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Volume ! 1 : 1 (2002) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Bastien Gallet Techniques électroniques et art musical : son, geste, écriture ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Bastien Gallet, « T echniques électroniques et art musical : son, geste, écriture », Volume ! [En ligne], 1 : 1 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2004, consulté le 08 juillet 2014. URL : http://volume.revues.org/2493 Éditeur : Editions Seteun http://volume.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://volume.revues.org/2493 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Editions Seteun Bastien GALLET, « Techniques électroniques et art musical : son, geste, écriture », Volume ! La revue des musiques populaires, n° 1(1), 2002, p. 17-28. Éditions Mélanie Seteun 17 Volume! 2002 - 1 Résumé. Cet article se propose de rendre compte des différentes musiques que le médium électro- nique a contribué à faire naître en partant de l’histoire des techniques musicales et de leur usage par les musiciens et les compositeurs. Nous montrons ainsi que les jeunes musiques électroniques (techno au sens large) investissent ces techniques d’une manière qui ne doit rien à l’usage que purent en faire les compositeurs. Une poétique des gestes contre une esthétique du timbre. Mots-clefs. Technique – Electronique – Sampler – Geste – Dispositif instrumental – Ecriture. techniques électroniques et art musical : son, geste, écriture par Bastien GALLET 18 Volume! 2002 - 1 Tout e technique nouvelle crée de nouveaux possibles mais c’est l’usage qu’on en fait qui détermine leur effectivité. L’enregistrement et la production électronique des sons élargirent considéra- blement le champ de l’art musical. La question est de savoir ce que firent les musiciens de cet élargissement imprévu. S’il est nécessaire d’explorer les possibles, il faut aussi sérier les usages. A condition de séparer clai- rement les réels usages musicaux des simples procédés techniques. La plupart des oppositions reconnues ne reposent souvent que sur des distinctions d’ordre technique : on oppose communément musique concrète et musique électronique sous prétexte que l’une privilégiait l’enregistrement des sons alors que l’autre les produisait sur des générateurs de fréquence. Mais il est un usage du microphone qui rend la musique dite concrète indiscernable de celle que l’on élabore dans les studios électroniques. Pierre Henry est plus proche de Karlheinz Stockhausen et de John Cage que de Ralph Hütter et de Juan Atkins. Il peut leur arriver d’user des mêmes instruments mais ils ne leur poseront pas les mêmes questions et il n’en sortira pas la même musique. L’histoire de la musique électronique au XXe siècle est l’histoire des différentes stratégies que les musiciens ont inventé afin de domestiquer des techniques sans cesse nouvelles. Cette histoire commence avec deux inventions conçues sans intention musicale et à deux courtes années d’intervalle, le téléphone et le phonographe. Gestes et machines Le 2 juin 1875, Graham Bell découvrit que le flux électrique peut, sous certaines conditions, transmettre à distance (d’un étage à l’autre de l’université de Boston) le son d’une voix faisant vibrer une membrane portant en son centre un disque de fer disposé devant un électro-aimant. L’expérience sera relatée bien des années plus tard par son fidèle assistant, Thomas A. Watson : « L’oscillation était parvenue à travers le fil électrique jusqu’au mécanisme receveur qui, heureusement, était en mesure de transformer le courant en un écho extrêmement faible du son de la voix qui l’avait généré. Plus heureux encore, pendant ce moment crucial, un homme tenait son oreille à peu de distance de ce mécanisme et il reconnut instantanément l’importance du son à peine audible qui venait d’être transmis par voie électrique. […] C’est à ce moment précis que le téléphone est né 1. » Entre l’oscillation électrique et la vibration sonore (représentés de part et d’autre par une même onde sinusoïdale), un passage (une première traduction) est ouvert qui ne sera plus jamais refermé. Le téléphone sera, l’année suivante, la première application de cette analogie fondamentale. Trente et un ans plus tard, en intercalant entre l’anode et la cathode de l’ampoule à vide de Fleming 2 une grille métallique permettant de régler le débit du courant électrique circulant entre les deux électrodes, Lee de Forest inventa l’amplification électronique 