PASCAL DUPOND ET LAURENT COURNARIE L’ETERNITE ET LE TEMPS Confessions Saint Aug
PASCAL DUPOND ET LAURENT COURNARIE L’ETERNITE ET LE TEMPS Confessions Saint Augustin, Livre XI Philopsis éditions numériques http ://www.philopsis.fr Les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. © Pascal Dupond – Laurent Cournarie - Philopsis 2012 L’ETERNITE ET LE TEMPS COMMENTAIRE DU LIVRE XI DES CONFESSIONS DE ST AUGUSTIN Le livre XI 1 est une méditation sur l’éternité, le temps et leur rapport. Comment cette méditation sur l’éternité et le temps est-elle introduite ? 1/ Avant de parler sur l’éternité, le livre XI commence par une im- mense prière à l’éternité ; cette prière d’ailleurs souligne d’emblée ce qu’il y a d’aporétique - et même de doublement aporétique - dans une parole adres- sée à Dieu (“pourquoi dès lors vous raconter tout le détail de ces faits…… ? ”) : a) Dieu est omniscient ; il ne peut donc rien apprendre de nous ; si la parole adressée à Dieu prétend lui communiquer une information, elle est évidemment vaine ; il en résulte que la parole adressée à Dieu n’a pas pour fin de communiquer, elle n’a pas pour fin de changer Dieu ; en parlant à Dieu, nous nous changeons nous-mêmes ; c’est un acte de parole qui vaut par sa propre profération. b) la prière s’adresse à un Dieu éternel depuis le temps ; ce qui conduit à se demander comment le temporel peut se rapporter à l’éternel. C’est tout le thème du livre XI 2/ La prière, par sa forme même, nous jette dans la dramatique du temps ; l’être qui prie se saisit comme temporel de part en part. La médita- tion augustinienne ne part pas d’un concept du temps, mais du temps comme dimension de l’existence, de l’expérience ; la méditation existen- tielle ouvre la voie à la méditation conceptuelle. Nous avons là d’ailleurs un fil conducteur du livre XI : nous sommes jetés dans le temps avant de réflé- chir sur lui, nous avons avec le temps une connivence, une complicité ; nous avons toujours déjà un savoir non thématique, marginal, silencieux du temps, une pré-compréhension du temps, qui d’ailleurs se dérobe dès que nous cherchons à la fixer en un concept explicite. 3/ Le chapitre. 2 annonce le projet des trois derniers livres : “méditer sur votre Loi”, c’est-à-dire méditer sur l’Ecriture. Dans le ch 3 s’engage une méditation sur le début de la Genèse : “dans le principe, Dieu a créé le ciel et la terre” – ici Augustin se livre à une fiction où il lui serait donné de pou- voir questionner Moïse, le rédacteur inspiré de la Genèse. Mais pour savoir si Moïse dit vrai, il faudrait comparer son discours dans l’âme avec la Vérité elle-même. Si l’Ecriture est l’autorité, la mesure de la vérité de l’autorité est la Vérité intérieure. D’emblée Augustin suggère le lien entre création et 1 Voir en particulier J. Guitton, Le temps et l’éternité chez Plotin et St Augustin, Paris, Boivin, 1933, réédition Vrin, 2004 ; H. Arendt, Le concept d’amour chez Augustin, Essait (poche) ; P. Ric- œur, Temps et récit, tome 1 ; F Vengeon, « Le temps dans la pensée de St Augustin, in Le temps, Thema, ed. A Schnell, Paris, Vrin, 2007 L'ETERNITE ET LE TEMPS © Pascal Dupond / Laurent Cournarie - www.philopsis.fr 3 parole à condition de distinguer le discours humain (ici représenté par la voix de Moïse) et le Verbe divin identique à la vérité intérieure. Au chapitre 5 apparaît le style aporétique de la méditation. L’aporie, c’est que la création ne peut être comprise sur le modèle de la production, telle que les Grecs l’ont comprise, contrairement à ce que pourra croire Thomas d’Aquin dans son De potentia, point de vue sur lequel il revient dans la Somme (Ia, 44, 2c). Le “modèle” de la production est inapplicable : tout en elle (la ma- tière, la représentation de la forme, l’âme même, les gestes, le corps…) 2 relevant de l’ordre du créé, elle est incapable d’expliquer la création 3. Reste donc à admettre que c’est la parole même de Dieu qui est créatrice. “Donc tu as parlé, et les choses ont été faites, et c’est dans ton Verbe que tu les as faites”. La parole créatrice sanctionne ainsi une dépendance absolue et une contingence absolue. Tandis que dans le néoplatonisme, l’Un en dépit de sa transcendance est comme dans la nécessité d’engendrer des êtres (proces- sion), comme s’il ne pouvait exister seul, le