L’ improvisation jazz S’il est vrai qu’on m’a proposé de présenter, de façon gé
L’ improvisation jazz S’il est vrai qu’on m’a proposé de présenter, de façon générale, l’improvisation dans le jazz, il me semble dès à présent important de mieux définir mon objectif, le terme « jazz » me semblant dans un premier temps bien trop imprécis pour servir de base à une réflexion, et dans un second temps trop limitatif à une idée de style qui se révèle impossible à définir compte tenu des multiples expressions. Imprécis tout d’abord parce que personne n’a jamais pu fixer les bases d’une définition satisfaisante concernant le mot « jazz ». Et si tous s’entendent sur l’origine du terme puisé dans le patois créole, d’incroyables divergences apparaissent dès lors qu’on s’attache à la musique. Qu’est-ce que le jazz, où commence-t-il, où s’arrête-t-il, non pas sur le plan historique mais bien sur le plan esthétique et musical? Autant de questions génératrices de querelles incessantes, multipliées dès les années soixante par l’explosion de la musique tonale en nouveaux courants de plus en plus proches de l’univers contemporain, et rendues définitivement stériles, voire obsolètes, par la révolution européenne qui peu à peu se débarrasse de l’influence américaine pour établir sa propre identité. Limitatif ensuite parce qu’on entend, le plus souvent, par « jazz », une musique dont les racines primitives limitent l’expression aux schémas tonaux traditionnels issus de chansons populaires utilisées comme prétexte à l’improvisation, avec pour principe premier le soutien d’une grille harmonique et la présence de la basse continue. Or, se limiter à cela constitue à mes yeux une erreur rédhibitoire tant cela reviendrait à tout stopper à l’avènement du « bebop », donc à ignorer combien les différents courants qui depuis l’expression « Free » jusqu’au paysage modal, via l’attachement aux musiques folkloriques et cultures diverses (indienne ou maghrébine par exemple), ont ouvert des voies et ont modifié notre vision de l’improvisation. C’est pourquoi, me refusant à être un spécialiste historique du jazz parce qu’ étant moi-même musicien d’aujourd’hui, c’est à dire à la recherche d’une symbiose totale de tous les courants qui nous nourrissent en cette fin de XXème siècle, plutôt que de présenter les techniques d’une musique américaine limitée dans le temps, je préfère réfléchir sur l’acte même de l’improvisation et la façon d’appréhender une activité que je considère comme essentielle dans notre formation musicale, parce qu’elle seule autorise la maîtrise d’un langage qui nous reste étranger dès lors qu’on se limite à seulement jouer ou analyser une musique écrite par autrui. 1ère partie : Réflexions Improviser Pour moi, improviser, c’est imaginer, c’est-à-dire pénétrer dans l’univers infini de notre être fait d’intelligence, de culture, de mémoire, d’émotion et de sentiments afin d’offrir à l’auditeur notre sincérité et notre authenticité, l’espace d’un moment, en l’incitant à découvrir et parcourir notre rêve. Il s’agit ainsi de bien comprendre que ce n’est pas dans l’élaboration de techniques complexes et dans leurs restitutions sonores fidèles qu’on trouvera un chemin susceptible de nous conduire vers notre imaginaire, mais plutôt qu’il nous faut partir à la découverte de nous-mêmes, - sorte d’ « involution » - afin de nous livrer dans notre entièreté, - « évolution » cette fois – par l’intermédiaire de moyens sonores suffisamment subtils et précis pour qu’ils puissent, en tant que vecteurs, contenir notre propre existence. On l’aura compris, improviser, c’est à dire « Parler la Musique », réclame un travail acharné afin que vocabulaire et syntaxe contiennent pleinement notre sens existentiel, au mépris des schémas mécaniques et structurels les plus vertigineux quand ils n’existent qu’en tant que tels, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils sont, loin de là, à bannir. Et c’est sans doute parce que trop souvent on assimile l’improvisation à une juxtaposition d’éléments préfabriqués dignes des jongleurs les plus habiles qu’il me semble indispensable, tout d’abord de reconsidérer la musique et l’appréhension qu’on a d’ elle, ensuite de chercher des voies capables de nous permettre de mieux pénétrer toute organisation sonore afin de lui transmettre notre propre existence, c’est-à-dire d’ « habiter le son » depuis son origine jusqu’à ce qu’il atteigne l’auditeur. Le temps Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, j’affirmerai en premier lieu que la musique n’existe que dans deux dimensions : le temps et l’espace, ce qui signifie que les seules préoccupations que nous devons constamment avoir à l’esprit se situent au niveau de l’émission du son et de sa propagation. Or, temps et espace imposent de façon incontournable la notion de mouvement, le temps pouvant se définir comme un mouvement irréversible dans lequel tout