[COMPTE-RENDU] « Ceci n’est pas une pipe » de Michel Foucault 8 septembre 2015

[COMPTE-RENDU] « Ceci n’est pas une pipe » de Michel Foucault 8 septembre 2015 / Gweissk La Trahison des images (1928) Publié aux éditions Fata Morgana en 1973, Ceci n’est pas une pipe [1] est un court texte de Michel Foucault. Reprenant pour titre la célébrissime mention lisible au bas du tableau de René Magritte La Trahison des images, l’opuscule esquisse une série d’analyses de ladite peinture, de sa mise en abyme picturale intitulée Les Deux mystères, ainsi que d’un grand nombre d’œuvres du peintre surréaliste belge. Loin de l’hypothèse répandue selon laquelle l’intention de Magritte est de rappeler qu’entre un objet et sa représentation, il ne peut et ne doit y avoir confusion ontologique, le philosophe français préfère formuler la thèse déconcertante selon laquelle cette Trahison n’est que le vestige d’un calligramme défait. D’une pipe, les autres Les Deux mystères (1966) A l’origine du texte de Michel Foucault, il y a un tableau dont tout le monde porte en lui la trace fugace. Un tableau qui, dans un espace indifférencié et privé de toute perspective, représente une pipe ou, plus précisément, de façon frontale le flanc gauche d’une pipe marron et noire ornée d’une bague incrustée de couleur or. Une pipe d’une prodigieuse banalité picturale et artistique qui semble, sans poids ni masse, flotter à l’intérieur du tableau. Sous elle s’étend, comme gravée à l’encre de chine dans une écriture scolaire, l’inscription ‘ceci n’est pas une pipe’. Le tout – pipe, phrase, espace vide – est titré, dans une sorte de mise en garde adressée aux spectateurs, La Trahison des images. Près de quarante ans plus tard, dans une sorte de jeu fait de différences et de répétitions, surgit un second tableau : Les Deux mystères. Contrairement à La Trahison des images, l’espace représenté n’est plus quelconque. Les courtes lignes de fuite que dessinent les lames de parquet au sol donnent l’illusion d’un espace à trois dimensions. Le chevalet sur lequel repose la copie imparfaite de La Trahison des images – les couleurs de la pipe et de l’espace indifférencié ont changé – conforte dans l’idée qu’il s’agit d’une simple pièce de maison. Un simulacre de tridimensionnalité pourtant contrarié par la présence énigmatique d’une pipe qui paraît errer à l’intérieur d’un espace indifférencié. Une étendue restreinte formée par les contours de la pipe elle-même et qui abolit l’ensemble des règles de composition structurant le reste du tableau. Impossible, en effet, de dire que cette dernière flotte comme par magie à l’intérieur de la pièce ni même qu’elle est dessinée sur le seul mur visible. Elle est comme prise dans cet entre-deux impossible où surface et profondeur se confondent et s’annulent. Ce qu’a très bien remarqué Foucault : « La pipe représentée sur le tableau […], cette pipe « d’en bas » est solidement prise dans un espace aux repères visibles : largeur (le texte écrit, les bords supérieurs et inférieurs du cadre), hauteur (les côtés du cadre, les montants du chevalet), profondeur (les rainures du plancher). Stable prison. En revanche, la pipe d’en haut est sans coordonnées. L’énormité de ses proportions, rend incertaine sa localisation […] : est-elle, cette pipe démesurée, en avant du tableau dessiné, le repoussant loin derrière elle ? Ou bien est-elle en suspens juste au-dessus du chevalet, comme une émanation, une vapeur qui viendrait de se détacher du tableau, – fumée d’une pipe prenant elle-même la forme et la rondeur d’une pipe […] ? Ou bien ne pourrait-elle pas supposer, à la limite, qu’elle est en arrière du tableau et du chevalet, plus gigantesque alors qu’elle ne paraît ; elle en serait la profondeur arrachée, la dimension intérieure crevant la toile. » Le calligramme délié Les Deux mystères est une mise en abyme de La Trahison des images. Image d’image, cette dernière vaut désormais pour elle-même, c’est-à-dire en tant que représentation et non pas pour ce qu’elle représente (telle était la trahison !). D’une certaine façon, par sa mise en abyme, La Trahison des images ne trahit plus. Ou alors trahit-elle autrement en forçant le spectateur à en reconsidérer la problématique initiale. Fi, donc, de l’hypothèse répétée selon laquelle la prétendue contradiction entre l’image-pipe et l’énoncé ‘ceci n’est pas une pipe’ tendrait à rappeler que, malgré sa grande analogie figurative, l’image d’une chose n’est pas la chose. Car, s’il est incontestable qu’il existe une différence de nature entre une chose et sa représentation, force