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HAL Id: hal-02139733 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02139733 Submitted on 25 May 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Une muséologie critique des objets exotiques Franck Beuvier To cite this version: Franck Beuvier. Une muséologie critique des objets exotiques : Autour de l’exposition ”Le musée cannibale”. Gradhiva : revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie , Musée du quai Branly, 2003, 33. ￿hal-02139733￿ 1 Une muséologie critique des objets exotiques Autour de l’exposition « Le musée cannibale » Franck Beuvier « Prenez à gauche et montez l’escalier.. » Suivant les conseils qui viennent de m’être donnés, je m’engage dans le passage indiqué. Tandis que je débute l’ascension d’un escalier sombre et interminable, mon œil est attiré à son sommet par une source lumineuse éclairant probablement un cartel. Arrivé au terme de ma progression dans cette montée des marches quasi sacralisée, je peux lire : « L’embarras du choix. » Ce cartel introduit le premier espace thématique de l’exposition temporaire Le musée cannibale1. L’équipe du Musée d’Ethnographie de Neuchâtel nous invite ici à explorer la nature de la pulsion cannibale en Occident telle qu’elle se caractérise dans le phénomène muséal, et « [du] désir de se nourrir des autres qui a présidé à la création et au développement des musées d’ethnographie2. » Cette métaphore s’avère d’une grande efficacité pour révéler les idéologies et les pratiques de conservation et d’exposition à l’œuvre dans ces institutions . « Pour alimenter les visiteurs de leurs expositions, les muséologues extraient de leurs réserves des bribes de culture matérielle qu’ils apprêtent sur la base de recettes contrastées destinées à présenter tel ou tel aspect d’une similarité ou d’une différence entre l’ici et l’ailleurs. Ils dressent la table de cérémonie qui permet la consommation d’un lien social avec l’humanité tout entière3. » Ce pamphlet « expographique » donne le ton de l’ouvrage collectif4 qui l’accompagne. Quel devenir envisager pour les musées à vocation ethnographique demande GHK aux contributeurs réunis ici, qu’ils soient anthropologues, muséologues, conservateurs ou historiens de l’art. « Serait-il judicieux de nous associer aux centres de culture contemporaine ou aux musées d’art contemporain ? Vaudrait-il mieux raviver les anciennes alliances avec nos 1 Musée d’Ethnographie de Neuchâtel, 09 mars 2002-02 mars 2003. 2 Extrait du livret de présentation de l’exposition. 3 Ibid. 4 Le musée cannibale, Textes réunis et édités par Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard et Roland Kaher, Musée d’ethnographie, Neuchâtel, Suisse, 2002, 295 p., 2 fig. 2 collègues des musées d’histoire naturelle, dont l’objectif consiste de plus en plus souvent à ramener l’homme et la société au centre de leurs discours sur le vivant ? Voulons-nous plus ambitieusement devenir des centres d’interprétation du patrimoine mondial, en abattant au passage les barrières existantes entre l’ethnographie d’ici et d’ailleurs ? Ou désirons-nous au contraire nous replier sur une spécificité à redécouvrir, à redéfinir5 ? » Le musée cannibale Après la lecture de ce premier cartel, je me tourne du côté droit et je rentre dans une première pièce en forme de couloir. Un amas d’objets de toute sorte submerge la partie latérale gauche de cet espace étroit et sombre : une chaise de bureau, un caddie de supermarché, un mannequin en plastique, une vieille fontaine, une cantine, une tour d’ordinateur, un pouf touristique arabisant, un appui-tête ou un tabouret africain (on ne sait pas très bien), une boîte de gâteaux métallique de nos grands-mères, un tractopelle d’enfant, un masque type fang, et tout un tas d’autres objets exotiques et occidentaux que j’identifie avec difficulté…, roller, vieille passoire cabossée, sans oublier bien sûr la balayette avec sa pelle en plastique de couleur verte somme toute assez récente. J’arrête ici cette liste non exhaustive. Je refais un tour.. A priori rien ne distingue tous ces objets : nous sommes dans une sorte de débarras, de grenier, voire de déchetterie. L’effet de profusion est accentué par l’étroitesse spatiale et par les miroirs situés aux extrémités qui réfléchissent à l’infini ce capharnaüm. Je continue ma progression : « L’appétit vient en classant. » Nous entrons ici dans un univers quasi-carcéral : devant nous une allée centrale, avec de chaque côté trois portes grillagées à travers lesquelles on distingue des petits espaces (évoquant des chenils). Chacun d’eux est surmonté d’une enseigne portant le nom d’une institution muséale. J’approche de la première cage sur ma gauche consacrée au Musée d’archéologie. À l’intérieur, une caisse de grande dimension occupe la totalité du lieu. Elle est remplie d’échantillons minéraux et végétaux 5 GHK 2002 : 10. 