Dossier bande dessinée Revue d'Echanges et d'Etudes Linguistiques NOVEMBRE 1985

Dossier bande dessinée Revue d'Echanges et d'Etudes Linguistiques NOVEMBRE 1985 I'I.]DAGOGIE. UN DOSSIER BANDE DESSINEE ll scrait audacieux de présenter en quelques pages un Dossier Bande Dessinêe qui vouclrait faire le tour de toutes les questions posées par ce moyen d'expression, aussi lricn sur le plan culturel que sllr celui des implications pêdagogiques qui découlent de son ufilisation en classe de langue. L,a bande dessinée, en effet, bénéficie en France clcpuis quelques années d'une audience de plus en plus vaste, qui ne se limite plus luux enfants el aux adolescents et va de pair avec une diversification des thèmes, des scônarios et des techniques graphiques mises en oeuvre. LJn festival, celui d'Angoulème, I'a consacrée au rang d'Art à part entière, et le Mi- nistre de la Culture a inaugurê dans cette même ville un musée e1 une êcole destinée à l'aciliter son enseignement. Cette reconnaissance officielle ne fait donc qu'entériner rrn état de fait, puisque avec plus de l8 rnillions d'alburns vendus en France au cours tle la seule annêe 1984, la bande dessinêe est aussi un phénomène d'édition qu'il n'est pas possible de négliger. Ainsi, face au foisonnement actuel du discclurs portant sur ce que certains spêcialis- tcs appellent la "littérature d'expression graphiclue", nous Ite préIendons pas pré- scnter une vision exhaustive du sujet. Notre point de vue est volontairement inlpres- sioniste, et les articies proposés abordent divers thèmes qui sont plus des pistes de recherche, des invitations à l'étude, que des comptes rendus définitifs. Nous proposons donc, dans cette perspective, une étude de civilisation destinêe à dé- linir les stêréotypes du Français tels que les reproduit ou les conçoit Ia bande dessi- nôe. Au niveau des classes primaires, une expérience de classe nous montre comrnent la BD peut être utiiisée pour stimuler la créativité des enfants. Deux anciens élèves de I'lrNSM nous présentent d'autre part un travail qui a pour but de mettre à profit la handc dessinée pour 1'évaluation cles compêtences de communication dans les Ecoles Secondaires. Enfin, les deux derniers textes traitent clu langage spêcifique de la BD, cluns le premier cas en analysant les sens de lecture, et dans le second en s'interroge- lnt sur les actes de langage propres à ce rlode cl'expressicrn. (irâce à ces différentes études, nous espérons donner un aperçu de ce qui peut être lait sur le plan de la pédagogie. à partir de la bande dessinée: itr restera aux profes- scurs et aux élèves à ne pas oublier le plaisir du texte et de I'image. DOSSTER BANDE DESSINEE. . . LES FRANÇAIS DANS LA BANDE DESSINÉE: Stéréotypes en question De par sgn langage, d'accès facile, et dont la structure intègre à la fois le texte et I'irnage, la bande dessinée se révèle être un auxiliaire précieux en ce tlui concerne h classe de civilisation. En effet, grâce à sa relative simpiicité et à sa tendance à la sché- matisation, il s'agit d'une forme d'expression qui non seulement véhicule tous les stêréotypes qu'une société produit sur elle-rnême, mais encore les amplifie et les ren- force. En ce sens, bieir entendu, le contenu de la bande dessinée n'est pas neutre: SoLIS I'irnage se glisse le message que les auteurso inconsciernment ou non, veulent faire passer. Comme le dit en effet Michel Pierre: LlArt pour I'Art n'e.xi.ste pas et, pas plus qu'un autre moyen d'expression, la bande dessinée n'est tttéalogiquement "neutre".Elle est imsge cles idëologies et parfois, se trouvant inve.itit C'unefonction de propagande, etle est une idëotogie en image (1).C'est dire que les informations données par le canal de la bande dessinêe doivent être étudiées de f'açon critique, si I'on ne veut pas reproduire soi-même les schérnas qu'elle pose comlne un acquis ou une vérité première. L'image des Français dans la bande dessinêe française est donc elle aussi le produit cl'une iociétê qui se regarde et qui espère trouver dans ce miroir un portrait qui lui ressemble. Cet te image, fatalement globalisante puisque reposant sur l'hypothèse d'un fonds psychologique commun, s'appuie sur toute une série de stérêotypes' po- sitifs ou négatifs, rlui sont sensés réunir les Français dans la même famille. Pourtant, devenue "adulte" clans les années 60, avec l'arrivée d'une nouvelle gênération de dessinateurs et de scclnaristes (Gotlib, Mandryka, R.eiser, Brétécher, et d'autres. . '), la trande dessinée française pose dêsorrnais un regard neuf, parfois fêroce, sur la so- ciété, regard qui bouleverse ou ridiculise les stéréotypes traditionnels, pour les abo- lir, ou bien en créer de nouveâux. ,k 1) Les vie.;rx stéréotyPes. Certains personnages ont rnarqué notre histoire de la bande dessinée, en présentant des portraits conformcs à I'idée