « en 1879, avant le vote des lois laïques, […] cet enseignement est prioritairement aux mains de l'Église et de ses congrégations. Et c'est à la « superstition » que les républicains veulent arracher l'École. […] Mais il faut les moyens. Ce sera les écoles normales car les républicains ont pour objectif prioritaire l'enseignement primaire qui reçoit la masse des élèves. […] Les écoles normales remplissent pleinement leur mission : former des maîtres et maîtresses d'école pénétrés de la dignité de leur mission, dans un esprit de dévouement obscur, de sacrifices librement consentis dans le respect des hiérarchies et de l'ordre social. Les républicains se servirent alors de cette infanterie enseignante pour, en quarante ans, démanteler l'École catholique… » . Mais démantèlement relatif car les associations (religieuses ou non) créées à cet effet eurent alors toute liberté pour créer et gérer légalement des écoles privées dites « libres ». Véritables missionnaires laïques d'une révolution par la loi du système éducatif français, la ressemblance méliorative du corps des instituteurs avec une armée dévouée et disciplinée au service de la République participe des raisons expliquant le succès de ce surnom de « hussards noirs » à connotation militaire. De par cette mission autant que par leur statut de fonctionnaires (à partir de 1889) et donc de petits bourgeois (de la petite bourgeoisie d'État), les « hussards noirs » représentaient tant une des élites de la nouvelle république qu'une autorité morale, civique et intellectuelle certaine. C'est le cas dans La Gloire de mon père et La Fille du puisatier de Marcel Pagnol. Le surnom a par la suite été repris de diverses manières, et l'on a pu dire les hussards de la sévérité, les hussards de la République ou les hussards noirs de la République tant pour les instituteurs de la IIIe République que pour ceux des IVe et Ve Républiques. Notes et références 1. ↑ Christian Bouyer, page 164 dans la cinquième partie « Les hussards noirs de la République » dans La Grande aventure des écoles normales d'instituteurs, Le Cherche-Midi, Paris, 2003, 253 p. (ISBN 2-74910-124-7). 2. ↑ collectif, Les livres de Morale de nos grands-mères, Paris, Archives et culture, 2006, 256 p. (ISBN 978-2-35077-033- 8), p. 9 3. ↑ Serge Issautier, « Un autre point de vue sur l'école normale d'Avignon… » (contribution p. 200 à 208) dans Quelle école et quels enseignants ?, Éditions L'Harmattan, Paris, 2006, 266 p. (ISBN 2-296-00604-3). 2 Dans L’argent, qu’il publie en 1913, Charles Péguy évoque son enfance, quand il était écolier, à l’école primaire qui jouxtait l’Ecole normale d’instituteurs d’Orléans. C’était à partir de 1879. Après la victoire des Républicains cette année-là, la loi Paul Bert redéfinit les Ecoles normales fondées par Guizot en 1833. Les Elèves-maîtres en formation venaient enseigner à son Ecole et Charles Péguy les décrit : « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes, sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence ». Hussards noirs ! Et, en effet, leur uniforme était bien noir, jusqu’à la casquette, un uniforme civique. Et Péguy d’ajouter qu’ils « étaient vraiment les enfants de République, ces nourrissons de la République, ces hussards noirs de la sévérité ». Les hussards noirs, cet escadron de cavalerie constitué en 1793 par la jeune République française, des soldats de l’an II ! Le terme va rester et qualifie bien sûr ceux qui ont incarné, durant la 3ème, voire la 4ème république, la mission civique d’instruire le peuple, cette instruction obligatoire gratuite et laïque que les lois de Jules Ferry ont instaurée dans les années 1880 – 1882. Tous les enfants de France, âgés de 6 à 11 ans pour ceux admis au certificat d’études primaires doivent bénéficier de cette instruction, tandis que le travail est autorisé pour ces jeunes gens dès 12 ans. D’autres peuvent continuer après le certificat, mais ils sont en réalité peu nombreux et les lycéens, comme les étudiants, sont une toute petite minorité. L’essentiel, alors, est bien dans cette école où travaillent ces instituteurs et, dès le départ, ces institutrices. Ce sont des fonctionnaires dotés d’une autorité morale même s’ils ne sont pas les plus riches. Ils et elles font partie de l’élite républicaine. Comme les Ecoles normales sont départementales, ces maîtres viennent du peuple proche qu’ils vont instruire. Fils d’ouvriers, de petits paysans, de petits propriétaires terriens, partout en France, ils commencent à gravir l’échelle sociale sans pour autant s’éloigner encore de ceux qu’ils côtoient. En trois décennies, la population française évolue vite, s’urbanise, voit son espérance de vie augmenter. La langue française s’impose sur les patois et les langues, parfois de force. La déchristianisation avance, le niveau général d’éducation croît rapidement, tandis que les maîtres incarnent le projet de laïcisation et, dit Péguy lui-même, « une métaphysique positiviste ». « C’était, explique-t-il, la célèbre métaphysique du progrès ». Et, Péguy ajoute qu’en 1879, « ils étaient toujours prêts à crier « Vive la République ! Vive la Nation, on sentait qu’ils l’eussent crié jusque sous le sabre prussien. Car l’ennemi, pour nous, confusément, tout l’ennemi, l’esprit du mal, c’était les Prussiens. Ce n’était déjà pas si bête. Ni si éloigné de la vérité. C’était en 1880. C’est en 1913. Trente-trois ans. Et nous y sommes revenus ». Fin de citation. En 1914, ces instituteurs, avec les élèves qu’ils ont formés, partent au front. Ils paieront le même tribut que les autres Français à leur patrie. Pauvres ''hussards noirs de la République'' ! 10 SEPT. uploads/s3/ charles-peguy-et-les-hussards-noirs.pdf

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