Appareil 17 (2016) Art et Médium ..............................................
Appareil 17 (2016) Art et Médium ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Clement Greenberg La peinture moderniste ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Clement Greenberg, « La peinture moderniste », Appareil [En ligne], 17 | 2016, mis en ligne le 12 juillet 2016, consulté le 14 septembre 2016. URL : http://appareil.revues.org/2302 Éditeur : Maison des Sciences de l'Homme Paris Nord http://appareil.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://appareil.revues.org/2302 Document généré automatiquement le 14 septembre 2016. contrat creative commons La peinture moderniste 2 Appareil, 17 | 2016 Clement Greenberg La peinture moderniste Traduction de Traduction de l’anglais (États-Unis) par Pascal Krajewski avec l’aimable autorisation de Sarah Greenberg Morse for the Estate of Clement Greenberg La peinture moderniste 1 Le Modernisme ne concerne pas que l’art et la littérature. Aujourd’hui, il touche presque l’intégralité de ce qui est véritablement vivant dans notre culture. Pour autant, il nous apparaît comme une véritable nouveauté historique. La civilisation occidentale n’est pas la première civilisation à inspecter et questionner ses propres fondements, mais elle est celle qui a été le plus loin dans ce sens. J’identifie l’avènement du Modernisme avec l’intensification, voire l’exacerbation de cette tendance auto-critique qui a commencé avec le philosophe Kant. Parce qu’il a été le premier à critiquer les moyens mêmes de la critique, je considère Kant comme le premier vrai moderniste. 2 L’essence du Modernisme, tel que je le vois, réside dans l’utilisation des méthodes spécifiques d’une discipline pour critiquer cette discipline elle-même, non pas afin de la subvertir mais dans le but de l’asseoir plus solidement dans son domaine de compétences. Kant a utilisé la logique pour établir les limites de la logique, et alors même qu’il ôtait beaucoup à l’ancienne juridiction de celle-ci, il la renforçait et l’assurait d’autant plus fermement dans son assise réduite. 3 L’auto-critique [self-criticism] du Modernisme fait son lit du criticisme des Lumières tout en s’en distinguant. Les Lumières critiquaient de l’extérieur, comme la critique au sens ordinaire du terme le fait habituellement ; le Modernisme critique de l’intérieur, à travers les propres procédures de ce qui est critiqué. Il semble naturel que ce nouveau genre de critique soit d’abord apparu en philosophie, qui est critique par définition ; mais plus le XVIII e siècle avançait, plus il pénétrait de nombreux autres domaines. On commença à exiger de toute forme d’activité sociale une justification plus rationnelle, et l’auto-criticisme kantien, qui avait d’abord émergé en philosophie pour répondre à cette exigence, finit par être convoqué dans des domaines bien éloignés de la philosophie, pour trouver et interpréter de telles justifications. 4 Nous savons ce qui est arrivé à un domaine d’activités tel que la religion, qui ne pouvait pas recourir au criticisme kantien, immanent, pour se justifier. À première vue, on pourrait estimer que les arts se sont retrouvés dans une situation analogue à celle de la religion. S’étant vus refuser par la philosophie des Lumières toutes les tâches qu’ils auraient pu sérieusement faire leur, ils risquaient de se voir assimilés au divertissement pur et simple, et le divertissement lui-même semblait devoir être assimilé, au même titre que la religion, à la thérapie. Les arts ne pouvaient se sauver de ce nivellement par le bas qu’en démontrant que le genre d’expériences qu’ils offraient avait une valeur en soi et ne saurait être obtenu par un autre type d’activités. 5 Il s’avéra que chaque art devait produire cette démonstration pour son propre compte. Ce qui devait être exposé n’était pas seulement ce qui était unique et irréductible à l’art en général, mais aussi ce qui, pour chaque art particulier, lui était unique et irréductible. Chaque art devait déterminer, au travers de ses propres méthodes et œuvres, les effets qui lui étaient exclusifs. Ce faisant, il réduirait assurément son domaine de compétences, mais en même temps, il étayerait ce domaine de manière bien plus solide. 6 Il apparut rapidement que le domaine de compétences unique, propre à chaque art, coïncidait avec tout ce qui était unique dans la nature de son médium. La tâche de l’auto-critique consistait alors à éliminer, des effets spécifiques de chaque art, le moindre effet qui aurait éventuellement pu être emprunté à un autre médium, ou importé au travers du médium d’un autre art. Ainsi, chaque art serait rendu « pur » et trouverait dans sa « pureté » la garantie de son excellence ainsi que de son indépendance. « Pureté » signifiait auto-définition, et l’entreprise d’auto-critique dans les arts devint celle d’une auto-définition revancharde. 