WAGNER EN RÉGIONS : À LA RECHERCHE D’UN NOUVEL ART TOTAL Cécile Leblanc Armand
WAGNER EN RÉGIONS : À LA RECHERCHE D’UN NOUVEL ART TOTAL Cécile Leblanc Armand Colin | « Romantisme » 2018/3 n° 181 | pages 96 à 107 ISSN 0048-8593 ISBN 9782200931902 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-romantisme-2018-3-page-96.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Ce mouvement, toutefois, pousse poètes, musiciens et critiques musicaux à prendre en compte rapidement les musiques qui accompagnent ces textes, à une époque où la culture savante en Europe « cherchait à s’expliquer la culture populaire2 ». Entre 1853 et 1860, Joseph d’Ortigue prévoit ainsi la mise en relation des systèmes musicaux des différents peuples avec des climats, des mœurs, des langues, et imagine d’appeler cette analyse « ethnographie musicale3 ». Les musiciens et les poètes prennent donc conscience que, sans la musique, la chanson n’a pas lieu d’être, et peu à peu procèdent eux-mêmes aux notations musicales et en prescrivent le réemploi dans leurs œuvres4. Naît alors une véritable pratique ethnomusicologique officielle. Ainsi, de 1878 à 1908, le compositeur et ethnomusicologue Louis-Albert Bourgault-Ducoudray (1840-1910) occupe la chaire d’histoire de la musique au Conservatoire. Parallèlement, Charles Bordes et Vincent d’Indy, les fondateurs de la Schola Cantorum, établissement rival du Conservatoire, procéderont à de nombreuses collectes et, en 1905, Charles Bordes, unissant les forces, crée la Société « Les Chansons de France », avec le concours d’Yvette Guilbert, Déodat de Séverac et Louis-Albert Bourgault-Ducoudray5. Or, à la même époque, après des décennies de résistances politiques, la musique de Wagner commence à triompher à Paris et à imposer ses innovations esthétiques, en particulier le recours au mythe des origines. Pour les romantiques allemands, comme pour Wagner, c’est dans les terroirs que subsiste une humanité primitive, et 1. Voir Bernadette Lespinard, « Chanson populaire », Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, sous la direction de Bernard-Marie Fauquet, Paris, Fayard, 2003, p. 240. 2. Sylvie Bolle, « Folklore et folklorisation, la construction de l’autre et de soi », Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle, sous la direction de Jean-Jacques Nattiez, vol. 5, Arles/Paris, Actes Sud/ Cité de la musique, 2007, p. 204. 3. Voir la très intéressante Petite Chronologie sélective : http://gallica.bnf.fr/dossiers/html/dossiers/VoyagesEnFrance/themes/ChansonsCh.htm 4. Julien Tiersot analyse bien le phénomène dans son Histoire de la chanson populaire en France, Paris, Plon, 1889, p. 21-28. 5. Voir Déodat de Séverac, Écrits sur la musique, rassemblés et présentés par Pierre Guillot, Liège, Mardaga, 1993, p. 29. 2018-3 rticle on line rticle on line © Armand Colin | Téléchargé le 07/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 86.207.33.218) © Armand Colin | Téléchargé le 07/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 86.207.33.218) Wagner en régions 97 c’est dans les chants populaires qu’elle s’exprime. Si, à Paris, certains, à la suite des analyses Nietzsche et de Max Nordau, rendent la musique du maître de Bayreuth responsable de la décadence urbaine et des outrances snobs, dont Madame Verdurin reste le meilleur exemple, le wagnérisme authentique semble s’être réfugié dans les provinces6 où naît, avec le festival, un véritable renouveau du Gesamtkunswerk. Ce « réveil des provinces7 » qu’est la Belle Époque voit ainsi la création d’un art total régionaliste en plein air, à Orange ou à Béziers. Loin d’être un particularisme, en ce sens, l’art total régionaliste réoriente vers le sud, et surtout vers la Grèce, les idéaux généralisants portés par le wagnérisme. WAGNER ET LA MÉLODIE POPULAIRE La première occurrence du terme régionalisme « semble dater de 18748 » et des efforts de Léon de Berluc-Perussis (1835-1902) pour organiser une union latine avant d’intégrer le mouvement félibrige9. Si ce mouvement n’a pas eu le rôle politique fédérateur escompté10, son rôle dans la prise de conscience d’une véritable culture régionale fut immense. À partir de 1870, les musiciens et musicographes français mettent en avant la nécessité de concevoir un Ars gallica intégrant des musiques régionales sans renier la réforme wagnérienne. L’intérêt majeur porté aux régionalismes par les compositeurs