LA MUSIQUE ET LE MONDE Collection dirigée par Hubert Nyssen et Sabine Wespieser
LA MUSIQUE ET LE MONDE Collection dirigée par Hubert Nyssen et Sabine Wespieser © Maison des cultures du monde, 1995 ISBN 2-7427-0280-6 Illustration de couverture : Mirza ’Ali, Khusraw et Shirin (détail) Extrait de Khamsa de Ilyas b. Yusuf Nizami, 1539-1543 British Museum, Londres. INTERNATIONALE DE L’IMAGINAIRE NOUVELLE SÉRIE – N° 4 LA MUSIQUE ET LE MONDE MAISON DES CULTURES DU MONDE SOMMAIRE Introduction par Jean Duvignaud et Chérif Khaznadar............................................ Françoise Gründ : La musique et le monde................................... Laurent Aubert : Les ailleurs de la musique : paradoxes d’une société multiculturelle ................................... Habib Hassan Touma : De la présentation des musiques extra-européennes en Occident ...................... Chérif Khaznadar et Michel de Lannoy : Les trois voies de la musique........................... Michel de Lannoy : De l’universelle intimité des espaces musicaux.... Pierre Bois : L’anthologie Al-Âla du Maroc : une opéra- tion de sauvegarde discographique ................. Hsu Tsang-Houei : La musique des uns, le patrimoine de tous : de la préservation des musiques aborigènes de Taiwan ............................................................ Bernard Lortat-Jacob : L’art d’un petit pays.......................................... Tràn V˘ an Khê : La musique vietnamienne à la fin du XXe siècle.................................................... Jean During : Carnets de voyage au Moyen-Orient .............. Jean-Pierre Estival : Musiques traditionnelles : une approche du paysage français........................................... Françoise Gründ : Inédit : dix ans d’enregistrement ..................... Tineke de Jonge : Les musiques traditionnelles et le disque ............ Marie-Claire Mussat : Les chemins subtils d’une régénération............. Jean-Claude Eloy : L’autre versant des sons.................................... Y a-t-il des théâtres plutôt que le théâtre, des musiques plus que la musique ? La diversité des compositions sonores semble répondre à l’infinité de l’expérience sen- sible… Il est sans doute trop simple d’opposer tradition et modernité, si certaines d’entre elles (européennes !) sem- blent “payer leur très ancienne dette, découlant du fait que l’esprit se soit séparé de la phusis, le travail intellectuel du travail manuel, la dette du privilège”. Adorno a-t-il raison de tracer ainsi une frontière entre les trames sonores qui répondent à une émotion sacrée, profane ou codifiée par un rite, et celles qui se délivrent de contraintes imposées par une instrumentation “primitive” ou les limitations d’une culture particulière ? Distinction arbitraire… Les musiques qu’on appelle “traditionnelles” révèlent toute la richesse de la “pensée sauvage”, une créativité que, trop souvent, l’on évite d’en- tendre et de reconnaître. Un peu comme ce qu’Artaud reprochait de ne pas voir, du théâtre balinais, aux critiques de son temps. C’est à l’écoute de cette diversité qu’est consacré ce volume de l’Internationale de l’imaginaire et des textes réunis par Françoise Gründ. JEAN DUVIGNAUD & CHÉRIF KHAZNADAR 7 9 13 27 37 59 75 91 95 105 115 145 159 169 179 193 FRANÇOISE GRÜND LA MUSIQUE ET LE MONDE Puisque la musique est l’art de combiner les sons, elle repré- senterait une expression humaine aussi vaste que le nombre infiniment grand de sons eux-mêmes ; sons émis par la voix, sons émis par des outils, parmi les plus divers, appelés quel- quefois instruments de musique. Cependant, si les hommes se révèlent, dans la plupart des cas, inventifs, en ce qui concerne quelques combinai- sons sonores destinées à devenir l’écho de leur émotion, ils demeureraient singulièrement pauvres, si la musique était considérée comme une sorte d’ordinateur géant capable d’ingérer tous les systèmes possibles. Fort heureusement, la musique ne peut être assimilée à une machine à fabriquer des conglomérats de sons. Les différents témoignages consignés dans cet exem- plaire soulignent que la musique appartient à un ensemble et que les caractéristiques de chaque musique dépendent de l’appartenance à une culture, à une zone géographique, à des groupes d’individus, à des préoccupations reli- gieuses ou sociales, à des périodes dans l’histoire, et à l’his- toire même d’un peuple qui a subi des frottements, des contaminations, des privations, des déchirements avec d’autres peuples. S’il existe ainsi des millions de musiques, est-il possible d’affirmer que la musique constitue un “langage universel” ? Peut-on même employer, pour la caractériser, le terme “langage” ? La musique de chaque microsociété fait-elle partie de son patrimoine ? Peut-elle lui être enlevée comme du bétail ? Voici une histoire africaine qui pourrait peut-être apporter des éléments de réponse : Le général Amin Dada prend le pouvoir en Ouganda et veut faire table rase de tout ce qui existait avant lui. S’attachant à fonder un nouvel ordre social, il emprisonne, tue ou pourchasse les musiciens de cour des anciens rois, dont