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La Societe Japonaise de Langue et Litterature Francaises NII-Electronic Library Service La SocieteJaponaise deLangue et Mtterature Francaises KUn Enterrement a Ornans) et 1'habit noir baudelairien -Sur les rapports de Baudelaire et de Courbet- La << bataille r6aliste" se d6roula d'abord en peinture, avant que de gagner le domaine de la litt6rature. On sait que le Salon de 18SO-- 1851i) en marque la premi6re phase. Gustave Courbet, fbrt du succbs qu'il a:vait remport6 au Salon pr6cedent avec l'Apres-tifne'e d Ornans, s'y pr6senta avec neuf tableaux. Les Casseurs de Pierres, les Paysans de Flagay revenant cie la Fbire et 1'Enterrement d Ornans, entre autres, << firent pousser des cris de surprise, de r6pugnance et d'admiration", rapporte Th6ophile Sylvestre. En effet, h parcourir les comptes rendus de ce Salon, on s'apergoit que les critiques 6taient presque unanimes h condamner la laideur de ces tableaux, de 1'Enterrement en particulier2). Et si 1'on examine de pres 1'argumentation de ces critiques hostiles, on voit que cette qualification de laid, loin d'6tre un anath6me choisi au hasard, repondait ti certains principes de 1'esthetique traditionnelle. Qu'est-ce donc que cette <daideurb ? Il s'agissait d'abord du choix des stijets:<< Quel que soit notre amour pour la nature, disait C16ment de Ris3), et quelque po6sie que nous trouvions dans la realit6, nous ne sommes cependant pas de ceux pour lesquels tous les suiets sont 6galement ihdiflkSrents, et qui pen- AbrEviations pour les eeuvres completes de Baudelaire, ed. Conard : CE-Curio- site's Esthe'tigues; AR-l'Art Romantiaue; CG-Correspondnnce Ge'ne'rale. 1) Pour ces deux annees il n'y eut qu'un seul Salon, celui qui eut lieu au Palais National du 30 dec. 1850 au 31 mars 18Sl. 2) Cf. Cemptes-rendus de L. Peisse dans le Constitutionnel (8 janv. 18Sl), de G. de Ferry dans 1'Ordre (10 janv.), de Courtois dans le Corsaire (14 janv.), de P. Mantz dans 1'livdnement (13 fev.), de Th. Gautier dans la Presse (14 et 15 f6v.) ; et aussi Claude Vignon, Salon de 1850-51 (Garnier), Ph. de Chennevieres, Lettres cle t'Artframpais en 1850 (Paris, Argentan, 18Sl), De16cluze, Emposition des Artistes VIwants, 1850 (Paris, 1851). 3) a Salon de 1851 )>, l'Artiste, l"" mars 1851. [29] La Societe Japonaise de Langue et Litterature Francaises NII-Electronic Library Service La SocieteJaponaise de Langue et Litterature Francaises 30 Yoshio ABE sent qu'il n'y a pas un choix h faireD. C'est dire que Courbet n'avait pas le droit de repr6senter ces bourgeois, bedeaux et casseurs de pierre, du moins tels qu'il les a peints, puisqu'K il faut savoir att6nuer ce qu'il y a de trivial, et ne rendre dans la repr6sentation du masque de l'hornme que son caractere 61ev6>>. D'autres critiques reprochent h Courbet d'avoir peint en grandeur nature ces personnages sans noblesse. << Les flamands qui ont trait6 les scenes familieres vulgaires, dit Courtoisi), ent eu au moins le bon goat d'user de petites figures. Les Casseurs de pierre auraient pu 6tre 1'accessoire de quelqu'un de leurs tableaux, mais non le sojet principal, et ils se seraient bien gardes d'user de grandes figures quasi- nature. >> C'est que, du point de vue de la plupart des critiques et des peintres de 1'6poque, seuls les sojets nobles-sojets religieux, historiques, litt6raires ou militaires - 6taient dignes d'etre trait6s i l'echelle de la grandeur nature. A leurs yeux, la hi6rarchie traditionnelle entre les divers sejets gardait encore toute sa fbrce. D'autre part, le manque de couleurs, c'est-b-dire la pr6dominance de la couleur noire- chose in6vitable si 1'on peint des bourgeois de cette 6poque-n'6tait pas h leurs yeux le moindre 616ment de cette << laideur >>. D'aprbs Courtois, les Flamands savaient se faire pardonner le choix de scenes familieres par une certaine K magie de couleur>>, qui manque 6videmment au peintre d'Ornans. Pour Claude Vignon, l'Enterrement d Ornans, c'est avant tout << une grande toile noire, qui tient beaucoup de place>>, dans laquelle << on voit des hommes noirs plaques sur des femmes noires, et, derriere, des bedeaux et des fos- soyeurs h figures ignobles, quatre porteurs noirs avantag6s d'unebarbe d6moc-soc, d'une tournure montagnarde et de chapeaux b la Caus- sidiere. Voilh ! Bon Dieu ! que c'est laid!>>2) *** Ces divers reproches susciterent une riposte energique de Champ- fleury. Les 25 et 26 fevrier 1851, il publia dans le Messager de l'As- semblee un texte tout entier consacr6 i Courbet3>. Il se proposait de 1) C £ note 2, p.29 . D'autres critiques ont not6 cette t( grandeur nature D: E de Legenevais (Revue des Deux Mondes) et F. Pillet (.Iburnat OLfiiciet) cit6s par G. Riat dans son G. Courbet (Paris, 1906). 