Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Compte rendu par Veronique Verdier Circuit : musiques contemporaines, vol. 19, n° 3, 2009, p. 109-112. Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/038263ar DOI: 10.7202/038263ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 25 March 2013 11:19 Ouvrage recensé : Compte rendu : Écrits ou l’invention de la musique spectrale, Gérard Grisey, édition établie par Guy Lelong, avec la collaboration d’Anne-Marie Réby, MF, coll. « Répercussions ». 109 véronique verdier ACTUALITÉS Compte rendu : Écrits ou l’invention de la musique spectrale Gérard Grisey édition établie par Guy Lelong, avec la collaboration d’Anne-Marie Réby, MF, coll. « Répercussions ». veronique verdier La publication de ces Écrits, rassemblés par Guy Lelong, réjouira tous ceux qui s’intéressent de près à la création musicale contemporaine, elle permet de pénétrer dans l’univers d’un compositeur dont l’œuvre marque indéniablement la seconde moitié du xxe siècle. Cet ouvrage rassemble les écrits significatifs de Gérard Grisey (1946-1998), des textes qui, pour la plupart, ont été publiés de son vivant, mais qui étaient épuisés ou difficilement accessibles. Guy Lelong a regroupé ces textes selon différentes catégories qui permettent une lecture aisée : écrits sur les principes de composition, écrits sur les œuvres incluant des textes tech- niques sur le temps musical ou sur la synthèse sonore, accompagnés d’analy- ses de ses propres partitions, différents textes de circonstance, des entretiens, quelques lettres et quelques extraits d’un journal que tenait Gérard Grisey ; l’ensemble s’accompagnant d’un cahier de photographies et d’un dossier très complet. On peut juste regretter l’absence d’un index thématique qui facili- terait le travail des chercheurs. Trois grands registres, donc : une réflexion du compositeur sur son acte de composition ; des analyses plus générales du rapport de la musique avec le contexte social, la forme du concert, son enseignement ; et enfin des écrits plus intimes qui ouvrent sur l’existence d’un homme qui créait avec un engagement sans cesse renouvelé. Des textes portant sur la composition se dégagent les préoccupations constantes de Gérard Grisey, en particulier son souci de la perception qui 110 circuit volume 19 numéro 3 se décline essentiellement sous deux aspects : une reconsidération du son et une maîtrise extrême de la temporalité. Après le sérialisme, qui s’était éloigné de préoccupations acoustiques et perceptives, il s’agit, dans une démarche quasi phénoménologique, de reve- nir au son même, et, plus précisément, aux composantes du spectre sonore. Le son n’est pas pour Gérard Grisey un matériau neutre, inerte, permutable et interchangeable. Chaque son possède des qualités acoustiques qui lui sont propres et cette reconnaissance permet au compositeur de jouer avec l’im- mense palette des sons, du son sinusoïdal jusqu’au bruit blanc, en passant par l’utilisation de fréquences non tempérées. On ne saurait pour autant réduire et limiter la musique spectrale au sim- ple déploiement d’un modèle acoustique. Gérard Grisey se démarque expli- citement d’un naturalisme étroit. « S’il est vrai que notre modèle est la nature même des sons, il faut l’entendre au sens de point de repère ou de balise pour une dérive imaginaire où tout est possible » (p. 53). Il faut surtout com- prendre cet ancrage dans un modèle acoustique comme la recherche d’une adéquation optimale entre le conçu et le perçu. La composition du devenir des sons, dans une conception dynamique et directionnelle du temps, constitue le second aspect de la prise en compte de l’expérience perceptive. Partant du constat que le temps perçu n’est pas homogène, qu’il subit des variations, qu’il se dilate ou se contracte, précisé- ment en fonction des événements qui y ont lieu, Gérard Grisey, rejoignant ainsi une problématique bergsonienne, valorise une durée continuellement mouvante et changeante en délaissant une conception abstraite et mathé- matique d’un temps constitué d’instants rigoureusement égaux les uns par rapport aux autres. Il s’agit de composer le temps musical en ayant toujours à l’esprit que l’écoute doit offrir un jeu constant entre l’attente et l’accomplis- sement afin de demeurer active et dynamique. Pour créer un dynamisme musical, Gérard Grisey préfère partir d’un continuum sonore qui assure des repères perceptifs clairs à l’auditeur. « Une musique faite de contrastes, de fracas violents et de ruptures n’est pas forcé- ment dynamique. Je connais bien des