Introduction Georges Roque En vertu de quel complexe la Seine et la Charente on
Introduction Georges Roque En vertu de quel complexe la Seine et la Charente ont- elles tenu à devenir « maritimes » pou.r ne plus être « inférieures » ? De même les r ( basses » Pyrénées. deve- nues « atlantiques . , les « basses » Alpes devenues « de Hau te-Provence » et la Loire « inférieure » devenue « atlantique » . Par contre, et pour un e raison qui m'échappe, le « bas» Rhin ne s'est touj ours pas offusqué de la proximité du « ha ut » , On remarquera, de même, qu e la Marne, la Savoie et la Vienne ne se sont jamais senties humiliées par l'exis- tence de la Haute-Marne, de la Haute-Savoie et de la Haute-Vienne, ce qui devrait vouloir di re quelque chose quant au rôle du marqué et du non marqué dans les classifications et les hiérarchies. Georges Pérec, Penser / Classer Art majeur, art mineur : ces catégories tentent, d'une façon qui n'est pas complètement satisfaisante, de rendre compte d'une oppo- sition fortement ancrée dans le monde angle-saxon, mais pour laquelle la langue française ne possède pas d'équivalent : high an d low . Ces termes d'usage de plus en plus coura nt - une recherche dans les banques de données américaines donne un nombre chaque jour croissant de réponses - présente le mérite de poser explicite- ment le problème de la hiérarchie en art, ce qui ne veut pas dire, tant s'en faut, de le résoudre. La langue française est plus retorse. S'i! existe bien des arts dits « mineurs • (les arts « décoratifs •J, on ne parle pas en revanche d'art « majeur . , de sorte que c'est plutôt l'équiva lent de high art qui nous fait défaut. Pour l'évoquer, force est d'utiliser une péri- phrase : « art avec un grand A ", « Art avec majuscule . , « l'art 7 comme tel », Ce qui ne veut pas dire, loin de là, que nous ne connaî- trions pas de hiérarchie, mais plutôt qu'elle prend dans la langue une forme différente. En fait, ce qui s'oppose, en français, aux arts mineurs, est l'art tout court, et l'art au singulier. Il est en effet frap- pant de remarquer la différence hiérarchique qui est faite entre l'art (comme tel), et les arts, flanqués d'une épithète : arts décora- tifs, arts populaires, arts primitifs, arts mineurs, etc. Le seul fait d'accoler au terme ..art . un qualificatif est déjà une marque dépré- ciative, un signe de minoration, comme si l'art .. tout court " se suf- fisait à lui-même, en donnant l'illusion de s'auto-définir en quelque sorte. C'est pour rompre cette dissymétrie entre art et arts mineurs que nous proposons d'introduire, en dépit de ses insuffisances, l'op- position entre art majeur et art mineur. Quelque commode qu'elle soit, cette opposition n'en a pas moins deux défauts .. majeurs » , Le premier est que la catégorie déprécia- tive d'arts mineurs existe déjà, même si elle tend à tomber en désuétude, remplacée par celle d'art décoratif ou art industriel". De plus, parler de deux blocs, « majeur . et " mineur " revient à faire du second une catégorie fourre-tout comprenant des formes artis- tiques hétérogènes : arts populaires, arts de masse, arts folklo- riques, artisanat, art régional, arts primitifs, arts « ethniques ", etc., dont les frontières se recoupent parfois, selon les découpages dont procèdent ces notions, souvent critiquées, bien que d'emploi toujours courant. Quant au premier, son extension est également fluctuante, dans le temps comme dans l'espace, pour ne rien dire des frontières entre les deux. En reconduisant ces deux grandes catégories, n'est-on pas en train d'entériner une division culturelle produite par le système, au lieu de la mettre en question ? On répondra que le risque est certes toujours présent, mais qu'il convient de l'assumer au lieu de prétendre effacer d'un coup une opposition largement présente dans les débats. Feindre de l'ignorer serait encore pire. Aussi faut-il l'affronter, et pour ce faire les caté- gories de majeur et de mineur peuvent s'avérer utiles, car les 1. Louis Réau écrivait à ce propos que l'art décoratif ou industriel . comprend les industries de l'ameublement, du costume, l'orfèvrerie, la céramique, qu'on classait autrefois sous le terme dédaigneux. d'arts mineurs . , Dictionnaire illustré d'art et d'archéologie, Paris, Larousse, 1930, art. « Décoratif (Art) ", p. 142. Conséquent avec lui-même , Réau n'avait pas inclus d'entrée .. arts mineurs ». 