2) Cf. note 2, p.29. 3) Ce texte sera recueilli, avec quelques modifications, dans Grandes figures d'hier et d'awfourd'hui, Peulet-Malassis, 1861. La Societe Japonaise de Langue et Litterature Francaises NII-Electronic Library Service La SocieteJaponaise de Langue et Litterature Francaises K Un Enterrement ti Ornans D et 1'habit noir baudelairien 31 justifier la tentative originale du peintre. Contre 1'accusation de K1aideurD, Champfieury r6pond d'abord que Courbet cherchait simplement h repr6senter la r6alit6, ou plut6t la v6rit6 telle qu'elle est : K Quant h la laideur pretendue des bourgeois d'Ornans, dit-il, elle n'a rien d'exag6re, rien de faux, elle est vraie, elle est simple. C'est la laideur de la province qu'il importe de dis- tinguer de la laideur de Paris...>> Si dans les romans de Balzac <des vicieux 6taient sup6rieurs en nombre aux vertueux, c'6tait plut6t la faute de la societ6 que la sienne>>. De m6me, dans cet Enterrement d Ornans, ce n'est pas la faute du peintre, << si les int6r6ts mat6riels, si la vie de petite ville, si des egoi'smes sordides, si la mesquinerie de province clouent leurs griffes sur la figure, 6teignent les yeux, plissent le front, h6betent la bou ¢ he. Les bourgeois sont ainsi. M. Courbet a peint des bourgeois>>. C'est lh un plaidoyer digne du << realiste>> tel que 1'on 1'imagine d'ordinaire, qui se moquerait de tout ¢ e que pr6tendent, au nom du critere p6rim6 du beau, les conservateurs en matiere d'art. Pourtant, ti regarder de pres 1'argumentation de Champfleury, on s'apergoit qu'il y a lh quelque chose qui ne s'explique pas par la simple vo- lont6 de d6fendre un art fidele ti la nature: en particulier lorsgu'il affirme que Courbet s'est dit, au moment oU il avait congu 1'idee de 1'Enterrement, que << des robes neires et des habits noirs valaient bien les costumes espagnols, les dentelles et les plumes Louis XIII, les armures du moyen-age, les paillettes de la R6gence". Certes, tout cela pourrait signifier simplement que, la distinction du << beau>> et du <daid>> important peu, les costumes de toutes les 6poques se valent. Mais telie n'6tait pas, ti notre sens, la conviction de Champfleury: si 1'apologie du costume moderne revient sans cesse sous sa plume'), c'est que le critique << realiste >> n'est point alle jusqu'h 6carter la notion du beau. Ridiculisant dans le meme article 1'engoue- ment de ses contemporains pour le XVIIIe siecle, alors b la mode, ne dit-il pas que Kle costume moderne est en harmonie avec la beaut6 moderne?>> Ainsi les bourgeois d'Ornans v6tus de noir acquihrent le droit, non seulement d'apparaitre dans un tableau <<historiqueD, mais meme d'etre peints en pied. Leur costume est en harmonie avec la << beaut6 moderne >> comrne les costumes consacres du pass6 1'etaient 1) Cf. " Sirnple histoire d'un Lampiste et d'une Herloge e, t'Artiste, 28 fev. 1847, recueillie dans Fezt Miette, p. 71 ; cc Lettre b Mrne Sand", l'Artiste, 2 sept. 185S. La Societe Japonaise de Langue et Litterature Francaises NII-Electronic Library Service La SocieteJaponaise de Langue et Litterature Francaises 32 Yoshio ABE avec la beaute ancienne. Ce n'est pas notre propos ici de chercher s'il y a contradiction, entre 1'argumentation initiale de Champfleury, selon laquelle Courbet a voulu representer un aspect de la soci6t6 dans sa v6rite, et son apologie de la beaute du costume moderne. Lh le critique d'art semble prendre quelque distance par rapport au peintre. N'oublions pas que si Champfleury a reconnu le premier le m6rite de Courbet, il 1'a d6- fendu dans la mesure oti les tentatives de celui-ci lui semblaient servir sa propre cause-la cause du beau moclerne dont on a tort de ne pas reconnaitre que le romancier {< r6alisteD 1'a d6fendue avec autant de t6nacit6 que son ami Baudelaire. S'il arrive plus tard h Champfleury de dire qu'il ne voit guere chez Courbet que de la << bonne peinture mat6rielle"i}, c'est que son enthousiasme n'aurajamais 6t6 ' sans reserves. Mais Champfieury, dans son apologie de 1'habit noir, ne faisait guere que reprendre une id6e de Baudelaire. (Ne dira-t--il pas en 1866 : {< Au d6but de la vie, Baudelaire m'enleva b 1'adrniration des choses de convention et me forga souvent h raisonner, quelquefois ti d6raisonner"2}?) Certes, Champfieury ne cessait d'invoquer les 6crits theoriques de Diderot3) et s'enthousiasmait pour Stendhal avant de coimaitre Baudelaire`) : pour sa these gen6rale de la << modernit6" dans 1'Art, il pouvait donc s'inspirer directement du re'aliSme avant la lettre de 1'encyclop6diste aussi bien que de la th6orie stendhaiienne du a uploads/s3/ baudelaire-et-courbet.pdf
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- Publié le Nov 12, 2021
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