7 L’art réaliste ou naturaliste avait occulté le médium, en utilisant l’art pour se dissimuler comme art ; le Modernisme utilisa son art pour attirer l’attention sur l’art. Les limites qui La peinture moderniste 3 Appareil, 17 | 2016 constituent le médium de la peinture – la surface plane, la forme du support, les propriétés du pigment – ont été traitées par les Maîtres Anciens comme des facteurs négatifs, qui ne se rencontraient qu’implicitement ou indirectement. Avec le Modernisme, ces mêmes limites furent considérées comme des facteurs positifs, et ont été ouvertement présentées. Les œuvres de Manet devinrent les premières peintures modernistes en vertu de la franchise avec laquelle elles affirmaient les surfaces planes sur lesquelles elles étaient peintes. Les impressionnistes, dans le sillage de Manet, abandonnèrent les sous-couches et les glacis, afin que l’œil n’ait aucun doute sur le fait que les couleurs qu’ils utilisaient provenaient de peinture en tubes ou en pots. Cézanne sacrifia la vraisemblance, ou l’exactitude, afin d’adapter plus explicitement ses traits et son dessin à la forme rectangulaire de la toile. 8 Et l’insistance sur l’inéluctable planéité de la surface [flatness of the surface] fut le point le plus fondamental dans les processus critiques par lesquels l’art de la peinture chercha à se définir au cours du Modernisme. Car la planéité était le seul élément exclusif de l’art pictural. Le format de la toile était certes une condition limitante, voire une norme, mais elle était partagée avec l’art du théâtre ; la couleur était une norme et un moyen que connaissaient non seulement le théâtre, mais aussi la sculpture. Parce que cette planéité était la seule condition que la peinture ne partageait avec aucun autre art, la peinture moderniste se tourna d’elle- même vers la planéité comme vers aucune autre chose. 9 Les Maîtres Anciens avaient pressenti la nécessité de préserver ce qu’on appelle l’intégrité du plan de l’image [picture plane] : c’est-à-dire de signifier la présence durable de la planéité en-dessous et par-dessus l’illusion la plus éclatante d’un espace tridimensionnel. Le succès de leur art, comme de tout art pictural, tenait essentiellement à cette apparente contradiction. Les modernistes n’ont ni refusé ni résolu cette contradiction ; bien plutôt, ils en ont inversé les termes. La planéité de leurs tableaux frappe l’observateur avant, et non plus après, la découverte du contenu de cette planéité. Alors que chez un Maître Ancien on a tendance à voir ce qui est peint avant de voir le tableau lui-même, on voit un tableau moderniste d’abord comme un tableau. Il s’agit là, bien sûr, de la meilleure façon de regarder tout tableau, ancien ou moderniste, mais le Modernisme l’impose comme la seule et nécessaire voie du regard, de sorte que le succès du Modernisme consacre le succès de l’auto-critique. 10 La peinture moderniste, en sa plus récente phase, n’a pas abandonné par principe la représentation d’objets reconnaissables. Ce qu’elle a abandonné par principe, c’est la représentation d’un certain type d’espace dans lequel des objets reconnaissables peuvent habiter. En soi, l’abstraction (ou la non-figuration) n’a toujours pas prouvé qu’elle était un moment absolument nécessaire de cette auto-critique de l’art pictural, même si des artistes aussi éminents que Kandinsky et Mondrian le pensaient. En soi, la représentation et l’illustration ne s’opposent pas à la spécificité de l’art pictural ; ce qui la contrarie, ce sont les liaisons entre les choses représentées. Toutes les choses reconnaissables (y compris les tableaux eux-mêmes) existent dans un espace tridimensionnel, et la moindre suggestion d’une chose reconnaissable suffit à convoquer les relations tridimensionnelles de ce genre d’espace. La silhouette fragmentaire d’une figure humaine, ou d’une tasse de thé, engendrera ce type d’espace relationnel, et, ce faisant, dénaturera l’espace pictural en lui ôtant sa stricte bidimensionnalité qui est pourtant la garantie de l’indépendance de la peinture comme art. Car, comme cela a déjà été dit, la tridimensionnalité est le royaume de uploads/s3/ c-greensberg.pdf
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- Publié le Mai 17, 2021
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