Critique n°733-734, 2008 ART ET HACKTIVISME L’ALTERNATIVE INTERNET Jean-Paul FO
Critique n°733-734, 2008 ART ET HACKTIVISME L’ALTERNATIVE INTERNET Jean-Paul FOURMENTRAUX Version "auteur" avant parution. Pour toute citation, toujours se référer à l'article : FOURMENTRAUX JP. 2008 « Art et Hacktivisme : l'alternative Internet », Critique, n° 733-734, pp. 554-564. halshs-00372588, version 1 - 1 Apr 2009 Manuscrit auteur, publié dans "Critique, 733-734 (2008) 554-564" 2 Le Net art désigne depuis dix ans les créations interactives conçues par, pour et avec le réseau Internet, en les distinguant des formes d’art plus traditionnelles simplement transférées sur des sites-galeries et autres musées virtuels. Pour les mondes de l’art, l’originalité d’Internet tient à ce qu’il propose simultanément un support, un outil et un environnement créatif. On entend par support, sa dimension de vecteur de transmission, dans le sens où Internet est son propre diffuseur ; par outil, sa fonction d’instrument de production, qui donne lieu à des usages et génère de nouveaux produits artistiques ; et par environnement, enfin, le fait qu’il constitue un espace habitable et habité. Dans ce contexte, le travail artistique vise au moins autant la conception de dispositifs interactifs que la configuration de situations communicationnelles. Utilisant toutes les fonctionnalités d’Internet – le web (l’html, le ftp, le peer to peer) mais aussi le courriel, le chat – le Net art promeut des œuvres dont les enjeux relationnels et collaboratifs ont grandement bousculé les relations entre art et société : le site Internet, la homepage, le blog, les mailings list ou les forums de discussion constituant désormais les cadres de sociabilités renouvelées. En s'inscrivant dans cette articulation, « l'œuvre du Net art » peut se manifester dans la conception de dispositifs interactifs spécifiques, mais aussi dans la production de formes de vies en ligne, et de stratégies d’occupation du réseau. Internet y est tout autant investi comme un atelier en ligne que comme un lieu d'exposition : c’est-à-dire comme l’espace de création, de communication et de réception de la pratique artistique. Les œuvres qui en résultent sont par conséquent multiformes - environnements navigables, programmes exécutables, formes altérables - et vont parfois jusqu'à inclure une possibilité d’apport ou de transformation du matériau artistique initial. L’analyse approfondie du Net art met clairement halshs-00372588, version 1 - 1 Apr 2009 3 en évidence ce glissement par lequel l’œuvre se trouve moins dans ce qui est donné à voir que dans le dispositif qui la fait exister. L'affichage sur l'écran n’étant que la face apparente de toute une infrastructure technique et informationnelle, l'œuvre devient alors, de façon plus large, l'ensemble des structures et des règles qui la sous-tendent. Toute œuvre du Net art inclut en effet une avant-scène (l’interface), une scène composée de divers éléments qui viennent nourrir l’œuvre (textes, sons ou images) et des coulisses (où se nichent un programme et des fragments d’applications informatiques). Ce constat et le recul analytique que nous offre dix premières années d’expérimentation et de création pour le réseau Internet nous permet aujourd’hui de distinguer trois principales formes du Net art : les œuvres de contamination médiologique, les œuvres de génération algorithmique et les œuvres de communication interactive. Les premières sont principalement axées sur l’interface (médiologique) par laquelle transitent l’œuvre, l’usage et la communication. Les deuxièmes sont focalisées sur le programme (algorithmique) d’objets-animations ou d’objets-environnements qui laissent ou non à l’internaute la possibilité d’interagir. Les troisièmes sont centrées sur le contenu interactif, de l’objet arborescent (engageant un parcours réticulaire), à l’objet en devenir (concédant un parcours altérant) et jusqu’à l’objet relation (distribuant un parcours inter-communicationnel). De ce point de vue, l’œuvre médiologique a pour objet le matériel digital, l’œuvre algorithmique prend pour objet le programme informatique, et enfin, l’œuvre interactive a pour objet la communication (formelle) et ce qui en résulte. Les manipulations artistiques par et pour Internet visent donc alternativement la structure et l’architecture du média, les codes et programmes informatiques générés, la configuration des liens hypertextes et des parcours, et enfin, les formes communicationnelles et contenus plastiques déployés. L’objet de cet halshs-00372588, version 1 - 1 Apr 2009 4 article ne vise pas la description exhaustive de ces différentes figures1, mais voudrait souligner une tendance principale du Net art : la convergence de l’innovation technologique et de la création artistique via le « hacking créatif », son durcissement de l’esthétique relationnelle et des réseaux sociaux créatifs. Genèse de l’artiste Hacker L’investigation médiologique qui marqua les premières réalisations liées à Internet2 tend aujourd’hui à se radicaliser dans des formes renouvelées de création qui épousent les évolutions technologiques