relève donc d’abord d’une volonté de créer les conditions d’un post-wagnérisme à la française, d’une sorte de continuité artistique dans le renouvellement. En effet, Wagner avait imposé l’arrêt de l’utilisation des sujets historiques, apanage du grand opéra à la française, au profit de la légende et du conte populaire appuyés sur des chansons et élevés au rang du mythe, comme Judith Gautier en diffuse l’idée affirmant que « du chant populaire fredonné par les fileuses de Norwège [sic], en faisant tourner leur rouet, il [Wagner] s’élèvera jusqu’aux farouches grandeurs des théogonies du Nord11 ». Dans son numéro du 8 février 1885, la Revue wagnérienne publie un article non signé intitulé « La légende de Tristan d’après les romans du Moyen Âge12 » qui fait 6. Voir Robert F. Waters, Déodat de Séverac, Musical identity in Fin de siècle France, Cornwall, Ashgate, 2008, p. 54. 7. Katharine Ellis, « Vive la différence ? Rêves et enjeux du régionalisme français musical au tournant du XXe siècle », Provence et Languedoc à l’opéra en France au XIXe siècle, cultures et représentations, Jean-Christophe Branger et Sabine Teulon-Lardic (dir.), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2017, p. 109. 8. Ibid. 9. Robert F. Waters, Déodat de Séverac, Musical identity in Fin de siècle France, ouvr. cité, p. 43. 10. Voir Nicolas Berjoan, « L’idée latine du Félibrige : Enjeux, boires et déboires d’une politique étrangère régionaliste (1870-1890) », Revue d’histoire du XIXe siècle [En ligne], 42 | 2011, mis en ligne le 31 juillet 2014, consulté le 24 juillet 2017. http://rh19.revues.org/4110 ; DOI : 10.4000/rh19.4110 11. Judith Gautier, Richard Wagner et son œuvre poétique depuis Rienzi jusqu’à Parsifal, Paris, Charavay frères, 1882, p. 71. 12. « La légende de Tristan et les romans du Moyen Âge », La Revue wagnérienne, 8 février 1885, p. 18. Romantisme, n° 181 © Armand Colin | Téléchargé le 07/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 86.207.33.218) © Armand Colin | Téléchargé le 07/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 86.207.33.218) 98 Cécile Leblanc référence explicitement aux recherches de Théodore Hersart de la Villemarqué (1815- 1895)13 sur la matière de Bretagne. Édouard Dujardin, qui en est probablement l’auteur, et qui entend faire de sa revue un tremplin pour la création française post-wagnérienne, établit le lien entre les recherches romantiques menées notamment par Villemarqué et par Nerval, et les aspirations wagnériennes. Wagner, en effet, après Rousseau et avant Nerval, voyait dans le chant la première expression de l’humanité14. Sous l’influence du premier romantisme allemand et à la suite de Herder (Volkslieder, 1778-1779), les poètes ont vu « dans les Volkslieder anonymes des créations spontanées de l’âme populaire, du génie collectif, du Volksgeist15 ». Face aux grands centres urbains perçus comme cosmopolites et coupés de leur histoire, l’artiste doit revenir aux sources poétiques et musicales qui se rencontrent auprès du peuple des provinces. Depuis Nerval, la question de la chanson populaire a donc « clairement » une « portée programmatique16 ». Avec un objectif similaire, les musiciens du dernier quart du XIXe siècle se sont montrés particulièrement actifs. Déodat de Séverac retrouve dans les Pyrénées « la vitalité de cette forme de l’art primitif que l’on prétend à jamais perdue17 » et Charles Koechlin distingue « les gens des villes [...] gagnés à la civilisation moderne, au futurisme vaniteux et industriel, et ceux des campagnes où survit encore l’âme des siècles passés18 ». Ainsi, les musiciens qui se sont dit régionalistes sont en général de grands admirateurs et de très bons connaisseurs de Wagner comme le montre l’article sur Tristan et Iseult de Déodat de Séverac dans Le Messager de Toulouse, le 1er janvier 1900. Tous les « wagnéristes » autour de 1880 et jusqu’à 1914 chercheront à concilier enseignement du maître de Bayreuth et exploitation du patrimoine en procédant au réemploi des mélodies populaires souvent élevées au rang de motif ou de leitmotiv. Il ne s’agit pas de chercher « à se dégager des influences wagnériennes », pour « trouver la véritable identité française au fin fond des campagnes19 ». Il s’agit uploads/s3/ rom-181-0096 1 .pdf
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- Publié le Jui 13, 2021
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