No 21 decembre 2007 : Paris-New York Sur les traces de Rosalind Krauss La récep

No 21 decembre 2007 : Paris-New York Sur les traces de Rosalind Krauss La réception française de la notion d’index. 1977-1990 KATIA SCHNELLER p. 123-143 Résumé Texte intégral L’auteur souhaite remercier Philippe Dubois, Jacques Dubois, André Gunthert, Jean-Marie A la charnière des années 1970 et 1980, le champ photographique français s’est fait le théâtre d’un curieux zigzag théorique entre les milieux intellectuels francophone et anglophone. Comme en réponse à la French Theory qui nourrissait le monde de la pensée aux États-Unis depuis la fin des années 1960, une théorie américaine sur le médium – essentiellement incarnée par la figure de la critique et historienne de l’art new-yorkaise Rosalind Krauss – s’est progressivement imposée en France. Son intégration est le fruit d’un processus complexe de digestion et de déplacement, qui ne manque pas de rappeler celui par lequel les penseurs français tels que Michel Foucault, Jacques Derrida ou Gilles Deleuze furent assimilés et réduits à l’expression de “French Theory”. Le nom de Krauss s’est pour sa part trouvé associé à la notion d’index dans le champ photographique. Ce phénomène fit de son article “Notes on the Index”, publié en 1977 dans la revue October, la nouvelle référence américaine, et ce même si son propos fut élaboré par une historienne de l’art « à partir de la photographie, et non pas sur elle ». Pour Dominique Baqué, la théoricienne a « inconstestablement (…) confér[é] à la photographie son irréductibilité sémiologique » et est ainsi devenue « une inégalable caution théorique et critique pour la photographie des années 1980 ». Hubert Damisch ira jusqu’à établir sa pensée « aux côtés de la Petite Histoire de la photographie de Walter Benjamin ou de La Chambre claire de Roland Barthes ». Après 1977, une fois “Notes on the Index” paru, tout se passe en effet comme si la notion d’index contaminait le champ photographique : Barthes lui-même la manipule en 1980 dans La Chambre claire, et Philippe Dubois, dans L’Acte photographique en 1983, cite “Notes on the Index” comme un texte qui vient renouveler la pensée sur la photographie, à la suite duquel il inscrit sa propre réflexion. Klinkenberg, Jean Kempf, Rosalind Krauss ainsi que les organisateurs de la journée d’études pour leur aimable concours. L’index, un objet théorique contre le modernisme new-yorkais A la charnière des années 1970 et 1980, le champ photographique français s’est fait le théâtre d’un curieux zigzag théorique entre les milieux intellectuels francophone et anglophone. Comme en réponse à la French Theory1 qui nourrissait le monde de la pensée aux États-Unis depuis la fin des années 1960, une théorie américaine sur le médium – essentiellement incarnée par la figure de la critique et historienne de l’art new-yorkaise Rosalind Krauss – s’est progressivement imposée en France. Son intégration est le fruit d’un processus complexe de digestion et de déplacement, qui ne manque pas de rappeler celui par lequel les penseurs français tels que Michel Foucault, Jacques Derrida ou Gilles Deleuze furent assimilés et réduits à l’expression de “French Theory”. Le nom de Krauss s’est pour sa part trouvé associé à la notion d’index dans le champ photographique. Ce phénomène fit de son article “Notes on the Index2”, publié en 1977 dans la revue October, la nouvelle référence américaine3, et ce même si son propos fut élaboré par une historienne de l’art « à partir de la photographie, et non pas sur elle4 ». Pour Dominique Baqué, la théoricienne a « inconstestablement (…) confér[é] à la photographie son irréductibilité sémiologique » et est ainsi devenue « une inégalable caution théorique et critique pour la photographie des années 19805 ». Hubert Damisch ira jusqu’à établir sa pensée « aux côtés de la Petite Histoire de la photographie de Walter Benjamin ou de La Chambre claire de Roland Barthes6 ». Après 1977, une fois “Notes on the Index” paru, tout se passe en effet comme si la notion d’index contaminait le champ photographique : Barthes lui-même la manipule en 1980 dans La Chambre claire7, et Philippe Dubois, dans L’Acte photographique8 en 1983, cite “Notes on the Index” comme un texte qui vient renouveler la pensée sur la photographie, à la suite duquel il inscrit sa propre réflexion. 