Une heure avec... Compositeur en lice pour le GPLC 2019 Avec Carmagnole, pour e

Une heure avec... Compositeur en lice pour le GPLC 2019 Avec Carmagnole, pour ensemble CD : Blanc mérité (Æon) Œuvre interprétée par l’Ensemble Cairn, sous la direction de Guillaume Bourgogne Gérard Pesson Présentez-vous en une phrase ! On a le droit de sauter une question ? Alors passons à la question suivante : écrire ou composer ? C’est une question qui a un sens me concernant puisque je ne fais pas tellement la différence. J’avais hésité quand j’étais adolescent : je voulais être comédien, puis j’ai senti très fortement la nécessité d’aller vers l’écriture. J’ai toujours écrit, même enfant. Je prends un grand soin pour les notices d’œuvres – même si ce n’est pas à proprement parler un acte littéraire – et je tiens un journal, publié en volume, en revue. Donc pour moi, écrire et composer, c’est le même geste. Composer, c’est écrire. Mais est-ce qu’écrire, c’est composer…? Aujourd’hui, quel sens cela a t-il pour vous d’être compositeur ? Si vous dites « aujourd’hui », cela impliquerait qu’être compositeur ait eu un autre sens aux siècles précédents. Le présupposé serait peut-être que la musique de création savante aurait moins de contact avec le public, qu’écrire une musique que (presque) personne n’attend ne facilite pas le travail. Le fait d’écrire, de peindre, de filmer, de composer, de respirer par l’art, c’est une manière d’être au monde. Je me sens par exemple très relié au réel, à l’actualité, même si mes œuvres ne sont pas « engagées » au sens politique qu’on donne souvent à ce mot. Je ne crois pas être très différent dans ma façon d’être compositeur de ce que pouvait être un artiste il y a cent ou cent cinquante ans, à cette nuance près que nous avons une mémoire plus longue par l’accès immédiat à un répertoire infini. En relisant récemment les carnets de conversation de Beethoven, j’étais extrêmement frappé par sa manière intense de chercher des élans, des solutions dans la littérature, la philosophie, l’histoire. Je ne vais pas m’identifier à Beethoven, mais je ressens vraiment exactement ce besoin de chercher la musique par-delà la musique. La musique est une respiration de son temps, une manière de phraser son époque. Vous avez parlé d’une inclination littéraire, encore aujourd’hui très affirmée. Pourquoi avoir choisi la musique ? C’est peut-être la musique qui m’a choisi, allez savoir ! Être diariste est une manière d’être écrivain, mais sans « projection créative ». Le journal, c’est aussi parfois une main-courante de l’atelier de composition. J’y parle des retards, des difficultés. Si vous lisez un jour ce volume (Cran d’arrêt du beau temps – journal 1992-1998, éditions Van Dieren, 2004), vous verrez que j’en parle souvent, mais aussi de la vie musicale telle qu’elle me parvient, telle que je la filtre. Comment la voyez-vous, d’ailleurs, cette vie musicale actuelle ? C’est complexe, parce qu’on vit à Paris, dans un pays très centralisé. « S’exprimer par l’art : une manière d’être au monde » © C. Daguet / Henry Lemoine J’avoue ne pas sentir un sentiment de très forte appartenance au petit milieu autophage de la musique contemporaine. J’y ai ma place, sans doute, mais je ressens un certain détachement vis-à-vis de ce qui serait une « communauté ». Il n’y a pas de « collègues » en art. Quand il y a eu des groupements de compositeurs un peu militants, contre le camp d’en face, si je peux dire, je sentais plutôt ce qu’il y avait de décevant par avance dans cet affrontement qui relevait davantage d’un combat de position (notamment vis-à-vis des institutions) que de la volonté généreuse, je n’ose dire bienveillante, d’une confrontation fertile d’idées. A mon avis, la question n’est pas là. On trouve de l’académisme dans la musique dite « d’avant-garde » et on trouve des choses nouvelles, décalées, dérangeantes dans des œuvres plus « néo-consonantes », si c’est bien le mot juste. Même si je ne peux pas renier que je viens de l’École de Vienne, de cette manière d’écrire, dont je me suis détaché bien sûr. Je précise que je n’étais pas du tout lié au cercle de Pierre Boulez, car l’ayant admiré, je m’en suis soigneusement tenu écarté (leçon de liberté n° 1). Pour vous, la musique, est-ce plutôt une expression affective, émotionnelle, sensorielle, rationnelle, spirituelle ? Pour moi, elle est tout cela. La musique est un domaine de connaissances, évidemment de sensibilité, d’émotion, mais de trouble aussi. Je n’utiliserais