N' 46 J SEPTEMBRE 2013 -- LEUVRE > L 'AUllUR > .. - - Lo Transfiguration du ban

N' 46 J SEPTEMBRE 2013 -- LEUVRE > L 'AUllUR > .. - - Lo Transfiguration du banal. Une philosophie de l'art, Seuil, 1989. Arthur oanto est un philosophe améri, cain, qui s'est surtout lait connaitre comme critique d'art pour The Notion (de 1984 à 2009). On trouve aussi en français : Après Io (in de l'art (Seuil, 1996), L 'Art contemporain et Io clôtvre de l'Mstoire (Seuil, 2000), Lo Madone du futur (Seuil, 2003) et Andy Warhol (les Belles lettres, 2011}. - - SIX DOGMES POUR UN NON-ART Artistes, c ritiques et commissaires d'exposition forment désormais un trio infernal, qui décide ce qui doit être considéré comme de l'art. Au mépris de toute considération esthétique. N imbé de professions de foi bien-pensantes, ce grand bazar du n'importe quoi est aussi une véritable religion, imperméable à la contestation. Son dogme le plus pernicieux? L e« tous artistes »qui, au nom de la démocratisation de l'art, n'a engendré que la démocratisation de la médiocrité. AVELINA LESPER. El Mo/pensante. n accueille aujourd'hui dans les musées des objets dénués de valeur esthétique, présentés comme étant de l'an, au nom du dogmatisme : par soumission totale 8\LX principes impo.~és par une autorité. En théologie, un dogme esr une vérité ou une révélation divine que l'on impose alL X fidèles pour qu'ils y croient. Kant opposait philosophie dogmatique et phi- losophie critique, ainsi que l'usage dog- matique de la raison à l'usage critique de la raison. Le dogme ne tolère aucune réplique ni aucun questionnement, il existe a priori. Le dogme est une croyance, car sans l'intervention de la foi, il ne peul être assimilé par la connaissanœ. Le théori- cien de l'art Arthur Danto compare à la foi chrétienneccllc qui pennet de trans- former un objet de la vie courante en objet d'art ; pour lui, c;est dans cene transfiguration que se trouve la signifi· cation de l'œuvre [lire « Mais qu'est·œ donc que l'art? >t, p. 28}. Ce n'est pas un hasard si Danto urilise un terme reli- gieux. C'est parfaitement intentionnel, une manière de dire.que le critique n'est plus là pour juger l'œuvre, mais pour croire en sa signilication. J'analyse dans ce qui suit chacun des dogmes qui fondent ce qu'on ne peut qu'appeler l'idéologie de l'art contempo- rain, dans sa quête de la transfiguration dont parle Danto. La transsubstantiation repose sur deux dogmes seconda.ires : celui du conœpt et celui de l'infaillibiliti. D'abord la doctrine du concept. Quand Marcel Duchamp revendiqua l'urinoir en tant qu'œuvre d'art , en 191 7, dans son texte signé R. Mun, il die mor pour mot : « Que Richard Mun air fabriqué cenc fontaine avec ses propres mains, cela rra aucune importllnce, il l'a choisie. U a pris un article ordinaire de la vie, il l'a placé Not1s demander d'accepter comme création artistique ce qui ne possède aucune valeur esthétique revient à nous demander de 1nutiler notre intelligence. Voici d'abord la transsubstantiation. Selon ce dogme, la substance d'un 'objet est ttansformée par magie, grâce à. un acre de prestidigitation ou à un miracle. Ce que nous voyon$ n'est plus ce que nous croyons voir, c'est autre chose, une chose dont la présence phy- sique ou matérielle n'a rien d'évident, puisque sa substance a changé. C<ille·ci est invisible à l'œil nu. Pour la faire exister , il est nécessaire de croire en sa transformation. de manière à ce que sa signification d'usage disparaissesous le nouveau titre et le nouveau poinrde vue, ll a créé une nouvelle pensée pour cet objet. » C'est cette nouvelle pensée, ce concepr, qui a transfiguré l'urinoir en fontaine, et par là même en œuvre d'art. !:urinoir en tant que tel n'a pas bougé d'un pouce, il a toujo= Je même aspect ; il est ce qu'il est, un objet préfabriqué d'usage cou· rant ; mais le caprice de Duchamp a donné üeu à sa métamorphose magico· N° 46 I SEPTEMBRE 2013 religieuse. Li? discou!ll joue ici un rôle fondamental : alors qu'il n'<St pas visible, le changement est énoncé. Il ne s'agit plus d'un urinoir mais d'un objet d'an ; nommer cette IJ'anSfonnation est indis· pensable à sa r!alisation effective. Le dogme agit dans la mesure où on lui obéit sans le remettre en question, uni· quement parce que les idéologues de l'art affirment : " Ceci est de l'an. » Celui-ci est devenu une fonnc de super· stition qui nie les faits ; y croire suffit à acoompLir la 11ansformncion. Le n?ady· made nous rttmène ù ln pnrt la plus élé- mentaire et irrationnelle de la pensée humaine : ln pensée magique. "!but ce que !"artiste choisit et désigne se mue en œuvre.L'an en est !'