BBF 2002 Paris, t. 47, n° 2 28 Fruit de quinze ans d’efforts pour identifier le
BBF 2002 Paris, t. 47, n° 2 28 Fruit de quinze ans d’efforts pour identifier les gisements documen- taires musicaux dans le territoire national, ce répertoire constitue le premier collectage multisupports, disponible et fiable en la matière. De quoi s’agit-il, en effet, quand on veut parler de musique dans les bibliothèques et tenter d’en retracer l’histoire, ou plutôt les avatars ? De musique savante,seulement occiden- tale de surcroît, ou du phénomène musical dans sa diversité ? Du seul support imprimé, la partition, ou de tous les modes de sa fixation,support sonore, audiovisuel, électronique ? Des bibliothèques patrimoniales, dû- ment missionnées pour la collecte,la conservation et la diffusion, ou de toutes les institutions qui, sous des formes diverses, se sont emparées, jadis ou plus récemment, du phéno- mène ? De tout cela à la fois,bien sûr, si l’on veut rendre compte, dans une perspective historique, d’un phéno- mène complexe, que les institutions françaises n’ont qu’occasionnelle- ment appréhendé dans sa totalité diverse. La musique dans la lecture publique Les limites de cet article ne per- mettent évidemment pas d’embras- ser dans le détail la multiplicité de ces aspects. Aussi la lecture publique 1 s’y taillera-t-elle la part du lion, ne serait- ce que parce que c’est elle qui fait problème en France – avec les conser- vatoires et autres établissements d’en- seignement de la musique – en matière d’offre de documentation musicale. Dans son dictionnaire encyclopé- dique de la musique, traduction aug- mentée du Companion To Music 2, Denis Arnold propose la définition suivante d’une bibliothèque musi- cale : « Les matériaux de base d’une bibliothèque musicale sont les parti- tions, les livres et les enregistrements sonores. Ils sont mis à disposition pour l’exécution, l’étude et les loisirs. Toutefois, l’histoire des bibliothèques musicales montre combien ces deux affirmations restent purement théo- riques ». Ce constat, établi en 1983, réitéré en 1988,conserve,aujourd’hui Avatars de la musique dans les bibliothèques Perspective historique I l y a trop de désolation dans les lignes qui vont suivre pour ne pas commencer par une bonne nouvelle : la publication toute récente (fin 2001) du Répertoire des bibliothèques et institutions conservant des collections musicales en France grâce aux bons soins du Groupe français de l’Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux (AIBM). Michel Sineux M U S I Q U E S 2. Denis Arnold (dir.), Dictionnaire encyclopédique de la musique, Paris, R. Laffont, 1988, coll. « Bouquins ». Édition traduite et augmentée du New Oxford Companion To Music, Oxford University Press, 1983. 1. Dans l’acception erronée que l’usage s’obstine à lui donner : les bibliothèques « encyclopédiques » ou « généralistes » de prêt, à l’exclusion des institutions patrimoniales qui relèvent pourtant souvent, elles aussi, du service public. BBF 2002 Paris, t. 47, n° 2 29 D O S S I E R A VATA R S D E L A M U S I Q U E D A N S L E S B I B L I O T H È Q U E S hélas ,quasiment toute sa valeur,aussi bien pour les bibliothèques mu- sicales – à l’exception des grandes institutions patrimoniales – que pour les bibliothèques généralistes « de lec- ture publique ». Histoire des fonds musicaux imprimés Sauf exceptions – nombreuses, mais peu significatives : il suffit pour s’en convaincre de feuilleter le Réper- toire de l’AIBM cité plus haut –, les bibliothèques de lecture publique, même quand elles s’affichent en tant que médiathèques,font rarement état de collections organisées de musique imprimée. Lorsque la musique y est présente, c’est sous la forme encore trop exclusive du seul support pho- nographique. L’histoire, qui se constate mais malheureusement ne se refait pas, explique cette situation. La musique imprimée est souvent présente dans les fonds confisqués au clergé (dès 1789),aux émigrés (1792) et aux sus- pects (1793) 3.Ces collections,parfois importantes et conséquentes, sont regroupées dans des dépôts litté- raires à Paris et en province, puis réparties dans les bibliothèques exis- tantes ou nationalisées, ou encore confiées à partir de 1803 aux com- munes de province qui créent alors des bibliothèques municipales, deve- nues par la suite les « municipales classées », compte tenu de la valeur patrimoniale de leurs collections. Mais si ces « municipales classées » reçoivent globalement une mission et des moyens pour l’entretien et le développement de ces fonds patri- moniaux,rien de spécifique dans ces institutions n’intéresse la musique. Si ce n’est dans les grandes biblio- thèques de recherche parisiennes, qui connaissent un développement cohérent, les fonds musicaux des bi- bliothèques publiques s’enrichissent de façon anarchique, au bon vouloir des académies,sociétés musicales,de la générosité des compositeurs ou des collectionneurs. Pire encore, ces collections, qui