1 Retour sur le mouvement Tous contre la Guilde, l’AMAQ et « le droit à l'autod

1 Retour sur le mouvement Tous contre la Guilde, l’AMAQ et « le droit à l'autodétermination des artistes » Martin Gladu Ce que l’on veut, c’est établir des normes minimales selon la capacité de payer des établissements. Sébastien Croteau La Guilde des musiciens du Québec (GMQ) est le seul syndicat de musiciens reconnu en vertu de la Loi sur le statut professionnel et des conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma de 1987. Les objectifs de cette loi atypique et statutaire consistent à permettre à des non-salariés de négocier des ententes relatives à des conditions minimales de travail avec de multiples donneurs d’ouvrage. Au début des années 2000, la GMQ voulut coller l’étiquette de producteur à des diffuseurs afin de les amener à négocier de telles ententes. Des petits lieux de spectacle comme le Café Sarajevo ou La Place à côté reçurent des avis de négociation. Cinquante-deux de ces avis furent envoyées par la GMQ en 2001-2002. Ces lieux comprirent, à tort ou à raison, que la GMQ prétendait être en droit de leur réclamer un cachet minimum pouvant atteindre plus de 130$ pour chaque musicien montant sur scène, peu importe l’identité de l’organisateur. L’instigateur du mouvement de contestation, dont l’histoire nous nous rappellerons ici, Sébastien Croteau, résuma en ces mots la perception qu’avaient ces lieux des demandes de la GMQ : C’est comme si la Ligue nationale de hockey demandait à la Ligue de hockey junior majeur du Québec de payer ses joueurs le même salaire que les professionnels! Au contraire, la vraie Ligue nationale subventionne la Ligue junior, car elle est consciente qu’en encourageant les talents (la relève) d’aujourd’hui, elle favorise l’essor de sa propre industrie de demain. Il faudrait que la Guilde applique la même logique mais elle ne veut pas nous subventionner, elle veut nous réglementer avec ses propres normes. Belle connerie de sa part. À l’époque, la GMQ sortait à peine de l’affaire Dutoit et était aux prises avec une guerre intestine. En plus des allégations qui couraient à l’effet qu’elle entretenait des liens avec le crime organisé, l’organisation s’était enlisée dans un appel au boycottage du Festival international de jazz de Montréal, qui refusait de prélever des cotisations syndicales sur les chèques de certains musiciens (une injonction de la cour fût imposée à la GMQ pour qu’elle cesse ce boycott). De plus, une prise de bec avec le parolier Luc Plamondon, le 2 producteur français Charles Talar et la ministre de la Culture, Agnès Maltais, sur la question de l’utilisation d’enregistrements plutôt que de musiciens en chair et en os lors des représentations de la comédie musicale Notre-Dame-de-Paris avait eu pour effet de diviser les membres du syndicat en deux factions. En 2002, une décision de la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs (CRAAAP) rendue à la suite du dépôt d’une requête de la GMQ était venue taxer le Café Sarajevo du statut de producteur. Cette décision provoqua la naissance du mouvement spontané Tous contre la Guilde. Tous contre la Guilde était né de l'initiative de Simon Jodoin, chanteur du groupe Mort de rire et leader du Simon J. & The Fuckingruvin Virtual Dumb Band. Jodoin fût vite rejoint par plusieurs artistes de la relève dont, entre autres, Pierre Thibault, Jules Hébert, Fred Fortin, Olivier Langevin et Pierre Girard. Les petits lieux de spectacles, quant à eux, se rassemblèrent autour de Croteau et son Association pour la protection des lieux alternatifs de la culture émergente (l’APLACE). Après des études supérieures en philosophie, théologie et sciences des religions à l’Université de Montréal, Jodoin s’était tourné vers la musique, l’écriture et le développement web. En 2006, il prenait part au BangBang, magazine culturel alternatif mensuel, à titre de chroniqueur, tout en prenant en charge le développement web de la publication. Il accepta plus tard un poste permanent au magazine Voir, puis chez Mishmash collectif expérientiel. Je crois nécessaire de le souligner puisque M. Jodoin n’a jamais fait de sa pratique de la musique un métier ni un moyen de subsistance. Fort en gueule, Jodoin multiplia les interventions contre la GMQ et son principal dirigeant, y allant de déclarations aussi fracassantes qu’intempestives : Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas être autonome et jouer où et quand je le veux, viarge! « C'est la même chose pour les photos des représentants de la Guilde, qui ont l'air de vendeurs d'assurance. Nous, on rigole, et on a le goût de montrer du doigt et de dire combien ils ont l'air de bouffons. » Jodoin affirme aussi que « tout support juridique ne [l]'intéresse pas » et que son geste vient « d'un citoyen en pleine liberté qui a le droit d'aller jouer où il veut ». Un droit qui lui semble « fondamental ». « Plusieurs artistes se produisent à titre de travailleurs autonomes et ne ressentent aucun besoin d'adhérer à un syndicat. » En entrevue, Jodoin ajoute que « si j'achète un ordinateur, je peux devenir graphiste. Si j'achète une guitare, je peux devenir guitariste. C'est pas (sic) des oignons de personne. La Guilde applique une réalité socioéconomique syndicale qui date d'autres époques, alors que nous sommes dans une réalité moderne de travailleurs autonomes. » C'est l'autonomie du travailleur qui est en ligne de compte. 