récentes. Les pionniers du Net art ont souvent dénoncé la prégnance d’un langage quasi exclusif d’organisation des données hypertextuelles (HTML) qui contribuait, selon eux, à accentuer le caractère uniforme de la majorité des sites Web, dans leur agencement aussi bien que dans l’apparence de leurs interfaces. L’approche artistique proposait alors de contourner ces prescriptions d'emplois visant à discipliner les usages et parcours au sein des sites Web : les liens soulignés en bleu, les images cliquables, les zones title et body. Les Net artistes ont en effet proposé des voies alternatives à ces options strictement fonctionnelles telles que le pointer-cliquer comme convention de navigation, la distribution contrainte de l'information, sa réception figée, sans possibilité d’intervention ou de transformation. Un nombre grandissant d’artistes du réseau revendiquent de type d’implication parasitaire3. Leur forme liminaire d’action créative vise à contaminer l’Internet par des virus artistiques qui empruntent à la logique et aux comportements déviants des pirates de l'informatique : les hackers4. Certains artistes mettent en effet en œuvre une efficace de l'infection et de la contamination : leur démarche a pour objet halshs-00372588, version 1 - 1 Apr 2009 5 l'incident, le bug, l'inconfort technologique et la perte des repères. Les œuvres pionnières de Jodi5 interviennent par exemple sur la structure du langage Html par altération du code et transformation des balises permettant l'agencement des sites web : tant au niveau de la mise en page que de l'intégration des composantes multimédias, du son, de l'image, de la vidéo. En opérant une intrusion à la racine même des sites, au niveau du langage et du code informatique, ces oeuvres génèrent des erreurs basiques et des commandes contradictoires : l’erreur système 404 qu’elles affichent fait ici figure de leitmotiv créatif. Jodi entraîne ainsi le public dans les dédales rhizomatiques d'un jeu de piste dont il est souvent impossible de trouver l'issue, leurs interfaces de brouillage confrontant le visiteur à l'apparition constante de messages d'alerte et engendrant une perte de contrôle de l'ordinateur qui ne répond plus à aucune commande. Davantage centrés sur les coulisses de l’Internet, d’autres créateurs du Net art ont imaginé des navigateurs et des moteurs de recherche subversifs, dont le Shredder6 de Mark Napier et Netomat de Maciej Winiewski sont des figures emblématiques. Ces œuvres s'approprient les données du Web par une l'altération du code Html avant son interprétation par les logiciels de navigation. Il s’agit d’anti-moteurs de recherche qui redonnent à l’Internet son potentiel d’archive dynamique et modulable. Le Netomat répond par exemple aux requêtes des internautes par un afflux de textes, de sons et d'images fixes ou animées récupérées sur le Web. Il revient alors à l'utilisateur de combiner ou de recombiner ces différentes informations sans se soucier de l'arborescence du site ou de la structure de la page d'où elles sont extraites. À la frontière entre le navigateur, le moteur de recherche et l'extracteur de données, cette œuvre propose une forme active d'accès et de recouvrement des informations sur Internet. Son programme – le Netomatic halshs-00372588, version 1 - 1 Apr 2009 6 Markup Language – développé en open-source est lui-même modulaire et adaptable : il peut être approprié et amélioré par ses utilisateurs ou servir de plate-forme pour d'autres applications. Le Trace Noiser7 défend également un mode de production artistique basé sur le développement en open-source d’applications et d’outils informatiques détournés de leurs usages. Ce générateur de clones informationnels croise les fonctionnalités du moteur de recherche et des outils statistiques d’indexation et de traçage des réseaux de liens sur le Net. L’œuvre génère de fausses pages perso et les dissémine sur le réseau pour brouiller l'identité des participants. L’internaute est invité à saisir dans le Trace noiser son identifiant (nom et prénom) à partir duquel sera créée sa propre page Web. Ce dispositif dessine en effet un portrait intime de l’internaute à partir du glanage et du réagencement alternatif des sources le concernant retrouvées sur le réseau. Le projet artistique exploite l’idée que toute personne active sur le Net laisse, parfois malgré elle, une quantité de traces numériques (les traces liées à l’indexation d’un nom dans des courriels, des formulaires de commande, des signatures électroniques, des déclaration d’usage de logiciels, etc.), lesquelles sont ensuite traitées et travaillées par le Trace Noizer (démultipliées et transposées dans d’autres contextes). L’application créative brouille les pistes, mêle le vrai au faux et rend de ce fait difficile d’apprécier cette (dés)information. Il en résulte une identitée fragmentée qui place l’internaute dans l’entre deux algorithmique des traces informatiques glanées sur le Web et de celles générées par le Trace Noizer, continuellement découpées et altérées uploads/s3/ fourmentraux-critique-733-734-2008-pdf.pdf
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