en méritent de moins en moins le qualificatif,finissent dans les placards, faute de pouvoir être traitées par des bibliothécaires compétents. Cette ca- rence professionnelle se doublera à la fin du XIXe siècle d’une sorte d’inter- dit idéologique, la musique consti- tuant un domaine culturel réservé à une élite cultivée et ne s’intégrant pas – sauf exception : certaines tradi- tions, dans l’Est de la France, par exemple – à l’idéologie prônée par les pionniers des bibliothèques popu- laires. On conviendra, d’ailleurs, que ces fonds morts reflètent dans leur composition les goûts et la pratique musicale d’une certaine classe so- ciale ; fonds d’opéras et d’opérettes, souvent réduits pour piano/chant ou petits ensembles instrumentaux, adaptés aux pratiques musicales pri- vées (on dirait aujourd’hui « salo- nardes ! »). Beaucoup plus tard, à partir des années 1970,dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler une seconde période, officieuse et localisée, de l’histoire des discothèques publiques, certains de ces fonds seront occa- sionnellement exhumés et constitue- ront le socle ancien de partothèques contemporaines, susceptibles de ré- pondre à une évolution, nouvelle dans ses formes comme dans ses exi- gences, de la demande des publics. Pour ne citer qu’un exemple, en raison de sa charge symbolique, on choisira celui de la Discothèque des Halles (future Médiathèque musicale de Paris), qui rassemblera pour les recycler les partitions du début du siècle, éparpillées dans le réseau des bibliothèques d’arrondissements. Mort et (demi)-résurrection Après les deux guerres mondiales, on peut dire que la musique est absente (morte ou en sommeil) des bibliothèques publiques, y compris la musique militaire et les hymnes nationaux 4 ! La réactivation de l’in- térêt pour la musique dans les biblio- thèques après la seconde guerre mondiale sera le fait des associations professionnelles, d’une part, et des discothèques publiques qui se déve- loppent à partir de 1960,d’autre part. L’Association internationale des bi- bliothèques,archives et centres de do- cumentation musicaux (AIBM),créée en 1951, œuvre en tant qu’instance internationale et via ses groupes na- tionaux très actifs pour le développe- ment des institutions spécifiquement musicales, l’enrichissement de leurs collections et leur mise en réseau. Pour autant, son Groupe français ne reste pas insensible aux préoccu- pations de la « lecture publique » en matière de documentation musicale et entretient des relations attentives Michel Sineux est conservateur général honoraire des bibliothèques de la ville de Paris. Il est actuellement président de la FFCB et rédacteur en chef de la revue Écouter Voir. Directeur et auteur de Musique en bibliothèques, il est également l’auteur de publications critiques régulières dans la revue de cinéma Positif. 3. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter les catalogues collectifs nationaux, le Répertoire international des sources musicales (RISM) et les catalogues du Patrimoine musical régional. 4. Une fois encore, on prendra avec prudence et relativisme ces généralisations forcément simplificatrices. Un certain nombre de villes à forte tradition musicale avaient su – même en veilleuse – entretenir la flamme. Les bibliothèques de lecture publique, même quand elles s’affichent en tant que médiathèques, font rarement état de collections organisées de musique imprimée BBF 2002 Paris, t. 47, n° 2 30 M U S I Q U E S avec l’Association pour la coopéra- tion de l’interprofession musicale (Acim), fondée beaucoup plus tard, en 1989,dans la mouvance de la Mé- diathèque musicale de Paris et avec le concours du ministère de la Culture et de la Communication. Éditrice de la revue Écouter Voir, l’Acim s’efforce de promouvoir, en lecture publique, le concept de médiathèque musicale, c’est-à-dire l’intégration de tous les supports qui documentent les mu- siques, afin de dépasser le modèle réducteur de discothèque publique, quels qu’aient pu être ses mérites his- toriques pour la réhabilitation de la musique en bibliothèque. Rendu possible grâce à la maniabi- lité et à la capacité du microsillon, le prêt de disques, c’est-à-dire de mu- sique(s) pour l’essentiel de l’édition phonographique, doit beaucoup de son développement spectaculaire à l’impulsion donnée par la Disco- thèque de France, association de la loi de 1901. Dans la mouvance du Théâtre national populaire et de ses administrateurs Jean Vilar et Jean Rouvet, et d’une nouvelle approche, transversale et intégrée,des pratiques culturelles que vont impulser les mai- sons de la culture chères à André Malraux, la Discothèque de France ambitionne de créer en faveur de la diffusion musicale par le disque l’équivalent de ce que les biblio- uploads/s3/ avatars-de-la-musique-dans-les-bibliotheques.pdf
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- Publié le Fev 16, 2022
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