Créateur crée par un don gratuit. La création est donc précisément le don gratuit de l’être par l’Etre. Comment penser cette parole ? (ch. 6) L’Ecriture rapporte des mani- festations “intra-temporelles” de la parole de Dieu (“Celui-ci est mon fils bien-aimé”) ; lorsque la parole de Dieu se manifeste ainsi intratemporelle- ment, elle a un commencement, une fin, une successivité. Son régime onto- logique ne fait aucun doute : elle est le mouvement d’une chose créée. Ce mouvement est le médiateur entre le Verbe éternel qui s’exprime en elle et l’intelligence qui l’accueille comme expression du Verbe éternel ; et l’intelligence comprend que ce mouvement est au-dessous d’elle (puisqu’il n’a pas statut d’être, mais fuit et passe). Si donc on admet que la parole créatrice du Ciel et de la Terre relève du mouvement, donc d’une substance corporelle, donc de quelque chose de créé, le problème n’est pas résolu, mais simplement reculé : se repose la question de savoir quel est le statut de la parole originairement créatrice, celle qui a créé la parole qui a créé le Ciel et la Terre. Et puis aussi : d’où vient que la causalité divine créatrice soit pensée sous le régime de la parole ? 2 L’homme exerce bien une activité efficace dans la production (≠ occasionalisme) mais elle reste par ses conditionnements ultimes dépendante de la création divine (conditionnement de la ma- tière, de la forme, de l’agent, de ses propres facultés…). Donc inversement, l’action divine est créa- trice en tant qu’elle est libre de tout conditionnement (elle est inconditionnée). Mais si le monde n’est pas tiré d’un être, d’un lieu et d’un temps, bien que l’expression ne figure pas dans le texte ici, il s’agit bien d’une production ex nihilo. (la formule est donnée plus loin en XII, VII, 7) quand la créa- tion sera envisagée du point de vue du créé. Tout ce qui est n’existe que parce que Dieu est, sans cause intermédiaire. Le Verbe est précisément le nom qui désigne cette action transitive incondition- née 3 les êtres de la nature crient qu’ils ont été faits et ne se sont pas faits eux-mêmes (ch. 4) : est créé ce qui change, est incréé l’immuable – de sorte qu’on peut parler d’une confession du monde meme, d’un aveu d’indigence et d’une confession de louange (la beauté du monde est le signe de la beauté transcendante de Dieu L'ETERNITE ET LE TEMPS © Pascal Dupond / Laurent Cournarie - www.philopsis.fr 4 Le texte de la Vulgate (trad. de St Jérôme, à partir du texte grec de la Septante) se présente ainsi : 1 In principio creavit Deus caelum et terram 2 terra autem erat inanis et vacua et tenebrae super faciem abyssi et spiritus Dei ferebatur super aquas 3 dixitque Deus fiat lux et facta est lux 4 et vidit Deus lucem quod esset bona et dividit lucem et tenebras 5 appellavitque lucem diem et tenebras noctem factumque est vespere et mane dies unus La Bible de Jérusalem, ed. du Cerf, 1955, donne la traduction sui- vante : “Au commencement, Dieu créa le Ciel et la terre. Or la terre était va- gue et vide, les ténèbres couvraient l’abîme, l’esprit de Dieu planait sur les eaux. Dieu dit : “Que la lumière soit” et la lumière fut. Dieu vit que la lu- mière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière “jour” et les ténèbres “nuit”. Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour.” Creavit/créa : le mot hébreu est bara ; qui signifierait étymologique- ment couper ; il est spécifiquement employé pour exprimer l’action créatrice de Dieu. Il n’est pas question ici de création à partir du néant.. C’est l’idée de coupure de discontinuité qui domine, que l’on retrouve d’ailleurs au ni- veau de la création des poissons et de celle de l’homme. On ne trouve pas de référence directe non plus à la sphère de la parole. Celle-ci n’intervient ex- plicitement que dans la création de la lumière (Dieu dit – hébreu amira : la parole qui appartient à Elohim, le créateur des lois de la nature). Qu’en est-il, alors, du lien entre parole et création ? On voit au Chapitre 9 que la formule In Principio se réfère, selon la lecture qu’en fait augustin, à la sphère de la parole. In principio, en hébreu berechit, dans la Septante en archè, littérale- ment “dans un commencement” ; la uploads/s3/ temps-augustin-dupond-cournarie-pdf.pdf
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