3 divers soigneusement rangés et emballés dans des sacs en plastique. Sur le mur du fond, nous pouvons lire : Terrain de chasse : chantiers, sépultures Obsessions majeures : accumuler, chasser, remonter en descendant Taxinomie préférée : pierre, bronze, fer Vient ensuite la cellule du Musée des Beaux-Arts. Là, dans une caisse identique à la première, sont entreposés des tableaux classés par ordre alphabétique. Pour information, nous sommes entre la fin des M et le début des N comme le signale le repère alphabétique à gauche. A chaque tableau est associé une étiquette descriptive précisant le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre et la cote. Terrain de chasse : vente aux enchères, généreux donateurs Obsessions majeures : accumuler, classer, juxtaposer Taxinomie préférée : toile, papier non encadré, papier encadré, sculpture. Le Musée du quotidien. La caisse renferme cette fois-ci un bric-à-brac de grenier, un ensemble d’objets usagés devenus obsolètes : un attaché case sur lequel figurent des autocollants, un avion en plastique, des jouets divers, un haut de mannequin avec un soutien-gorge à fleurs de couleur rouge, verte et blanche…, et une vache violette. Toute la famille y est représentée! Faisons volte-face. Nous nous retrouvons maintenant devant la cellule du Musée à venir. Ici, surprise : la caisse est vide. Ce vide est amplifié par l’éclairage qui accroît artificiellement le volume déjà conséquent de la caisse. Le petit descriptif indiquant les caractéristiques de l’institution adopte un ton attentiste sur le registre : on jugera sur pièce. A droite du musée à venir, les deux autres cellules présentent sur le même modèle le Musée des techniques et le Musée d’histoire naturelle. On est brutalement passé du capharnaüm au rangement systématique. Les musées apparaissent comme des lieux austères et inquiétants, régis par des comportements de collecte, d’indexation et de conservation pathologiques. 4 « Le goût des autres.» A gauche du Musée à venir, la cellule du Musée d’ethnographie est ouverte. Allons-y ! On pénètre dans une salle assez vaste, une sorte de lieu de travail, un laboratoire. Ah, j’allais oublier le petit descriptif qui, contrairement aux autres cellules, est peu visible et volontairement mal éclairé. Terrain de chasse : les différentes cultures Obsessions majeures : accumuler, classer, respecter les cultures Taxinomie préférée : culture A, culture B, culture C. Au premier plan à gauche, une caisse, semblable aux autres, caisse qui vient juste d’arriver ou, du moins, qui vient d’être remontée des réserves. Regardons ce que cette caisse renferme : des hottes avec anses pour le transport, différents tapis ou nattes, en fibre essentiellement, abîmés pour certains, en meilleur état pour d’autres. Aucune indication ne nous est donnée par contre sur leur provenance. Au milieu de la pièce, dans le prolongement de la caisse, trône une table rectangulaire de travail, sorte de grand plateau blanc aux formes épurées sur lequel figurent différents objets (terre cuite anthropomorphe, flèches, etc.) en cours d’analyse (nettoyage, mesure, indexation et classement), ainsi que les ustensiles (balance électronique, pinceau, instrument de mesure, documents d’information) prévus à cet effet. A l’extrémité droite de ce plateau, nous observons sur l’écran d’ordinateur la base de données du musée de Neuchâtel. Lorsque je lève les yeux, des diapositives se succèdent sur l’écran. Je me retourne et je vais m’asseoir sur le banc pour prendre le diaporama en cours. Ces diapositives présentent les différents acteurs historiques à l’origine de la constitution des collections. On y découvre donc des administrateurs, des ethnologues, des donateurs, et quelques documents comme des extraits de manuel de procédure de collecte, le tout sur fond de décor muséal. Ce diaporama laisse l’impression d’une époque dominée par une logique de prédation et de prélèvement autoritaire. Depuis que je suis rentrée dans cette pièce, une atmosphère de brasserie règne. Cette ambiance provient des fenêtres circulaires grillagées situées de part et d’autre de la paroi du fond. Je m’approche donc, attiré par ces bruits insolites. A travers le grillage, apparaît en contrebas la salle de restaurant du musée aux heures 5 pleines : bruits de verre, de tasses de cafés, et brouhaha de discussions. Ne pouvant en savoir plus pour le moment, je fais demi-tour. « La chambre froide. » uploads/s3/ beuvier-musee-cannibale.pdf

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