171 171 171 Les confitures : de l’art aux techniques par Marie-Bernard DILIGENT

171 171 171 Les confitures : de l’art aux techniques par Marie-Bernard DILIGENT Pour justifier cette communication, il faut la replacer dans son contexte temporel. Elle a été présentée à la séance de janvier au décours de la trêve des confiseurs. Il est d’usage d’accompagner la présentation des vœux de commu- nications agréables aux sens. N’est-ce-pas l’intérêt de la confection et de la consommation des confitures de solliciter et satisfaire nos sens : le spectacle des fruits, de leur cuisson dans la bassine de cuivre familiale, le chant qui accompagne l’ébullition, la douceur tactile du pétale de rose ou du fruit du coing, les odeurs suaves durant la cuisson et bien sûr le plaisir des yeux et du goût de la tartine ? À un économiste qui s’étonnait de la quantité de confitures préparées dans sa maison de campagne, au vu du prix des confitures industrielles, Georges Duhamel répondit : « Ici nous faisons nos confitures uniquement pour le parfum. Le reste n’a pas d’importance. Quand les confitures sont faites eh bien, monsieur, nous les jetons. » Le chef de cuisine Guy Martin qui rapporte cette anecdote dans son ouvrage Toute la cuisine (2003) ajoute : « il est vrai que l’odeur des confitures qui cuisent a un charme fou, les manger aussi ». Si besoin était de montrer encore l’opportunité de ce propos, il faut rappeler la mission de l’Académie nationale de Metz, société des sciences et arts. La vocation pour les sciences et technologies fut manifeste au XIXe siècle. On trouve dans les Mémoires des publications concernant l’agriculture, les sciences physiques. Cette communication dans son éclectisme évoque les bases physico-chimiques de la confection de confitures permettant de passer de l’empirisme des grands-mères à une maîtrise scientifique due à la dimen- sion industrielle actuelle. Pour autant, la confiture est fortement connotée à l’enfance au même titre que d’autres confiseries. C’est par excellence un étayage familial et intergénérationnel. Mémoires de l’Académie Nationale de Metz – 2010 172 Grimod de la Reynière écrivait, en 1805, dans son Almanach des gour- mands, servant de guide dans les moyens de faire excellente chère par un vieil amateur : « Les confitures sont d’une très grande ressource dans un ménage, surtout si beaucoup de femmes et d’enfants en font partie. C’est une denrée tout à la fois agréable et salubre qui se prépare une fois l’année seulement et qui se conserve sans aucun soin. C’est la consolation des malades, la poularde des convalescents et la meilleure espèce de chaterie dont on puisse régaler les enfants. Avant que l’usage du sucre ne fût devenu commun, les confiseurs les préparaient au miel... elles étaient difficiles à conserver. Maintenant une confiture bien conservée atteint sans altéra- tion la troisième année. Les confitures offrent à chaque instant du jour un aliment qui est du goût de tout le monde. C’est le dessert le plus facile à servir, la compote des célibataires, et le souper du rentier. On peut préparer presque autant de sortes de confitures que la nature nous offre d’espèces de fruits ; on en fait même avec des légumes tels que les carottes, le céleri, les tomates. » Ce propos garde son actualité. Il y a autant de confitures et même davan- tage puisqu’en la matière les assemblages sont devenus communs. « En fait il y a autant de confitures que de femmes. Chacune a ses recettes, ses tours de mains, lentement maturés dans le chaudron matrimonial. Plus encore que de femme, la confiture est une œuvre de mère attentive au bonheur des siens ; elle est un présent, un message qui vient du cœur. Elle personnifie la douceur que l’on attend d’une mère quand on est enfant, d’une épouse quand on est adulte... Tout devient prétexte à confiture pour les femmes, de la même façon que tout est bon à distiller pour les hommes. Imagination et douceur font alliance. Disponibilité, hasard, nécessité d’un peu de sucre sont les guides de l’inspiration qui produit des préparations hétéroclites. Le grand livre des confitures est inépuisable » (Jean-Louis Schlienger et André Braun in « Au fond du pot, le bonheur, chroniques gourmandes », Les Saisons d’Alsace, 2008). Ce mythe psychologique et sociologique est largement utilisé dans la publicité pour la consommation des confitures. Les difficultés des définitions À travers l’histoire et les sociétés, le terme recouvre bien des réalités en fonction de l’évolution des techniques, des habitudes gastronomiques et plus nouvellement des contraintes législatives et réglementaires. Le Dictionnaire du moyen français (1350-1500) donne 3 acceptions pour le sens propre : 1° préparation d’aliments (surtout de fruits) confits en vue