que les Français se faisaient d'eux-mêmes. Ainsi Forton (18'79-1934) a-t-il pu créer le célèbre Bibi Fricotin, type du titi parisien dêbrouillard et gouailleur, qui s'inscrit directement dans la grande lignée des Gavroche et des Poulbot. Ses aventures rnettent en scène tout un petit monde de gens exerçant les métiers les plus divers, parfois disparus aujourd'hui. et son ingéniosité le pousse Souvent à se retrouver en marge de la loi. Son Astuce, son courage, Sont 24 ,4lain MUSSET 25 l)ri'scnlôs conlrnc I'apanage du lrrançais moyen, roi du "système D". Dans la nrêmc rcirrc, cl clu môme auteur, les Pieds Nickelés, apparus pour la première fois en 1908 tllttts l,'l')palant, sont les représentants de cette image des Français amateurs du bon rniurgcr ct du bon boire, qui jouent à se moquer des forces de I'ordre, toujours ridi- t'rtlisl'cs. Marjorie Alessandrini trace d'ailleurs de ces trois compères (Ribouldingue, ('r trqtrignol et Filochard) un portrait plein de justesse: .ces personnages aux tro- tlrtc.s illutninées d'ivrognes, paillards,subversifsmaispas révolutionnqires, sont deve- rrrts l'un des stéréotypes de la Frqnce éternelle.(2). l)c I'ait, malgré la vulgarité dont font parfois preuve les Pieds Nickelés, vulgarité qui eltoqua malgré tout le public bourgeois de l'êpoque, dans ce type de bande dessinée lc lirançais apparaît souvent comme I'adversaire de la police et de I'ordre établi, rrritis il lui manque toujours quelque chose pour franchir le pas qui le conduirait de I'rttttre côté de la barrière, à la différence des héros de Tardi (Adèle Blanc-Sec ou llrindavoine), qui eux vont à rebours des idées reçues (3). | | cst pourtant à cet êgard un personnage actuel qui incarne au plus haut point ce que I'rln pourrait appeler "l'esprit français": il s'agit bien entenc$t d'Astêrix, qui teprenrl tous les clichés portant sur la mentalitê française, en les transposant à l'êpo- rltrc gauloise. Cette transposition se fait d'ailleurs de manière toute naturelle, puis- rltrc l'image du gaulois est en elle-même un stérêotype déjà bien ancré dans I'esprit tlcs lrrançais. Les allusions à l'êpoque contemporaine (personnages politiques ou du rrtonde de I'art), une cartographie adéquate (la carte de France se superpose à celle tlc la Gaule), et toute une suite d'anachronismes. ne font oue renforcer cette assimi- llrt ion. Astérix, tout comme Bibi Fricotin, incarne donc I'astuce opposée à la force, même si la potion magique I'aide puissamment à ridiculiser ses ennemis. A travers lui, ce sont les qualités gauloises qui sont exaltêes, dans tout ce qu'elles peuvent avoir de lrtrculent et d'énorme (Obêlix, son meilleur ami, est un personnage rabelaisien). Et t'rr effet, comment les auteurs qualifient-ils ces gaulois? Ils sont "irréductibles, ('ourageux, teigneux, têtus, ripailleurs, bagarreurs et rigolords" (4). La planche de l,a (irande Traversée (5), où I'on voit Astérix et Obêlix mimer leur "gauloisitude" tlcvant des indiens êbahis, est en ce sens un parfait résumé de ce que s'irnaginent être les Irrançais, tous différents, certes, mais dont un fonds commun assure l'unité. Grâ- r'c au stéréotype, chacun se reconnaît dans le portrait de I'autre, et s'amuse à dé- r'ottvrir en soi quelques défauts véniels qui servent à rnieux f'aire ressortir ses qualitês car, finalement, si les gaulois se disputent et se battent entre eux, il y a toujours rrrt grand banquet à la fin de I'histoire pour les réconcilier. 2) l)arodies el caricatures. A ct:ttc image globalisante du caractère ou de I'esprit français, image qui traduit en lrril rrn repli sur soi et une certaine xénophobie, ou tout au moins un chauvinisme rrurrqué (" Restons gaulois" s'exclame Abraracourcix à la fin d'Astérix et Cléopâtre) (crtilins auteurs ont choisi de répondre en exacerbant jusqu'à I'absurde les trâits de caractère de leurs héros. Nous passons alors du stéréotype à la caricature ou à Ia pa- rodie, qui semblent aller dans le sens du stéréotype pour, en fait, mieux le dênoncer. Nous aurons en ce cas que nous pourrions appeler un stéréotype négatif (stéréotype car il reprend tous les éléments typiques du héros français, et négatif car il les utilise dans une intension de dérision). Le meilleur exemple de ce type de personnage serait sans conteste Superdupont, créé par Gotlib, Lob et Alexis, hêros "l009o français" pour reprendre une expression des auteurs, qui voient en lui, de manière ironique, un résumé de toutes les qualitês françaises: superdupont, outre ses dons prodigieux, possède au plus haut degré des vertus régionqles dont les racines sont enfouies en chacun de nous. Citons, pour exemple, I'opiniâtreté du Breton, I'qisance du Porisien, lo gaieté du Lorrain, la droiture de I'Auvergnat, I'idéalisme uploads/s3/ i985-reel-bd-stereotypes-francais.pdf

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