3 Lors d’un des spectacles Molotof, les organisateurs insultèrent le président de la GMQ, le tromboniste Émile Subirana, réincarné pour l’occasion en François Gourdbirana, « dictateur de cérémonie. » Traité de « tête de cochon » et de démagogue, ils allèrent même jusqu’à menacer « de le crucifier. » Le principal intéressé affirma avoir reçu de vraies menaces de sources anonymes, menaces qui le laissèrent méfiant et dubitatif. Il faut toutefois dire que M. Subirana avait déclenché les hostilités lorsqu’il avait traité les petits diffuseurs d'exploiteurs d'artistes dans une lettre ouverte : À l’image des employeurs du 19e siècle qui s’indignaient dès que leurs travailleurs osaient revendiquer plus que leur maigre pitance, les propriétaires de bars d’aujourd’hui jouent les vierges offensées devant les accusations portées par la Guilde à leur endroit, selon lesquelles ils sont les pires exploiteurs des musiciens du Québec. (…) Manifestant un singulier manque de respect à l’endroit des jeunes artistes qui contribuent à mousser leur chiffre d’affaires, les propriétaires de boîtes de nuit forcent les musiciens à mendier en passant le chapeau et à se contenter de ce que les clients voudront bien leur laisser ce soir-là. (…) Ces exploiteurs servent toujours la même rengaine à leurs victimes : si la Guilde les force à les payer, ils devront fermer leurs portes. La réponse de la Guilde à cette menace repose sur une logique toute simple : comme toutes les autres entreprises, si les exploitants de bars et de boîtes de nuit sont incapables de rester en affaires parce qu’ils doivent payer les travailleurs qui les font vivre, eh bien, ils n’ont qu’à fermer leurs portes. Sans grande surprise, Jodoin fût mis en demeure par la Guilde à la mi-décembre 2002. Sa réponse, étonnante par sa défiance, fût sans équivoque : Rien ne changera sur mon site, ni dans mes propos, ni dans l'action que j'ai entreprise contre votre idéologie et votre vision du monde musical québécois. Je me positionne clairement comme votre opposant, ne cherchez pas plus loin, vous avez trouvé votre ennemi. Je suis prêt. L'êtes- vous? Le mouvement s’organisa aussitôt autour de l’Association des musiciens autoproducteurs du Québec (AMAQ), dont l’exécutif était composé de Jodoin, Mononc’ Serge Robert, Éric Goulet et Pierre Girard. L'AMAQ entendait se doter d'une charte et se faire reconnaître par la CRAAP. « Si on fait la preuve que le secteur qu'on veut représenter est négligé par la Guilde, on pourra se présenter devant la CRAAP, » expliqua Jodoin. Or cela ne se concrétisa jamais. En fait, il existait naguère un flou dans la Loi qui ne distinguait pas le rôle de producteur de celui de diffuseur. L'AMAQ cherchait à protéger ce flou à cause du statut de travailleur autonome de ses membres. « On n'offre pas nos services à un producteur, » martela Jodoin. En clair, l’AMAQ arguait qu’en l’absence de la relation artiste-producteur mentionnée à l’article 2 de la Loi, soit celle entre une personne (l’artiste) et une autre personne (le producteur), l’artiste qui s’autoproduisait n’y était pas assujetti. Les artistes qui s’autoproduisaient et les diffuseurs qui leur louaient leurs installations n’étaient donc pas, selon elle, contraints de signer des conventions collectives en vertu de la Loi. 4 Bref, l’AMAQ militait pour le statut de travailleur autonome des musiciens et celui de diffuseur pour les petits lieux de spectacle, et ce, malgré que ces deux questions engageassent des personnes non reliées. De leur côté, les petits lieux de spectacles s’organisèrent au sein de l’Association des petits lieux d’arts et de spectacles (l’APLAS), qui fût constituée (et dirigée) par Croteau en mars 2006. L’AMAQ était leur fidèle alliée. Quant au conseil d’administration de la GMQ, il était divisé sur la question des petits lieux. Le trompettiste Denis Filiatrault et le uploads/s3/ retour-sur-le-mouvement-tous-contre-la-guilde-l-x27-amaq-et-quot-le-droit-a-l-x27-autodetermination-des-artistes-quot.pdf

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