22/08/17 - 21:54 Audition d’œuvres de Claude Debussy au Brésil et milieu musica
22/08/17 - 21:54 Audition d’œuvres de Claude Debussy au Brésil et milieu musical brésilien au début du XXe siècle MANOEL CORRÊA DO LAGO* Dans la littérature relative à la vie musicale brésilienne du début du XXe siècle, il est courant d’attribuer l’introduction au Brésil de la musique de Claude Debussy à des évènements « exogènes » : les deux excursions des Ballets Russes en 1913 et 1917, habituellement crédités de la première audition du Prélude à l’après-midi d’un faune1 ; la tournée triomphale du jeune Arthur Rubinstein en juin et juillet 1918, avec une dizaine de récitals au cours desquels il interpréta entre autres L’Isle joyeuse et une grande partie des deux livres des Préludes et des Images ; l’influence de Darius Milhaud pendant son long séjour à Rio entre février 1917 et novembre 19182, dans ses fonctions de secrétaire de Paul Claudel et d’ « attaché culturel » de facto3 de la Légation de France . 1* Cet article est partiellement tiré de ma thèse (cf. Manoel Corrêa do Lago, O Circulo Veloso-Guerra e Darius Milhaud no Brasil : Modernismo musical no Rio de Janeiro antes da Semana, thèse de Doctorat, Unirio, 2005, consultable sur http://ged1.capes.gov.br/CapesProcessos/918717-ARQ/918717_5.PDF), qui a bénéficié de l’aide inestimable de Paul Guerra et de son fils Bernard, qui ont mis à ma disposition l’ensemble de la documentation en leur possession relative à leurs parents et grand-parents Oswald et Nininha Guerra. Je leur suis profondément reconnaissant pour leur soutien et leur générosité tout au long de mes recherches et c’est avec une particulière émotion que j´ aimerais évoquerr la mémoire de Paul Guerra et de son épouse Nicole, décédés au moment où s’achevait l’écriture de cet article. Je tiens en outre à remercier Mercedes Reis Pequeno, Flavio Silva, Elizabeth Lucas, Maria Francisca Junqueira et Myriam Chimènes, à qui le présent article doit beaucoup. Je suis tout particulièrement reconnaissant à Myriam Chimènes et Alexandra Laederich pour leur aide précieuse dans la révision du texte et à l’élaboration des tableaux. Contrairement à ce qu’affirme Lisa Peppercorn (Villa-Lobos, Southampton, Omnibus Press, 1989 et Villa-Lobos: The Music, London, Kahn & Averill, 1991) et à sa suite notamment EeroTarasti (Heitor Villa-Lobos: The Life and Works, 1887-1959, Jefferson, McFarland, 1995) et Simon Wright (Villa-Lobos, New York, Oxford University Press, 1992), les Ballets Russes ne furent pas plus responsables de l’introduction au Brésil d’œuvres de Ravel et de Stravinsky (cf. Manoel Corrêa do Lago, O Circulo Veloso-Guerra e Darius Milhaud no Brasil..., op. cit.) que de la première audition du Prélude à l’après-midi d’un faune (cf. Aires de Andrade, « A proposito de um centenário. Da estréia no Brasil de duas obras de Debussy », in Revista Brasileira de Música, Rio de Janeiro, juillet-septembre 1962, 1re année, n° 2, p. 11-35 ; traduit en français par Anaïs Fléchet sous le titre « La première audition de deux œuvres de Debussy au Brésil », Cahiers Debussy n° 31 [2007], p. 58-75). 2 Pendant son séjour de presque deux ans au Brésil, Milhaud noue des relations très cordiales avec les compositeurs de la « vieille génération » tels que Francisco Braga et Henrique Oswald, qui tient un salon où Milhaud rencontre Arthur Rubinstein et Ernest Ansermet, ainsi qu’avec l’establishment du Conservatoire et des sociétés de concert et Alberto Nepomuceno, qui dirige la première audition de sa 1re Symphonie de chambre. Milhaud participe activement à une quinzaine de concerts, soit consacrés au compositeur Glauco Velásquez (1884-1914), prématurément décédé, soit à la musique moderne française et brésilienne. Si ses rapports avec le jeune Villa-Lobos semblent avoir été superficiels (cf. Anaïs Fléchet, Villa-Lobos à Paris : un écho musical du Brésil, Paris, L’Harmattan, 2004), Milhaud marque profondément le compositeur Luciano Gallet (1893- 1931) à qui il donne des leçons, et qui en a laissé le témoignage suivant dans une lettre à Mario de Andrade : « c’est par l’intermédiaire de Milhaud que j’ai pénétré la musique moderne, commençant par les études d’harmonie. Il était terrible pour les quintes et les octaves, qu’il n’admettait pas (en harmonie scolaire, bien entendu). C’est grâce à lui que j’ai eu accès : aux théories avancées de Stravinsky et Schœnberg, à la polytonie prenant son fondement chez Bach, à Satie, et à divers procédés et conceptions modernes couramment utilisés. Je peux t’affirmer que Milhaud sait très bien où il a sa tête » (Luciano Gallet : Estudos de Folclore, Rio de Janeiro, Carlos Whers, 1934). 