de leur conservation ; 2° préparation pharmaceutique offrant une certaine consis- tance ; 3° préparation aromatique. Au sens figuré on note l’expression « mettre à confiture » signifiant « mettre en piteux état ». Les confitures : de l’art aux techniques 173 Le Dictionnaire du Trésor de la langue française donne deux acceptions. En premier lieu, la préparation consistant en fruits et plus rarement en autres végétaux laissés entiers ou ayant subi un traitement et cuits avec du sucre pour les conserver. « Faire des confitures, écumer des confitures, manger des confi- tures... Dès que la confiture fut cuite à point, elle déposa la bassine fumante sur les marches du perron » (A. Theuriet, Le mariage de Gaspard, 1875.) « Une cuillérée de confiture m’attendait avec un verre d’eau fraiche. L’hospitalité roumaine n’ou- bliait jamais ces compétences » (R. Vercel, Capitaine Conan, 1934). « Cela me navrait de la voir perdre des heures à recouvrir de parchemin des pots de confitures » (S. de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958). Par extension, le terme peut être péjoratif ; la confiture est le symbole de douceur excessive, de faiblesse. « Au premier essai, sous prétexte que l’expérience du ministère dément leur petite jugeote, ils lâchent tout. Ce sont des museaux de confitures. Pas plus qu’un homme, une chrétienté ne se nourrit de confitures. Le bon Dieu n’a pas écrit que nous étions le miel de la terre, mon garçon, mais le sel » (Bernanos, Journal d’un curé de campagne, 1936). L’autre sens du Dictionnaire du Trésor de la langue française se dénomme par analogie avec la couleur ou l’aspect des confitures. Ainsi, en parlant d’une peinture, couleur qui manque de naturel, de réalisme : « Sur les murs nus, on avait peint des chameaux et des palmiers noyés dans une confiture rose et violette. » (Camus, L’exil et le royaume, 1957). Ou aussi dans un sens argo- tique, préparation hallucinogène. « Ah ! oui je sais, le hashich, l’opium, la confi- ture verte, les paradis artificiels. J’ai lu Baudelaire et j’ai même goûté la fameuse drogue qui m’a rendu fort malade. » (Maupassant, Contes et nouvelles, t. 2, Rêves, 1882). Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, huit sortes de confitures étaient décrites : les confitures liquides, marmelades, gelées, pâtes, confitures sèches, fruits confits, dragées, conserves. Le développement des confitures artisanales et industrielles a nécessité des définitions précises pour faciliter notamment les échanges commerciaux dans la communauté européenne. Elles seront envisagées dans un chapitre ultérieur. On trouve, dans la littérature, des confitures qui ne correspondent pas aux définitions évoquées. Ainsi Grimot de la Reynière, dans son Almanach des gourmands, décrit les confitures bretonnes : « On donne, en Bretagne, le nom de confitures aux diverses préparations imaginées pour maintenir les sardines dans toute leur fraîcheur, pendant un laps de temps considérable. » Les confitures jaunes et brunes : dans son ouvrage Le confiseur royal ou l’art du confiseur dévoilé au gourmand (1818), Madame Utrecht-Fridel décrit des confitures au four, des confitures jaunes aux amandes, des confitures à la seringue des perlingos, espèce de confiture d’Allemagne à la farine, des confi- tures brunes au massepain qui sont plutôt des macarons. Mémoires de l’Académie Nationale de Metz – 2010 174 La confiture comme forme de médicaments Ce sont les médecins arabes entre le IXe et le XIIe siècle et notamment Avicenne (980-1037) qui inventent la confiserie grâce à leur connaissance d’un nouveau produit : le sucre. Ils prescrivent à leurs malades sirops, bonbons, confits, confitures et nougats. Les sirops sont préparés avec des fruits, des épices et des fleurs. Ce sont plusieurs centaines de variétés qui entrent dans leur composition. L’Occident va s’empresser de traduire les traités médicaux arabes et d’aller plus loin dans l’innovation. Ainsi du XIe au XIIIe siècle l’école de Salerne va être très active et mêler recettes et médicaments. Le plus célèbre des ouvrages est dû au médecin italien Mésué au XIIe siècle. On y trouve des confitures laxatives (pommes, poire, coing), stomachiques (pêche, prune), des bonbons à l’anis, à la girofle. En France, les traités sont nombreux, notamment les pharmacopées qui décrivent le savoir-faire des médecins et apothicaires qui ont le monopole du sucre, denrée alors très rare. Ils recouraient antérieurement au miel ou au raisiné pour les préparations mais le travail de cuisson en était plus difficile. Les pharmacopées Une pharmacopée est de nos jours un recueil officiel légal, particulier à chaque pays. Elle donne essentielle- uploads/s3/ confiture.pdf

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