la fonction était de transmettre, par la musique, une poésie généalogique et donc l’histoire de tous ceux qui avaient gouverné le pays pendant des générations. Ces musiciens de cour, étant des maîtres, contribuaient en outre, à répandre dans tout le pays une musique raffinée. Non content d’avoir dispersé les interprètes, le général Amin Dada fit rechercher tous les instruments de musique et les fit détruire dans un immense brasier flambant devant les portes de son palais. Les musiciens qui avaient pu échapper à l’emprisonne- ment, prirent la fuite en brousse et se cachèrent, en prati- quant d’autres activités sans plus parler de musique. Seulement, dans le secret de leur mémoire, ils ne cessaient de se chanter les longues mélodies porteuses de vie et d’accorder des luths ou des harpes naviformes imagi- naires. Le règne d’Amin Dada prit fin brusquement. Une dizaine d’années avaient passé avant que les musiciens puissent revenir dans les capitales. Avec patience, ils se mirent à reconstruire les instruments, et, cette fois devant des souverains fantômes, à chanter l’histoire de leur peuple. Aujourd’hui, les plus âgés d’entre eux enseignent aux plus jeunes ce qu’ils considèrent comme leur bien le plus précieux. 9 10 Pour entendre une musique non encore écoutée, il faut faire un effort parfois démesuré : par cette porte – souvent étroite – on doit tenter de pénétrer dans une culture. Chaque musique est porteuse de choc… parfois gratifiant… parfois déstabilisateur. Dans ces conditions, peut-elle être transportée ? Est-il possible, sans causer de rejet ou de lésion, de transférer des ensembles de sons qui possèdent une signification impor- tante pour leurs interprètes ? Et puis, l’oreille humaine pos- sède-t-elle une disponibilité infinie ? Peut-elle absorber tous les sons ? Que deviennent alors les notions de plaisir, d’acquisition des connaissances ? La promiscuité avec des musiques traditionnelles venant de multiples horizons et la plus grande tolérance envers des sensations inouïes faciliteraient-elles l’approche des musiques contemporaines ? Pulsion de créativité ou état de mémoire par la reproduc- tion de la musique proviendraient-ils de besoins différents ? Interviennent là les problèmes de représentativité liés à chaque culture et les problèmes d’émotion qui y sont éga- lement attachés. La musique n’en finit pas d’être une source de ques- tions ! LAURENT AUBERT LES AILLEURS DE LA MUSIQUE Paradoxes d’une société multiculturelle L’IDENTITÉ EN QUESTION Si la musique a sa place dans toute réflexion sur la culture, c’est à mon avis par les enjeux qu’elle représente. La musique n’est en effet jamais anodine ; elle est à la fois un moyen de communication fort et rassembleur, et un révélateur d’identité dans le foisonnement de modèles qui caractérise notre société contemporaine. Nous nous reconnaissons dans les musiques que nous apprécions parce qu’elles correspondent à notre sensibilité et à notre vision du monde ; nous nous écartons au contraire des autres dans la mesure où elles sont étrangères à nos affinités. Par son contenu, la musique est toujours por- teuse de sens ; si Platon a pu dire qu’“en portant atteinte aux formes de la musique, on ébranle les plus grandes lois des cités”, c’est que la musique à laquelle il se référait était à la fois l’écho et le modèle d’autre chose qu’elle-même, et aussi qu’elle était porteuse de pou- voirs, susceptibles d’affecter tout un faisceau de réalités, tant physiologiques que politiques et culturelles. La perspective de l’ethnomusicologie est d’envisager la musique à la fois comme langage comportant ses codes de communication propres – c’est le point de vue de la musicologie – et comme fait social et culturel – selon 13 une approche anthropologique. Pour la plupart de mes collègues, il s’agit essentiellement de collecter des docu- ments sonores, de les analyser, d’en évaluer la fonction sociale et de fournir ainsi à la postérité un portrait aussi réaliste que possible de la vie musicale de tel ou tel peuple à l’époque où il l’a fréquenté. Le cadre universitaire de leur carrière leur impose aussi la nécessité de théoriser leur démarche, d’en dégager des universaux et, acces- soirement, de publier et d’encourager le développement de la discipline. Un courant important de l’anthropologie contempo- raine, qu’on rencontre aussi en ethnomusicologie, est celui de l’anthropologie dite “d’urgence”, qui consiste à vouloir sauver de l’oubli des traditions culturelles considérées comme “à risques”. Les récentes mutations sociopolitiques et technologiques ont en effet fragi- lisé des sociétés entières, de plus en plus soumises aux influences extérieures et aux processus de déculturation qui les accompagnent souvent. L’ethnologue devient alors une sorte d’archéologue du présent, voué à préserver la mémoire de cultures moribondes, faute de pouvoir con- tribuer à les sauver. Les quelques idées que j’essaierai de synthétiser uploads/s3/ idi-musique-et-monde.pdf
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- Publié le Jul 14, 2022
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