3 Paul Claudel note le 5 janvier 1917 : « Départ de Paris à la Gare d’Orsay [...] avec Darius Milhaud, que j’emmène comme secrétaire, et chargé du service de la propagande » (Paul Claudel, Journal, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1969) S’il semble évident que ces évènements contribuèrent fortement à la consolidation du prestige de la musique contemporaine française au Brésil au lendemain de la Première Guerre mondiale – même au-delà du domaine de la musique4 –, il convient de remarquer que la bibliographie prend rarement en compte les exécutions assez nombreuses d’œuvres de Debussy qui avaient eu lieu auparavant – au moins à partir de 1904 – dans le contexte même de la vie musicale brésilienne, dans le cadre de deux principaux foyers de diffusion : l’école pianistique de Luigi Chiafarelli5 à São Paulo d’une part et l’establishment musical de Rio de Janeiro d’autre part. L’école de Chiafarelli fait de São Paulo une pépinière de pianistes illustres, parmi lesquels Antonieta Rudge, Maria Amélia de Rezende Martins, Walter Burle- Marx6, João de Souza Lima, Guiomar Novaes7 et, indirectement, Magdalena Tagliaferro8. Le cas le plus impressionnant est celui de la pianiste Antonieta Rudge9 (1885-1974) qui, entre 1904 et 1913, incorpore à son répertoire une grand nombre d’œuvres de Debussy (Estampes, Images, Préludes) et de Ravel (Jeux d’eau, Miroirs et Gaspard de la nuit), souvent dans le cadre des séries de concerts d’élèves, en particulier les « Saraus Musicais10 » organisés par 4 On relève dans le domaine de la littérature des exemples qui se rapportent à deux poètes majeurs brésiliens du XXe siècle. D’une part, le poème « Debussy » [1919] de Manuel Bandeira (cf. infra page 00), d’autre part, Murilo Mendes (1901-1975) qui attribue la révélation à l’âge de 16 ans de sa vocation de poète à une représentation de Nijinski avec les Ballets Russes au Teatro Municipal de Rio en 1917. Admirateur passionné de Debussy, il écrira plus tard : « la révolution debussyste a été plus importante que celle de Wagner : celle-ci était un aboutissement, tandis que Debussy a été un point de départ » (Murilo Mendes, Formação de uma discoteca, São Paulo, Edusp, 1993). 5 Luigi Chiafarelli (1856-1923) arrive d’Italie en 1883 et fonde à São Paulo une remarquable école pianistique, dont la tradition se prolonge jusqu’à nos jours . C’est un musicien extrêmement complet, que Rubinstein, qui le rencontre au Brésil dès 1918, décrit ainsi : « Un grand professeur de piano, dont la réputation attirait même des élèves étrangers, et alors considéré comme l’égal d’Isidore Phillip ou Busoni [...] homme de grande intelligence, déjà dans sa soixantaine, parlant couramment quatre langues, hautement cultivé et avec une large compréhension des problèmes humains et des questions mondiales [...] Son trait le plus marquant était un superbe sens de l’humour. Nous sommes devenus amis lors de ma première visite et nous le sommes demeurés depuis » (Arthur Rubinstein, My Many Years, Jonathan Cape Ltd, London, 1980 [traduit de l’anglais]). Sa préoccupation de développer chez les élèves une véritable culture musicale et d’éduquer le public se révèle dans la qualité du répertoire programmé dans le cadre de la série de « Concertos Historicos » qu’il organise à São Paulo de 1896 à 1900 et dans celui des « Saraus Musicais » de 1901 à 1913 (ces programmes de concerts sont reproduits en annexe de la thèse de Maria Francisca Junqueira, Escola de Música Luigi Chiaffarelli, São Paulo, Universidade Mackenzie, 1987). 6 La liste des programmes de concerts au Teatro Municipal de Rio de Janeiro établie par Edgard de Brito Chaves indique l’exécution en 1914 de l’Alborada del Gracioso de Ravel par Walter Burle-Marx, alors âgé de douze ans, et celle en 1919 des Collines d’Anacapri par Maria Amélia de Rezende Martins (cf. Edgard de Brito Chaves, Memórias e glórias de um teatro, Rio de Janeiro, 1971). 7 En 1909, Guiomar Novaes (1896-1979) débarque en France, arrivant de São Paulo, pour l’examen d’entrée au Conservatoire devant un jury qui comprend notamment Isidore Philip, Fauré et Debussy. Ce dernier écrit à André Caplet le 25 novembre 1909 : « Excusez-moi, cher André Caplet, tous ces derniers jours mon temps a été pris d’ennuyeuses et fatigantes occupations. J’étais voué à l’amélioration de la race pianistique en France... ; l’ironie habituelle des choses a voulu que la personne la plus artistique de tous ces produits soit une jeune Brésilienne de treize ans. Elle n’est pas belle, mais elle a des yeux “ivres de musique”, et ce pouvoir de s’isoler de toute présence qui est bien la marque caractéristique, si rare, de l’artiste ». (Claude Debussy, Correspondance [1872-1918], éd. de François Lesure uploads/s3/ cahiers-debussy.pdf
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- Publié le Jui 19, 2021
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