musiques de type sériel, agressives, ­ contrastées et éclatées qui sont en fait profondément statiques » (p. 225). L’agitation événementielle ne dessine pas d’itinéraire. Toutefois, en 1984, à la suite de l’écoute de Désintégrations de Tristan Murail, Gérard Grisey éprouve le désir de rompre avec son obsession de la lenteur du processus et d’introduire de la rapidité. La composition de Talea (1986) marque alors une nouvelle période dans son travail, mais cette rapidité s’intègre à une certaine 111 véronique verdier continuité car c’est toujours à partir d’une certaine prévisibilité que l’inat- tendu peut apparaître comme tel. Avec la musique spectrale, on découvre, presque avec étonnement, que la musique contemporaine peut être audible, agréable et sensuelle, ce qui suscite des reproches d’hédonisme et de facilité. Gérard Grisey répond : Le rapport que la musique entretient avec l’acoustique est tel que l’instrument sonne dans un contexte qui est le sien et rend toute la plénitude de sa sonorité. Si la musique qui sonne de façon satisfaisante est taxée d’hédonisme, alors non seulement j’accepte l’hédonisme mais je revendique le plaisir du son comme une forme d’éro- tisme et je renvoie à la musique castrée qui a sévi pendant de nombreuses années tous ceux auxquels ce plaisir fait peur. (p. 37) Si sa musique suscite un plaisir indéniable, Gérard Grisey ne peut y voir qu’un gage de réussite puisqu’il cherche précisément à créer des moments où le son nous comble. En ce qui concerne la facilité, certes, Gérard Grisey s’élève contre la complexité de partitions dont il ne reste aucune trace sonore. Il déclare, à différentes occasions, qu’il ne faut pas prendre la carte pour le territoire, confondre l’œuvre avec la partition, l’écriture et la partition devant demeurer des médiations au service d’une perception attentive. Mais l’apparente sim- plicité de la musique spectrale ne saurait en aucun cas être confondue avec une forme de spontanéisme, car l’évidence perceptive est l’aboutissement d’une recherche, d’un long travail, d’une lente et complexe élaboration qui doivent comme s’effacer à la perception. L’idéal, pour moi, est que la complexité des structures ne serve pas de repoussoir à l’audibilité, mais qu’elle sous-tende un événement simple en apparence. J’espère parvenir un jour à une multiplicité de niveaux d’écoute ou d’appréhension du dis- cours musical, qui ne soit jamais obturée par une complexité gratuite et souvent très académique. Mon idéal est mozartien, en quelque sorte ; la musique d’Ockeghem en est un autre exemple. (p. 236) À la lecture de ces textes, se dégage une conception très haute de l’ar- tiste comme créateur. La composition, pour Gérard Grisey, n’est jamais une production aisée reposant sur des recettes éprouvées. « Chaque œuvre nou- velle est pour moi une aventure nécessaire. Je ne suis pas un producteur de musique, il me faut l’aiguillon d’une idée nouvelle, d’un problème formel apparemment insoluble ou d’un son inouï que j’entends mais que je n’ai pas encore réalisé » (p. 241). Dès son élaboration, chaque œuvre est unique et répond à un investissement total ; la répétition, le rabâchage relèvent de la société de consommation et du jetable, vivement rejetés, et non de la création pérenne. 112 circuit volume 19 numéro 3 Les quelques lettres et les extraits du journal constituent la partie la plus courte du livre, mais pas la moins importante, car la personnalité de Gérard Grisey y affleure par touches, en particulier son amitié fidèle avec le com- positeur Gérard Zinsstag. On y découvre aussi l’engagement existentiel du compositeur, sa quête permanente de temps pour composer, son besoin de s’isoler et de se détacher des tracas de la vie quotidienne afin de trouver la plus grande concentration, son difficile équilibre entre les commandes qu’il accepte, mais dont il doit maîtriser les échéances. Le plus précieux étant toujours le temps, du temps pour imaginer et pour travailler, et des moyens financiers pour disposer de ce temps ! Il écrit ainsi avec humour et lucidité : Contrairement à certaines allégations toutes religieuses du xixe siècle, un artiste mal- heureux n’est pas meilleur pour autant et la pauvreté ne rend pas génial. L’exemple finlandais a montré qu’un artiste soutenu culturellement par son pays qui croit en lui et en ses capacités de rayonnement, ne sombre pas nécessairement dans l’alcoo- lisme, la dépression ou la stérilité. (p. 181) On perçoit uploads/s3/ compte-rendu-ecrits-gerard-grisey.pdf

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