3. Il rendit ainsi possible les communications téléphoniques à longue distance (que la perte de puissance des oscillations électriques rendait impossible) et ouvrit la voie à la transmission radiophonique. Quelques années plus tard, après avoir monté plusieurs tubes en cascade afin d’augmenter leur effet amplificateur, Lee de Forest eut l’idée de renvoyer le courant de plaque d’un audion dans sa propre grille. Bouclé sur lui même, le tube émit un sifflement continu dont la hauteur changeait avec les variations de tension de la plaque : la lampe triode devint un générateur d’audiofréquences. C’est sur ce principe, celui d’un pur et simple feed-back, que Lee de Forest inventa, en 1915, le premier instrument de musique authentiquement électronique : l’Audion piano 4. Reliés aux touches d’un piano, les tubes à élec- trons se mettent à émettre, répondant aux gestes de l’interprète, des ondes sonores qui ont pour unique 19 Volume! 2002 - 1 source le flux oscillant entre les électrodes de la lampe. L’auditeur de ces sonorités nouvelles est d’emblée confronté à un problème de nomination. Le son électronique n’est rien en lui-même, son être est plasti- que. Le qualifier revient, comme le fera Lee de Forest quarante-cinq ans plus tard, à égrener le chapelet des ressemblances ou à évoquer les cacophonies d’un big band lunatique 5. Pour désigner ce qui n’est déjà plus vraiment un instrument de musique, Lee de Forest préfèrera à Audion piano, terme peu évocateur, une expression se son invention : « Squawk-a-phone », littéralement « Téléphone-à-couacs ». Ce nom étrange peut se lire comme une adresse ironique à Graham Bell. Le téléphone de Bell ne se contente plus de trans- mettre les voix, il se met à émettre des sons en son nom propre. Bouclé sur lui-même, il se prend à parler tout seul : avec la lampe triode, nous dit Lee de Forest, le téléphone s’invente une phonogonie. Le principe de l’Audion piano est à la base des principaux instruments électroniques d’avant-guerre, l’Æter- phone (1916) de Leon Theremin, les Ondes (1926) de Maurice Martenot et le Trautonium (1931) de Franz Trautwein. Ces deux derniers sont dotés d’un clavier et d’un banc de filtres agissant sur le timbre sonore. L’association d’un générateur de sons et d’un panel d’effets et de filtres sera caractéristique de toute la série des synthétiseurs analogiques, du RCA Mark I en 1956 aux synthétiseurs modulaires de Donald Buchla et de Robert Moog dans les années 60. Ils emprunteront tous l’apparence des instruments à clavier tradition- nels mais cette continuité revendiquée masque une rupture plus profonde, celle du geste instrumental. La lutherie électronique repose sur le principe du « relais » énergétique 6. L’instrument vient prendre le relais de l’interprète. L’énergie que celui-ci dépense n’est pas celle qui produira le son, comme c’est le cas pour les instruments acoustiques. Le musicien abandonne à son instrument (une machine qui ignore encore son pouvoir) le soin de la génération effective des sons. Il devient le déclencheur d’un mécanisme auquel il a cessé de participer. La continuité caractéristique du geste instrumental est rompu. L’imagerie robotique de la musique des années 70, du Disco au Krautrock, de Giorgio Moroder et Jean-Marc Cerrone à Can et Kraftwerk, exprimera avec force cette nouvelle logique instrumentale. Le musicien qui touche le clavier du synthétiseur cesse d’être un interprète, la singularité de son geste ne détermine qu’un son générique. Der- rière les machines, le robot occupe désormais la place de l’instrumentiste. L’évolution de la facture instrumentale n’est que le symptôme d’une évolution plus profonde et plus dura- ble, celle de l’art musical. En changeant de média, la musique s’est changée elle-même. La plasticité du son électronique rend inutile les médiations fastidieuses de l’écriture instrumentale. C’est sur lui et sur lui seul que devront porter les efforts de la composition musicale. On ne compose plus des notes sur des portées, on compose les ondes des oscillateurs électroniques, ces flux qui, depuis 1948, circulent entre les composants semi-conducteurs des transistors. En rendant audible le flux électronique, les machines vont faire plus que de créer de nouveaux sons, elles vont entraîner la musique dans des devenirs imprévus 7. L’électron était un vecteur, il devient une musique. Il transportait des uploads/s3/ techniques-electroniques-et-art-musical-son-geste-ecriture.pdf

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