1 Le succès de cette notion d’index et de la théoricienne9 qui lui est associée ne relève pourtant pas d’une nouvelle forme d’américano​centrisme, comme celle qui s’était déjà affirmée dans la création artistique depuis que, pour reprendre les termes de Serge Guilbaut, « New York vola l’idée de l’art moderne à Paris10 » et Robert Rauschenberg remporta le prix de la Biennale de Venise en 196411. La spécificité de l’élaboration de ce nouveau jalon théorique entre 1977 (date de l’article de Krauss) et 1983 (date de parution de L’Acte photographique de Dubois) se constitue de trois phénomènes intriqués : celui du glissement d’un objet théorique initialement élaboré dans le contexte de l’histoire de l’art dans le domaine de l’histoire de la photographie, d’un glissement résultant lui-même d’un contexte d’échanges intellectuels transatlantiques franco-américains et de l’épanouissement contemporain de la sémiotique dans le milieu francophone. Afin de comprendre la complexité inhérente à la genèse de ce nouveau moment théorique, il faut procéder à une histoire de la circulation des idées et à une étude des rencontres intellectuelles qui ont eu lieu, mais aussi de celles qui n’ont pas eu lieu. Un retour sur le projet initial de Krauss, sur sa diffusion et sa réception dans le monde francophone permet de suivre le cheminement de cette notion d’index dans le champ photographique et de réévaluer l’importance d’un dialogue transatlantique à la fin des années 1970 et au début des années 1980. 2 “Notes on the Index” s’inscrit initialement dans le projet qui occupe Krauss depuis la fin des années 196012 : celui de renouveler la critique d’art américaine contre la doxa moderniste telle que le critique Clement Greenberg l’avait établie, notamment avec la publication de son ouvrage Art and Culture en 196113. Historienne de l’art formée à l’université de Harvard par Greenberg lui-même, c’est à la fin des années 1960, lorsqu’elle écrit pour la revue new-yorkaise Artforum, qu’elle s’émancipe progressivement de la pensée de son mentor14. Avec la critique d’art Annette Michelson, elle cherche une approche à même de prendre en compte les nouveaux types de création artistique qui se font jour autour d’elles, regroupés depuis sous les appellations 3 Minimalism, Post-minimalism ou Conceptual Art. Au même moment, les diverses approches critiques qui faisaient la richesse des débats au sein d’Artf​orum (entre autres le modernisme de Fried, la critique socio-politique de Max Kozloff et le versant structuraliste de Krauss et Michelson) ont de plus en plus de mal à se concilier15. Michelson et Krauss finissent par quitter la revue pour fonder en 1976 avec Jeremy Gilbert-Rolfe, October, une revue new-yorkaise indépendante16 et trimestrielle, publiée par le MIT Press pour l’Institute for Architecture and Urban Studies. Dans “About October17”, l’éditorial du premier numéro, les rédacteurs expliquent avoir choisi le nom de la revue pour célébrer ce moment d’octobre 1917 où l’énergie révolutionnaire russe fit se rencontrer pratique politique, recherche théorique et innovations artistiques, et dont le film October d’Eisenstein de 1927-1928 se veut emblématique. Ils placent ainsi leur revue sous le patronage du cinéma, une autre forme d’art que celles de la peinture et de la sculpture, consacrées par l’histoire de l’art. Leur principal souhait est d’ouvrir une recherche adaptée à l’interdisciplinarité de la création de leur époque18, afin de rompre avec le conservatisme des goûts et des méthodes d’une certaine critique académique américaine qui « continue d’exister comme un nombre d’entreprises isolées et archaïques19 ». Ils visent notamment Partisan Review (où publiait Greenberg), The New York Review of Books (où écrivait Susan Sontag) et Salmagundi. À la différence des revues spécialisées comme The Drama Review, Artforum ou Film Culture, leur champ d’investigation s’étendra donc des arts visuels et du cinéma à la performance et à la musique. La maquette qui fait la part belle au texte matérialise leur volonté de se démarquer d’un « journalisme pictural » et positionne d’emblée la revue pour un lectorat averti en matière de création artistique20. La photographie n’est pas présente dans ce manifeste d’intentions. Elle ne fait, pour ainsi dire, son apparition en tant qu’objet théorique qu’à partir des numéros 3 et 4 du printemps et de l’automne 1977, avec l’article en deux parties “Notes on the Index : Seventies Art in America21”, et sera abordée plus directement dans le numéro 5 de l’été 1978 qui lui est spécialement dédié. Les livraisons suivantes ne lui consacreront pas plus d’un article tous les deux ans, essentiellement rédigés par Krauss22. La photographie est donc présente mais pas dominante dans la revue. 4 Octobercherche à renouveler la critique et l’écriture de l’histoire de l’art. À cet effet, les outils théoriques convoqués sont multiples, avec une très nette prédominance du structuralisme23, mais aussi de la sémiologie, la linguistique et la psychanalyse. Dans “Notes on the Index”, Krauss se réfère à Barthes24, Bazin, Roman Jakobson, Émile Benveniste, Bruno Bettelheim, et surtout Charles Sanders Peirce à qui elle reprend la uploads/s3/ sur-les-traces-de-rosalind-krauss.pdf

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