peut- être pas le mot « sensoriel », parce que ça fait un peu jardin d’enfants... Je me revendiquerais volontiers comme intellectuel, au sens où la musique est un champ de la pensée. Quand Beethoven voulait traiter de choses politiques, c’est-à-dire du vent de liberté qui était parti de France, la musique était pour lui un vecteur d’émancipation, d’accomplissement, une transcendance aussi. Qu’une lecture du réel conduise à une transcendance, voilà une force unique de la musique. J’ai tendance à penser qu’un artiste doit aller vers ce qu’il ne sait pas faire. Les artistes qui se répliquent sont terriblement décourageants. On est payé pour faire ce qu’on ne sait pas faire, pour aller vers l’inconnu. Avoir du métier, c’est désapprendre sans cesse. On doit écrire pour dénoncer ce qu’on a écrit, mais toutefois sans se renier. Être juste, c’est savoir se tromper. Un artiste propose un étonnement, une secousse, un déplacement, une sidération, éventuellement quelque chose qu’on ne comprend pas. Une œuvre est une question, pas une réponse. C’est une difficulté d’écrire, c’est une peur aussi. Je le disais encore hier à l’un de mes étudiants qui n’arrivait pas à écrire une œuvre : le fait que la musique soit difficile à écrire est une bonne nouvelle. Ça veut dire que ce qui nous résiste indique clairement que nous entrons dans le vif du sujet. Il faut se battre ? Il faut avancer, proposer des choses nouvelles et être libre. C’est difficile d’être libre. Et quand vous y parvenez, vous trouverez toujours un musicologue ou un critique pour vous diagnostiquer « indépendant » – ce qui dans leur vocabulaire n’est jamais bon signe… Je dis ça à mes étudiants quand ils entrent dans ma classe : « J’ai une mauvaise nouvelle, mais qui peut s’avérer excellente, vous êtes complètement libres ». Parfois, ils pensent qu’on va leur donner des grilles, ou bien ils viennent avec des tableaux comme on faisait à une époque. Je réponds : « Écoutez, c’est votre jardin secret, si vous écrivez la musique comme ça, c’est très bien, mais moi, ces tableaux-là ne me regardent pas, ce que je considère, c’est la musique qui en résulte ». Vous êtes en effet professeur de composition au CNSMD de Paris depuis 2006. La place de la transmission dans votre travail, est-ce important ? Oui, c’est très important, mais je ne sais pas si j’emploierais le mot « transmission ». On peut le dire d’un artisan qui transmet des gestes immémoriaux. C’est plutôt une sorte d’accompagnement : vous êtes dans une empathie, vous êtes un peu l’autre, vous l’écoutez, intensément, et en l’écoutant, en discutant de toutes sortes de sujets, parfois non musicaux, vous libérez en lui des choses qui étaient retenues. Le CD Blanc mérité, sélectionné pour le GPLC 2019, est paru en janvier 2018. Évidemment il y a aussi un aspect technique, des conseils, une lecture librement commentée des œuvres en train de s’écrire. Ils écoutent ma musique mais si ça leur chante ; j’ai dû parler de ma musique deux fois en dix ans. Certains s’y intéressent, il peut y avoir une petite influence, mais je ne leur transmets surtout pas ma manière d’écrire la musique, puisque je pense qu’elle ne vaut que pour moi… et encore... Parfois, dans une très bonne séance, le professeur ne parle pratiquement pas. Mais il y a là une écoute si forte, si empathique ! Ce n’est pas du tout scolaire en tout cas. Et puis surtout, ils m’apprennent beaucoup de choses. Je ne crois pas qu’on puisse donner quoi que ce soit d’ailleurs si on ne reçoit rien. Ils sont tous très différents, très stimulants. Je me sens dans le même bateau qu’eux, me sens leur semblable, ce qui ne doit pas être réciproque, ne serait-ce qu’à cause de la différence d’âge. Au train où ça va, mes premiers étudiants nés au XXIème siècle sont aux portes de ma classe… ! L’humour dans l’art et la musique, c’est important pour vous ? Il est possible qu’il y en ait dans ma musique. Là, par exemple, dans mon opéra Les Trois Contes, le premier et le troisième actes ont une dimension humoristique très marquée. Cela doit être lié au fait d’avoir une culture très large, et la dimension spirituelle résiderait dans une faculté de manier les idées, les mots, les concepts, les sons. Il y a un jeu, une dimension ludique. C’est tout à fait juste. Il y a du « jeu » dans ma musique, sans doute, mais je décrirais cela plutôt, comme une position en léger recul, un contre- champ, un écart uploads/s3/ itw-gerard-pesson 1 .pdf

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