est d’admettre également que : « La fonction d’un dessin aussi schématique, aussi scolaire, que celui-ci, c’est bien de se faire reconnaître, de laisser apparaître sans équivoque ni hésitation ce qu’il représente. [Un dessin] a beau être le dépôt, sur une feuille ou un tableau, d’un peu de mine de plomb ou d’une mince poussière de craie, il ne « renvoie » pas comme une flèche ou un index pointé à telle pipe qui serait plus loin, ou ailleurs, il est une pipe. » Il ne s’agit donc pas pour Magritte de mettre à jour l’erreur inhérente à une « habitude de langage » ni même de dénoncer une contradiction qui, d’ailleurs, n’en est pas une car, comme le souligne Foucault, « il ne saurait y avoir contradiction qu’entre deux énoncés, ou à l’intérieur d’un seul et même énoncé ». Ce dernier est donc amené à formuler l’hypothèse déconcertante selon laquelle derrière le texte et l’image du tableau se dissimule un calligramme délié : « Derrière ce dessin et ces mots, avant qu’une main ait écrit quoi que ce soit, avant qu’aient été formés le dessin du tableau et en lui le dessin d’une pipe, avant que là-haut ait surgi cette grosse pipe flottante, il est nécessaire, je crois, de supposer qu’un calligramme a été formé, puis s’est décomposé. On en a là le constat d’échec et les restes ironiques. » Exemple de calligramme (G. Apollinaire, extrait du poème du 9 février 1915, poèmes à Lou) Un calligramme est un texte, généralement un poème, organisé de telle sorte qu’il forme un dessin. Comme le rappelle Gilles Deleuze dans l’un de ses cours consacré à Foucault, un calligramme, « c’est lorsque l’écriture prend la forme même du visible. C’est-à-dire lorsque se fait une unification du visible et du lisible. Par exemple, vous faites un poème intitulé le coquetier, […] et vous lui donnez la forme visuelle d’un coquetier [2]. » Le calligramme est donc ce qui agrège texte et figure pour leur donner la forme d’un tout, une sorte de tautologie dans laquelle la chose énoncée est répétée dans la chose figurée, une entité hybride où « les signes appellent […] la chose même dont ils parlent ». Ainsi, dans un calligramme, les vieilles dichotomies « montrer et nommer ; figurer et dire ; reproduire et articuler ; imiter et signifier ; regarder et lire » s’effacent et laissent place à un ordre nouveau où visibilité et lisibilité sont indiscernables. Avec la déliaison calligrammatique opérée dans La Trahison des images, tout semble donc rentrer dans l’ordre des choses – et du discours. Si chaque signe retrouve la place qui devrait être la sienne, un élément perturbateur, pourtant, subsiste et empêche à l’image et aux mots de redevenir pleinement ce qu’ils étaient. En effet, les éléments inscrits sous la représentation picturale de la pipe sont eux-mêmes des mots dessinés. Des images de mots situés hors des contours figuratifs de la pipe mais inscrits « dans le périmètre général de son dessin ». Un « texte en image » qui ne se situe ni dans l’intériorité de l’objet représenté ni hors de son champ de représentation et qui, en raison du rapport de proximité, met à mal la distinction image/mot. Ainsi, si le calligramme virtuellement présent dans le « champ transcendantal » de la représentation a été défait par différenciation et actualisation picturale, il ne l’a été que partiellement : « Magritte a redistribué dans l’espace le texte et l’image […] mais non sans retenir quelque chose de l’esquive propre au calligramme ». En effet, par-delà la déliaison, un lien, lâche et ténu demeure : « ceci ». « Ceci » Les analyses foucaldiennes partaient du postulat selon lequel la pipe et la légende coexistaient dans un même espace sans entretenir entre elles de réelles relations : « j’ai fait comme s’il y avait deux positions simultanées et bien séparées l’une de l’autre, à l’intérieur d’un même espace. » Représentation de la pipe et énoncé ‘ceci n’est pas une pipe‘ semblaient valoir chacun pour eux-mêmes. Un élément pourtant les unit, le déictique « ceci » : « il faut […] admettre entre la figure et le texte toute une série d’entrecroisements ; ou plutôt de l’un à l’autre des attaques lancées, des flèches jetées contre la cible adverse, des entreprises de sape et de destruction, des coups de lance et des blessures, une bataille. » Interrogeant la nature de ce lien, Foucault émet plusieurs hypothèses et interprétations sémantiques. Pour les expliciter, il est amené à proposer une série de schémas de compréhension : 1. ===> n’est pas ===> /une pipe/ L’image n’est pas le uploads/s3/ divers.pdf

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