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Tous droits réservés © Revue d'art contemporain ETC inc., 2005 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 8 fév. 2021 09:55 ETC Soliloques morbides de Kai Althoff Kai Althoff, Immo, Simullanhalle, Cologne, 4 septembre - 10 novembre 2004 Angela Lampe Portrait de l’autre Numéro 69, mars–avril–mai 2005 URI : https://id.erudit.org/iderudit/35193ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Revue d'art contemporain ETC inc. ISSN 0835-7641 (imprimé) 1923-3205 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu Lampe, A. (2005). Compte rendu de [Soliloques morbides de Kai Althoff / Kai Althoff, Immo, Simullanhalle, Cologne, 4 septembre - 10 novembre 2004]. ETC, (69), 73–75. AC/^UALlfÉ \ / r> t~\ c IRIONS Cologne SOLILOQUES MORBIDES DE KAI ALTHOFF K a i A l t h o f f , I m m o , S i m u 11 a n h a l l e , C o l o g n e , 4 s e p t e m b r e - 10 n o v e m b r e 2 0 0 4 « La puanteur était si forte, que sur l'herbe Vous crûtes vous évanouir. » Extrait du poème Une Charogne, de Charles Baudelaire vant même la fin de l'exposition Immo, de Kai Althoff, les responsables de la Simultanhalle - un espace d'art alter- natif à Cologne — furent obligés de retirer de la salle une figure de lapin, voilée et vêtue en dame du temps de jadis. La décom- position des véritables boyaux de l'animal que l'artiste avait fait saillir du ventre de la poupée répandait une odeur fétide, insupportable pour les visiteurs. Les en- trailles une fois brûlées, la figure fut installée à l'exté- rieur, appuyée contre le mur extérieur du bâtiment, telle une excroissance de l'espace artistique. Il se peut que ce lapin factice exhalant son fort inté- rieur incarne le personnage principal de l'exposition, Immo qui, selon un texte de l'artiste, doit être imaginé comme emprisonné dans la solitude, car il ne com- prend rien à l'amour et le vit comme une maladie. Le regroupement des tableaux d'Althoff, de ses dessins et sculptures les plus récents ne répond pas aux règles d'une présentation classique, ordonnée et intelligible, mais à l'image d'un décor de théâtre évoquant le psy- chisme d'une personne fictive. De ce point de vue, la Simultanhalle, une bâtisse vé- tusté située dans la banlieue de Cologne, est le lieu idéal: son grand hall dispose d'une estrade à deux ni- veaux. Althoff y a mis en scène une sorte de brocante, à la fois surchargée et raffinée, au parfum d'une déca- dence morbide. Un monde en demi-teinte recouvert de voiles, de chiffons et d'étoffes. L'entrée, que l'ar- tiste a composée de couvertures sur le sol, des bandes de tissu en travers des murs, d'une veille télévision et d'une dizaine de tableaux, figuratifs et abstraits, posés à même sur le sol ou accrochés sur les cloisons blanches, paraît comme sa couche abandonnée. Au milieu de la salle, au-des- sous d'un lustre kitsch des années 1970, nous attend une statue en deuil. Sur un haut piédestal, sous le crêpe et les plumes noirs, gisent deux têtes de mannequin, comme un couple d'amou- reux enfin réunis. Derrière cette draperie funèbre s'éta- le, devant un mur peint en noir, un bric-à-brac soigné de vieux meubles, d'objets anciens et d'œuvres d'art. On y remarque surtout un deuxième catafalque sta- tuaire enveloppé de rose, une lampe voilée, une im- posante horloge aux allures féminines, un vieux lan- dau, un paravent miroitant d'images publicitaires, un mannequin d'essayage, une deuxième télévision, un electrophone, plusieurs miroirs et toutes sortes d'ima- ges : des empreintes, des agrandissements photogra- phiques (notamment du meeting d'un groupement déjeunes nationalistes des années 1930 ou d'un boxer aux mains ensanglantées), des dessins figuratifs de style art nouveau, des peintures étranges aux tons violets et roses, des reliefs monochromes en noir et blanc et enfin, au premier plan, deux toiles d'une jeune femme seule portant une valise. L'ensemble respire le parfum fané de la Belle Époque, d'une féminité mélancolique qui se pare des draperies d'étoffes, de plumes et de fleurs, comme dans un ultime effort de séduction, sans plus y croire. Le temps du bon- heur est révolu. Il ne reste que la prison de la solitude, la douleur des souvenirs et les effluves de la mort. Pour Althoff, nous sommes dans une chambre funéraire. Invo- lontairement, on pense à des Esseintes, le héros décadent décrit par Joris-Karl Huysmans dans son célèbre roman A Rebours (1884), celui qui s'enferme dans une artifi- cialité morbide pour « parer l'insuffisance du monde »'. L'omniprésence de l'univers fin de siècle émane aussi des tableaux d'Althoff. À côté de quelques œuvres abstraites, sont exposées plusieurs toiles figuratives aux couleurs saturées et vives montrant déjeunes hommes (marchant, débout sur un skateboard ou en saints auréolés) ou un couple vêtu à l'ancienne. La plupart de ces tableaux sont réalisés dans un style d'aplat proche du synthétisme pictu- ral inventé par Paul Gauguin à Pont-Aven et, à travers la médiation de Paul Sérusier, adapté par les Nabis Edouard Vuillard et Félix Vallotton. Une scène conjugale entou- rant une femme assise à une table fait, en outre, penser aux œuvres symbolistes d'Edvard Munch. Kai Althoff, qui est né en 1966 à Cologne où il vit depuis, compte parmi les jeunes artistes allemands les plus en vogue de ce moment, notamment aux États- Unis2 et surtout grâce à ses tableaux et dessins figura- tifs. Avec Immo, il renoue avec ses espaces antérieurs dont les plus connus furent Reflux Lux (Galerie Neu, Berlin, 1998) où deux mannequins vautrés autour d'une table basse incarnaient le fanatisme et l'extré- misme de la jeunesse3, et Aus dir (2001), un « lieu de rencontre christique » installé dans la galerie Daniel Buchholz à Cologne, rappelant l'atmosphère des sa- lons de thé pour jeunes, typiques des années 1970, avec leurs affiches religieuses, leurs bougies, leurs bâ- tonnets d'encens et leur musique douce.4 Dans un certain sens, pour son projet actuel qui, sur un plan formel, se rapproche des accumulations de matériaux chères à son confrère Jonathan Meese, Al- thoff va plus loin. Au lieu de présenter un environ- nement extérieur à partir de souvenirs réels, il exté- riorise ses représentations intérieures. Il suit en cela la célèbre définition du symbolisme fournie en 1886 par Gustave Kahn en réponse au Manifeste de Jean Moréas : « Le but essentiel de notre art est l'objecti- vation du subjectif (l'extériorisation de l'idée) »5. Il ne s'agissait alors plus de suivre les règles du naturalisme, à savoir « la subjectivisation de l'objectif» ou bien, selon la fameuse formule de Zola, « la nature vue à travers d'un tempérament », mais de représenter un monde « à rebours », dans lequel l'extérieur est cons- titué d'images et de visions intérieures. Cependant, le fait qu'Althoff emprunte aujourd'hui une démarche analogue n'en fait pas pour autant un néo-symboliste. La théorie symboliste, qui se nourrit elle-même de I ; 1 certaines idées formulées au sein du premier romantisme allemand, s'est dissoute depuis dans les mouvements d'avant-garde — de l'abstraction au surréalisme - dont elle a préparé l'eclosion. Ce qui, en revanche, pa- raît plus singulier dans l'approche du jeune artiste allemand, c'est sa proxi- mité avec l'esthétique décadente qui, à partir de la Théorie de la Décadence formulée par l'écrivain et critique Paul Bourget en 1881, à propos de Charles Baudelaire, combattait les doctrines naturalistes pour frayer la voie au symbolisme. À l'instar de Huysmans qui, avec A rebours, fournit le manifeste incon- testé de cette nouvelle esthétique6, Althoff nous fait entrer dans l'uni- vers mental d'un personnage fictif, empreint d'un sentiment exacerbé de solitude et de défaite, dont le seul désir est de se tenir à l'écart de la so- ciété pour s'enfermer dans la sphère d'un univers intérieur et mettre l'art à la place de la vie. Si des Esseintes cherche à fuir « la banalité de l'exis- tence quotidienne en raffinant le plus possible sur la sensation »7, Althoff recherche plutôt les effets d'une morbidité tant visuelle qu'olfactive, proche des goûts de Baudelaire et de sa théorie des correspondan- ces. Typique de la littérature décadente, Huysmans comme Althoff ne tiennent plus à établir un contexte épique à partir d'une narration cohérente, mais pré- fèrent aligner des descriptions minutieuses d'objets et d'artefacts, comme si c'étaient eux qui incarne- raient le rôle principal8. Nous savons pourtant que le protagoniste A'A rebours est Huysmans lui-même. Il s'est projeté dans des Esseintes afin de conjurer ses propres hantises et peurs, afin de les expulser hors de lui en les objectivant dans une œuvre d'art9. uploads/s3/ soliloques-morbides-de-kai-althoff.pdf
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- Publié le Apv 22, 2021
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