n’est que trajectoire. Ainsi, et qu’il s’agisse de musique écrite ou de musique improvisée, on comprend que chaque formule, chaque thème déroule sa propre énergie en fonction des éléments qui la composent vers une trajectoire logique qu’ il convient de totalement percevoir pour en comprendre l’essence même, puis l’évolution. C’est pourquoi je dénoncerai toujours avec vigueur toute analyse, explication ou appréhension musicale qui ne tiendrait pas compte du phénomène-temps qui constitue, à mon sens, la seule logique compositionnelle possible pour la prise en compte de la globalité de son lui-même, ce qui pas exemple anéantit la notion de paramètre, vision conceptuelle et desséchée totalement inapte à permettre ni la moindre composition, ni la moindre compréhension du phénomène musical. Les paramètres En second lieu, il me semble donc important de s’attaquer à cette notion de paramètre en affirmant qu’ isoler le moindre paramètre équivaut à tuer la vie même de la musique, simplement parce que le paramètre n’existe pas en tant que tel. Et ceci revêt une importance considérable dans l’ appréhension de la musique tant on nous a perdus dans un réseau d’impasses en nous apprenant à considérer en tant qu’entités rythme, mélodie, accompagnement, timbre, nuances, puis à les dissocier elles-mêmes, comme si chacune d’elles contenait des secrets susceptibles, une fois découverts, de révéler la magie musicale. Cette découpe systématique qui repose sur la conviction qu’ un ensemble est constitué de la somme des parties, n’ aboutit qu’ à supprimer en nous toute sensation : la dissociation, basée sur le principe d’ identité, manie spéculative de notre bon intellectualisme occidental rassuré de classer dans des casiers numérotés et parfaitement étanches chacun des paramètres, dépèce toute œuvre musicale pour la réduire en petits tas de miettes aussi distincts qu’ insignifiants, alors que chacun des éléments n’ est que la constituante d’une interpénétration parfaite appartenant à un tout indissociable. Saine séparation donc qui, au lieu de prouver le bien-fondé de cette pratique, démontre que l’enseignement musical traditionnel est impuissant à rendre compte d’aucun phénomène musical. En fait, cette incompréhension est née d’une attitude cartésienne qui consiste à croire que le tout est égal à la somme de ses parties alors que c’est la tout qui détermine les parties, ce qui nous conduit à affirmer une nouvelle fois qu’en musique le paramètre n’existe pas. Enseigner le rythme, ou la mélodie, ou l’harmonie relève d’une aberration qui révèle l’incapacité de bon nombre de professeurs à comprendre la musique. Car on ne peut concevoir par exemple une formule rythmique sans obligatoirement faire intervenir les notions de hiérarchie du temps – temps forts/temps faibles -, d’où dynamique, timbre, nuance, les notions de matière et de consistance du son, d’où timbre et forme sonore, les notions de mouvement et de trajectoire évolutive, d’où l’importance des hauteurs : la conception purement abstraite et mathématique du rythme en tant que calcul chronométrique des valeurs s’avère aussi utopique que grotesque. On ne peut s’empêcher ici de réentendre ces quantités d’élèves tapotant du crayon sur une table pour restituer une phrase rythmique à laquelle ils ne comprennent rien. De la même façon, penser la mélodie implique longueur de notes, consistance sonore, dynamique et timbre, et quelle que soit la façon d’envisager le moindre mot musical, il nous est impossible de ne pas prendre conscience qu’ interviennent obligatoirement tous les éléments qui constituent l’essence même de la matière musicale. L’état de besoin Ce qui veut dire la chose suivante : jouer une note sur un instrument implique attaque, longueur, timbre et forme sonore, donc énergie première. En subissant le choc du son entendu, c’est-à-dire en vivant la sensation provoquée (« écoute »), en visualisant simultanément l’ émanation de ce parfum dans le temps et l’espace (« voir le son »), on crée en soi un état de besoin : c’est de ce besoin qui stimule notre imagination que naît la suite du discours dans une évolution parfaitement logique, si elle est directement générée par l’ état émotionnel dans lequel la présence du son nous a placés, ce qui engendre une intention. Compte tenu de l’ indissociabilité du son, il serait une erreur rédhibitoire d’égarer son attention en la portant sur un choix futur concernant un quelconque paramètre – la hauteur par exemple, cas le plus fréquent – car ce serait sortir de l’état de besoin dans lequel nous nous trouvions placés pour se perdre dans le monde du calcul : c’est ce qu’on appelle « l’angoisse du vide » qui crée chez l’ improvisateur la peur de ne pouvoir trouver quoi que ce soit à uploads/s3/ improvisation-jazz.pdf
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- Publié le Dec 13, 2021
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