!duit Il une croyance fantaisiste et sa présence à une signifi· cation. Danto écrit : « Il n'y a aucune différence visible entre un objet d'an et un objet ordinaire, et c'est précisément ce qui doit aujourd'hui retenir l'anencion des critiques et des specu:teurs. • Nous demander de renoncer à notre percep- tion et d'accepter comme création anis· tique ce qui ne possède aucune valeur esthétique reviem à nous demander de mutiler no11e intclligence, notre sensibi- lité et, bien sûr, notre esprit critique. Nous ovous besoin d'arc, non de croyances. Pourtant, tout comme des crimes a11oces ont été oommis au nom de la fo~ la croyance qui veut que tout soit an conduit à la destruction même de la création. Le changement de sub· stance qui uansfonne un objet quel- conque en œum? est un fait de langage, focalisé sur sa conceptuaLisation, sur sa signification, sut l'intention de l'artiste, sur les propos du commissaire d°exposi· tion, sur l'analyse c:riùque complaisanre ; ce n'est rien d'autre qu'un exercice rhé- torique, dont la caractéristique est de contredire la nature même de l'objet : l'œuvre de Sarah J ,ucas n'est pas un matelas enveloppé dans du plastique, « c'est une réflexion ironique et fémi- niste sur la sexualité et les relations hurruùnes " ; l'œuvre de Loreto Martinet Troncoso n'est pas une pile de livres posés sur le sol, • c'est un palimpseste qui fuit de l'intenexruajjté un moyen de communication » (Urt « les arristes cités "'p. 37]. Formules ptt<onçue Le concept diffère de la narure de l'ob· jet. Il définit et enfenne les CCU\'l'CS. I:ob· jet d'an est analysé par le commi...saire d'exposition, qui détermine de quel genre de création il s'agit en fonction de catégories préétablies. Si elles veulent passer pour artistiques, les œuvres doivent avant tout être les réceptacles de formules préconçues. je cite Danco : « Une définition philosophiq11c peut tout embrasser sans rien exclure. » Cet an factice n'existe que par ln gr3ce de ces conceprualisations ; un objet est défini afin de ne pas tolérer d'autres significa- tions. En avoir une conception univoque permet d'éviter les questionncmentS. Toute définition, explique Aristote, doit préciser le genre et la différence spéci· tique. Une œuvre de Colby Bird flirt p. 37) peut être définie par son genre, l'ob· jet crou•'é ; et par sa différence spéci· fique, une ampoule grillée et des bouts de planches. Conœprualiser vise à caca· loguer chaque objet d'art de façon pré· cise afin de cacher sa banalité et sa superficialité derrière des idées, ce déguisement rhétorique venant masquer l'absence de création cr de 111lenr. Nous ne pouvons pas, ooncrètement,dlrc qu'il s'agit d'un déchet. Cet objeL , con11nire- ment aux apparences, est an, et exige ln soumission de la raison nu dogme. Les écrits didactiques des écoles philoso· phiques défendent œne supercherie. Selon une enquête de l"wm'l!rSité Colum- bia, les textes d'Anhur Danto comptent panni les plus lus des étudiantS et des spécialistes. c.e qui plaît, explique l'étude, c'est qu'il n'analyse pas les œuvres, mais cherche seulement à édifier le spec1iueur en lui expliquant pourquoi la philoso· phie considère comme de l'art cc qui semble pourtant n'être, en nppnrence, qu'un objet banal. ri ne foit aucun doute que l'art puisse jailllr d'idées philoso· phiques, mais œ ne sont pas ccllcs·ci qui créent les œ\J\'res. Si, comme le dit Cnda- mer, « le langage est le milieu dans lequcl se réalisent l'entente entre les par- tenaires et l'acoord sut la chose même' ~. les commissaires, les anistes et les cri· Biennale de Venise 2013. Œuvre de l'artiste britanniqul? Jeremy Oelle.r, né en 1966. OS~l~'«l ll(UANl)H!RlUftAS • 11 Ham-Georg Gadame<, l'ênté tt méthotk, Stull, 1960 DOSSIER ~ engcndm11 le moyen de faire è'Xis- u:r œ. objets en umt qu'nrt, à travers un langage ou un jnrgon pçeudo·phil~· phlque. Aulremcm di1 : ces œuvres som avant lOUl une sue<.oes.~ion d'odjccûfs et de c11atlons. Selon Arthur Danto, « voir quelque chose comme de l'on requien quelque chose que J'œil n~ peut pas nper- «''Oir - une :mnosphère de théori~ attis- tiquc. une connaissance de l'his10ire de fan: un monde de l'an>». Une citation d'Adorno, de Baudrillard, Deleuze ou Benjamin suffi1 l l~t.inier une création anistique. Les œuvres existent :i tra\-ers le discours théorique et instirutionnel, en dépit du bon sens. Cet an refuse la pen· sée critique, exigeant d'être interprété à l'intérieur du cadre uploads/s3/ avelina-lesper-six-dogmes-pour-un-non-art.pdf

  • 15
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager