Annales. Economies, sociétés, civilisations Baroque et classique : une civilisa

Annales. Economies, sociétés, civilisations Baroque et classique : une civilisation Pierre Francastel Citer ce document / Cite this document : Francastel Pierre. Baroque et classique : une civilisation. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 12ᵉ année, N. 2, 1957. pp. 207-222; doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1957.2624 https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1957_num_12_2_2624 Fichier pdf généré le 06/04/2018 BAROQUE ET CLASSIQUE UNE CIVILISATION* Depuis cinquante ans, nous assistons à la découverte, plus encore à l'exaltation du Baroque. Considéré encore au début du xxe siècle comme un style, il représentait la dernière forme, mais décadente, de l'art de la Renaissance. Par un véritable coup de théâtre, l'appréciation esthétique de plus en plus favorable de quelques œuvres, — particulièrement en sculpture et en architecture, — a fait peu à peu du Baroque l'art dominant, créateur, des xvne et xvine siècles européens. Le voilà enfin, aujourd'hui, l'un des deux pôles de la création dans l'art, voire dans la vie elle-même ; l'autre pôle, le Classique, étant le pôle négptif, entendez l'académisme rigide. Le Baroque donc : rien moins que le génie, la création, la liberté de l'inspiration et de la forme, voilà beaucoup d'honneurs ! Mais, à ce jeu, le xvne siècle, jadis siècle classique, devient siècle baroque ; d'où un renversement spectaculaire des valeurs et du rôle réciproque des différentes notions. N'allons certes pas nier l'importance du Baroque ; mais, de grâce, affranchissons-nous de toute attitude nationaliste et de toute polémique, — d'où qu'elle vienne, — afin de rétablir l'équilibre, dans une perspective désormais uniquement historique, entre deux formes d'art assurément majeures de la culture européenne pendant deux cents ans. Au moins l'enjeu en vaut la peine. Aussi longtemps que la civilisation de la Renaissance a été considérée comme la forme en soi de la civilisation moderne, il était légitime de voir dans le Baroque, aussi bien d'ailleurs que dans le Classique, le développement, plus ou moins fidèle à l'esprit primitif, d'une forme d'art qui avait atteint, * L'article que les Annales offrent ici à leurs lecteurs est le texte d'une conférence prononcée en septembre dernier à Royaumont par M. P. Francastel. 207 ANNALES au début du xvie siècle, à Rome, son apogée : en somme une continuation et aussi une détérioration. Mais cette opinion a cessé d'être valable après le Romantisme, avec les développements de la civilisation scientifique et industrielle des xixe et xxe siècles, après la découverte de la valeur relative de toute culture, — chacune étant liée à des niveaux techniques et mentaux très divers. A quoi servirait pour le condamner, d'arguer du fait que le Baroque utilise un matériel de formes directement issu des œuvres dites « classiques » de la Renaissance romaine ? Une forme, une œuvre, une culture ne se définissent pas simplement par les différents éléments qui les constituent. Il existe, certes, des familles ď œuvres et de cultures, mais l'unification à outrance des formes de la vie n'est qu'appauvrissement et fiction. Constitué d'éléments issus des formes de la Renaissance, le Baroque en tant que style ne saurait sans doute entrer en concurrence avec les grands types universels de civilisation, mais il a exprimé les besoins et les sentiments de groupes sociaux plus étendus et d'une originalité certaine à l'égard des générations qui les ont précédés. En bref, il n'y aurait pas de Baroque sans Renaissance, mais la Renaissance ne serait pas complète sans l'existence des groupes humains qui se sont inspirés de son exemple et qui ont cru la prolonger plus ou moins fidèlement. La difficulté véritable ne réside donc pas dans l'existence d'un style dépendant, quoique distinct de la Renaissance, mais dans la définition des caractères originaux de ce style. Si chacun peut s'accorder sur la validité d'une expérience baroque, il reste difficile de s'entendre, par contre, sur sa nature et sur sa chronologie. En réalité (depuis un demi-siècle), les idées courantes sur le Baroque ont été dominées par des spéculations théoriques, plus que par l'analyse des faits. La critique s'est davantage efforcée de valoriser dans l'histoire, des œuvres — ou des groupes ď œuvres — que de dégager la genèse et les rapports d'interdépendance des formes, des foyers d'art et de culture. De récents travaux italiens (ceux notamment de Calcaterra et de Golzio) ont bien résumé l'histoire de ces idées : au début du xixe siècle, Milizia condamnait les styles fleuris au nom du néo-classicisme ; puis Burckhardt a condamné le Baroque, altération des principes éternels de l'art, retrouvés et exaltés par la Renaissance. En 1896, Nencioni, à Florence, lançait à la fois l'idée d'un âge baroque (reprise par Croce et par Weisbach), et celle d'un développement cyclique des formes stylistiques soumises à un régulier et éternel retour. C'est malheureusement cette idée, plus encore que la première, qui a été approfondie par Wôlfflin, Eugenio d'Ors et Focillon : elle domine encore notre époque x. Cependant, ni la thèse de Wôlfflin, suivant laquelle le Baroque est un des concepts fondamentaux de l'art et de la culture, ni cette autre qui voudrait que les œuvres traversent des phases régulières de formation, de développement, d'apogée puis de déclin (Focillon), — le Baroque correspondant 1. C. Calcaterra, II problème/, del Barocco in A. Momigliano, Questioni e correnti di storia letteraria, Milan, 1950 ; et V. Golzio, II seicento e il settecento, Turin, 1950, contiennent la bibliographie. 208 BAROQUE ET CLASSIQUE à une phase finale de vieillissement, — ne peuvent être considérées comme scientifiquement acquises. Pour Focillon, le Baroque succède au Classique, dont il est répétition et affaiblissement ; pour d'autres, le Classique succède au Baroque, ou plus exactement il s'agit de deux catégories antithétiques (Wolfflin), mais le Baroque est affranchissement de l'ordre ancien, liberté intérieure, création, et le Classique se borne à mettre de l'ordre dans l'invention en la dépouillant de sa force et de son élan. Sans entrer ici dans de trop nombreux détails, il est acquis que ni la thèse de Wolfflin assimilant le Baroque à une catégorie de la vision, ni celle de Focillon qui introduit un déterminisme dans la vie des formes, n'ont rencontré l'agrément unanime des historiens de l'art 1. Notre surprise n'en est que plus grave de constater la vogue tellement grande parmi les historiens de la littérature et de la civilisation, des termes de baroque et de baroquisme : tous s'appuient sur l'autorité de la chose jugée en matière d'art et se rallient, les uns à la thèse qui fait du Baroque une constante historique, les autres à celle qui l'identifie avec toutes les forces vives de la civilisation entre 1580 et 1740. L'accord pourtant n'est pas davantage unanime sur les limites chronologiques. Ici, les plus grands débats remontent aux années d'avant-guerre. Pour la durée, comme pour la signification, une notion aussi large que possible l'emporte qui néglige aussi bien le problème de la genèse que la nécessaire distinction entre les aires de civilisation où le Baroque triomphe réellement et celles où il se heurte à de fortes ou décisives résistances. Pour ses premiers apologistes, une hésitation existait : Wolfflin et Escher faisaient naître le Baroque au début du xvie siècle à Rome ; N. Pevsner distinguait le maniérisme, art de la Contre-Réforme et le Baroque, art des générations suivantes ; Marcel Reymond y voyait l'art de Trente et de Bernin, Weisbach aussi : la Contre- Réforme et le xvne siècle ; les termes de SpâtRenaissance et de SpâtBarock désignaient la fin du xvie siècle dans des systèmes différents et aussi arbitraires les uns que les autres... Et l'on est arrivé insensiblement à assimiler couramment Poussin et Borromini, le Saint-Paul de Londres et les plafonds romains du Père Pozzo 2. Deux études donc à reprendre : origines stylistiques, signification historique et sociale du Baroque. D'abord, pour cesser de confondre implicitement des séries ď œuvres aussi différentes que les édifices austères du type Gesù et la pompe sans limite des églises au décor stuqué de l'Europe et de l'Amérique du Sud : sans doute convient-il de réserver aux ouvrages d'un goût pompeux et redondant, « triomphal et mouvementé », l'épithète de baroque ; ensuite, pour examiner dans quelle mesure cette série relève d'une esthétique universelle ou d'une situation historique et sociale déterminée. 1. Cf. notamment C. L. Ragghianti, ISArte e la critica, Florence, Valecchi, 1951. 2. Cf. P. Francastbx, « La Contre-Réforme et les arts en Italie à la fin du xvi8 siècle » in « A travers Part italien », Revue des Etudes italiennes, 1946 ; — « Limites chronologiques, limites géographiques et limites sociales du Baroque », in IIIe Congrès d'Etudes Humanistes, Venise, 1954, Bocca, Rome, 1955 ; — Le Baroque, Ve Congrès des Littératures Modernes, Florence, 1951, Valmartina, Florence, 1955. On y trouvera la bibliographie. 209 Annales (12* année, avril-juin 1967, n» 2) S ANNALES Dès à présent, toutefois, quelques positions de bon sens nous permettront d'aborder le problème qui nous intéresse : les relations, au xvne siècle, entre les courants de civilisation baroque et classique. Deux domaines sont séparés : l'un esthétique, et l'autre, pour ainsi dire descriptif, — simple affaire de coup d'œil que de distinguer l'Escurial et Saint-Pierre de Rome. Assurément, entre les uploads/s3/ baroque-et-classique-une-civilisation.pdf

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