Ambiances Environnement sensible, architecture et espace urbain 3 | 2017 Animer

Ambiances Environnement sensible, architecture et espace urbain 3 | 2017 Animer l’espace public ? Entre programmation urbaine et activation citoyenne Traverser la ville ininterrompue : sentir et se figurer à l’aveugle. À propos de Walk, Hands, Eyes (a city) de Myriam Lefkowitz Blindly wandering in the continuous city. On Walk, Hands, Eyes (a city) by Myriam Lefkowitz Julie Perrin Édition électronique URL : http://ambiances.revues.org/962 DOI : 10.4000/ambiances.962 ISSN : 2266-839X Éditeur : Direction Générale des Patrimoines - DAPA - MCC, UMR 1563 - Ambiances Architectures Urbanités (AAU) Référence électronique Julie Perrin, « Traverser la ville ininterrompue : sentir et se figurer à l’aveugle. À propos de Walk, Hands, Eyes (a city) de Myriam Lefkowitz », Ambiances [En ligne], 3 | 2017, mis en ligne le 10 décembre 2017, consulté le 04 décembre 2017. URL : http://ambiances.revues.org/962 ; DOI : 10.4000/ ambiances.962 Ce document a été généré automatiquement le 4 décembre 2017. Ambiances is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License. Traverser la ville ininterrompue : sentir et se figurer à l’aveugle. À propos de Walk, Hands, Eyes (a city) de Myriam Lefkowitz Blindly wandering in the continuous city. On Walk, Hands, Eyes (a city) by Myriam Lefkowitz Julie Perrin 1 Il n’y aurait pas de raison que la recherche en danse s’intéresse à la ville contemporaine ou à l’espace public si les chorégraphes n’avaient de leur côté choisi d’y intervenir. En y inscrivant des actes chorégraphiques, ces artistes entrent en dialogue avec elle : ils s’immiscent dans le réel sur le mode de l’écart propre à l’art – un écart à même de nous conduire à repenser le monde contemporain. Le chercheur en danse, contrairement au sociologue, à l’architecte ou à l’urbaniste, ne dispose pas d’une méthodologie propre à l’enquête urbaine. Son regard sur la ville ou l’espace public se fait d’abord par le biais de l’art, autrement dit par l’expérience d’œuvres chorégraphiques. Si le chercheur en danse est aussi un usager des villes, dans ce cas précis, il prend le risque de penser la ville par le prisme de l’art. On pourra trouver la démarche trop singulière, limitée et le discours sur la ville qui en ressort peu spécialisé. Mais cette façon d’entrer au cœur de l’expérience permet d’en saisir les enjeux, et de comprendre alors en quoi elle peut spécifiquement donner à penser une relation à l’espace public. 2 Cette expérience de l’art relève d’abord d’un partage sensible et ce d’autant plus que l’art chorégraphique urbain a parfois – et c’est le cas pour Myriam Lefkowitz – abandonné la représentation (danser pour figurer ou exprimer quelque chose) pour préférer ouvrir une expérimentation urbaine selon des modalités qui tirent parti des savoirs sensoriels et moteurs qui fondent l’invention du geste. Ces savoirs qui se développent depuis l’avènement de la danse moderne au début du XXe siècle et s’épanouissent au contact des Traverser la ville ininterrompue : sentir et se figurer à l’aveugle. À propos... Ambiances, 3 | 2017 1 pratiques somatiques1 accordent un rôle majeur au sentir et à la perception ; ils engagent aussi une réceptivité au poids, un travail renouvelé sur l’équilibre postural, ainsi que des processus de visualisation du corps et du mouvement reposant sur un imaginaire poétique inventif. Le plus souvent, ces pratiques engendrent une relation de réciprocité sensible à l’environnement qui trouvera dans la phénoménologie une juste formulation2. En proposant à des spectateurs ou usagers d’explorer la ville à partir de ces savoirs, l’acte chorégraphique consiste alors à donner forme à l’expérience sensible selon des manières à chaque fois singulière. Autrement dit, à composer l’épaisseur du sensible, en jouant sur les combinaisons possibles du sentir et de l’agir. 3 Il s’agira de partir d’une étude de cas : la pièce Walk, Hands, Eyes (a city) créée en 2010 par l’artiste chorégraphique Myriam Lefkowitz. Et de réfléchir, in fine, aux enjeux théoriques que l’expérience esthétique soulève. La pièce prend la forme d’une marche urbaine. Mais « marcher » peut prendre bien des formes. Il s’agira de réfléchir aux modalités du déplacement et de saisir à partir de là comment s’articulent motricité et connaissance de la ville. 4 Ce projet pourrait bien sûr s’inscrire dans le contexte plus large des créations artistiques explorant la marche urbaine selon des protocoles particuliers. Cette histoire des artistes marcheurs au XXe siècle a été bien retracée par Francesco Careri (2002) ou Thierry Davila (2002) : elle va de Dada aux artistes du Land Art (Richard Long, Hamish Fulton) ; passe par les surréalistes, Fluxus, ou autres performeurs des années 1970 (André Cadere, Yoko Ono, Vito Acconci) ; inclut des artistes contemporains aussi (Francis Alÿs, Sophie Calle, Stalker…). Dans chaque cas, une place particulière est accordée à la ville, dévoilant des façons singulières de l’interpréter, de la mettre en scène, de la comprendre, d’y engager les spectateurs ou les usagers. Car les formes diverses de la marche reflètent et conduisent à des représentations spécifiques de l’art comme de la ville. Cette histoire tournée vers les pratiques performatives d’artistes visuels ignore les créations des chorégraphes marcheurs, à quelques exceptions (de Morant, 2013 ; O’Rourke, 2013 ; Perrin, 2015). Ce qui fait pourtant l’une des spécificités de l’art chorégraphique scénique est son attention très grande pour la marche – son expressivité, son style, ses dynamiques – que les danseurs ne cessent de travailler à partir d’exercices ou pratiques qui contribuent à modifier tant la posture du danseur que l’imaginaire de l’espace dans lequel il évolue. Ce contexte particulier confère aux expériences chorégraphiques hodologiques une qualité reposant sur ses savoirs du mouvement et de l’espace. Aussi, cette analyse s’inscrira d’abord dans le champ plus spécifique de la recherche en danse, laissant à d’autres le soin d’une articulation avec une histoire des artistes marcheurs. Elle prend aussi pour horizon un dialogue avec les savoirs de l’espace urbain et de la perception. 5 Myriam Lefkowitz a en effet élaboré un protocole à la croisée de ce travail postural et d’une pratique de terrain. Il est l’aboutissement d’une démarche qui s’inscrit dans la durée : depuis 2008, elle explore une balade à deux, découvrant progressivement ses enjeux artistiques, ses impasses aussi. Elle affine, tout en la transmettant, sa façon de faire à d’autres guides, elle pratique, elle échange, dialogue… jusqu’à publier en 2015 un ouvrage qui porte le même nom que le projet. Des savoirs se sont transmis, des textes en témoignent. C’est à partir de ces traces et de quelques transmissions que je conduis ma propre analyse. Celle-ci ne repose en effet pas sur un échantillon de spectateurs auprès de qui j’aurais précisément enquêté, ou que j’aurais observés tout au long de leur parcours (une fois seulement, dérogeant en quelque sorte à la règle selon laquelle cette balade n’est pas conçue pour être regardée, j’ai suivi, sans le perturber, un duo). Il s’agit d’analyser Traverser la ville ininterrompue : sentir et se figurer à l’aveugle. À propos... Ambiances, 3 | 2017 2 Walk, Hands, Eyes (a city) à partir de strates successives et complémentaires : l’expérience de la balade que j’ai eue ; les échanges informels et les entretiens avec la chorégraphe3 ; la participation à une semaine d’atelier dispensée par Myriam Lefkowitz en 2016 aux étudiants de master du département danse de l’université Paris 8 Saint-Denis, dans le cadre de mon séminaire sur la spatialité ; des témoignages publics (entretiens radiophoniques ou édités, en particulier par le Journal des Laboratoires d’Aubervilliers) ; le livre enfin, dont il faut d’emblée dire qu’il est fait de récits croisés d’artistes-guides et de spectateurs-guidés – récits recueillis à l’issue de la balade, puis filtrés jusqu’à composer un texte polyphonique constitué de petits blocs successifs. Il s’agit donc de se tenir au plus près de l’expérience et des discours qu’elle génère. De tenter de rendre compte des enjeux d’une expérience sensible qui engage le sujet en marche et la perception de la ville. Les formes de la marche 6 J’ai pris rendez-vous auprès des Laboratoires d’Aubervilliers (j’aurais pu le faire directement par mail auprès de l’artiste), pour l’un des créneaux proposés. Cela a lieu en journée. On m’a informée qu’il convenait d’être équipée pour marcher dehors – chaussures confortables, vêtements adaptés. Myriam Lefkowitz (cela aurait pu être quelqu’un d’autre de son équipe4) m’attend dans ce lieu d’art où elle est accueillie pour deux ans (2013-2015) en résidence (de recherche, d’écriture). C’est un lieu dont je suis familière mais dont je connais mal les alentours, sinon le trajet de dix minutes environ qui conduit de la station de métro Aubervilliers-Pantin 4 chemins aux Laboratoires. J’ai déjà entendu parler de la balade, en particulier lors d’une communication de Myriam Lefkowitz et Anne Gonon lors d’un colloque5. Je dépose mon sac. Nous sortons dans la cour. Après un accueil simple, direct et cordial, voici en substance la consigne que Myriam énonce : « Il n’y a qu’une seule règle, c’est une expérience silencieuse, mais s’il y a quoi que ce soit qui te dérange, tu n’hésites pas à me le dire. Tu peux arrêter l’expérience à n’importe quel moment. Pour commencer, uploads/s3/ perrin-2017-revue-ambiances-def.pdf

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