8 termes sont, à dessein, suffisamment caricat uraux pour que leur usage laisse entendre - du moins fau t-il l'espérer - ce qui en eux fait problème. Qu'il soit donc clair que leur emploi ne vise pas à cautionner la hiérarchie de valeur qu'ils impliquent, mais à la d ési- gner explicitement comme l'objet même qu'il s'agit d'analyser de façon critique. Pour accentuer cette dimension critique, « majeur " et « mineur " seront désormais mis entre guillemets, faute d'un marqueur d'ironie qui fait cruellement défaut à la lan gue. En empruntant cette opposition - comme bien des concepts en arts plastiques - au monde de la musique, il s'agit aussi de suggérer que la différence entre art majeur et art mineur est peut-être moins une différence ontologique, que modaleè. Au reste, comme le rappelle ici même Daniel Arasse, la théorie musicale des modes est aussi un des points de départ de la hiérarchie des genres en peinture. Cependant, par-del à la musique, les modes majeur et mineur font appel - tout comme high et loto - à des catégories cognitives qui structurent leur fonction hiérarchique. Majeur/mineur repose sur l'opposition grand/petit - ne parle-t-on pas de « grand art " face aux arts mineurs ? - ce qui renvoie à une hiérarchie basée sur la croissance biologique : les arts « mineurs » seraient donc inférieurs en ceci qu'ils n'auraient pas encore atteint la « majorité » propre aux arts « majeurs » , C'est donc un schème cognitif, la métaphore biologique de la croissance, qui nous aide à classifier des rapports hiérarchiques. C'est au ssi une catégorie cognitive, elle également profondément ancrée dan s nos schémas corporels - « embodied » - qui structure l'opposition entre high et loto : la verticalité. Dan s toutes les expressions idiomatiques qu'elle véhicule dans de nom- breuses langues, le « haut " représente la valeur positive et le « bas " la valeur négative, de sorte que cette opposition est celle qui, mieux que tout autre, permet de signifier des relations hiérar- chiques, le haut étant constamment associé à un rang élevé dans la hiérarchie sociale, le bas à un statut inférieurê. Ainsi, on le voit, la 2. Cf. sur ce point D. Chateau, « " Un artiste peut très bien couper un salami aussi 1" Réflexions philosophiques sur quelques modes artistiques peu ou prou mineurs ", dans Le mode mineur de la création (sous la direction de R. Conte et J.-Cl. Le Couic), Lyon, Aléas, 1996, p. 31-48. 3. Pour adapter ici librement à la langue française les propos extrêmement sti- mulants de G. Lakoff et M. Johnson, on oppose la «grandeur .. à la fo:petitesse ", 9 hiérarchie s'exprime au travers de catégories cognitives . Aussi une réflexion sur les hiérarchies en art se doit-elle d'être également attentive aux catégories qui nous servent à exprimer ces relations hiérarchiques. Et tel est précisément un des objectifs de cet OUvra- ge : entamer une analyse des catégories et des classifications à par- tir desquelles nous pensons les relations hiérarchiques. En effet, si l'opposition entre high et loto présente l'avantage d'af- ficher explicitement l'axe de verticalisation constamment mis en œuvre pour exprimer des rapports hiérarchiques, cela ne veut dire que ceux qui l'emploient réfléchissent au contenu hiérarchique qu'elle exprime, ni aux formes qu'elle prend. Bien au contraire, il semblerait que, du fait que cette hiérarchie s'énonce clairement dans les termes utilisés, ceux qui l'emploient se croient par là même dispensés d'en justifier ou d'en analyser l'usage. Il est ainsi frappant de constater que la hiérarchie qui sous-tend la différence entre majeur et mineur, high et lou: est rarement discutée, et enco- re moins mise en question. Aussi est-ce un autre des objectifs du présent ouvrage de combler cette lacune criante. Pour n'en donner qu'un exemple, l'exposition précisément intitu- lée High and Loto, et qui a fait beaucoup pour populariser l'expres- sion dans le champ artistique, n'a jamais mis en question cette hié- rarchie. Bien au contraire, elle n'a servi qu'à la renforce r. Les com- missaires de l'exposition n'ont jamais caché que l'art « majeur " constituait leur principal centre d'int érêt'[. En fait, la « philoso- phie » , si l'on peut dire, dont ils se réclament est d'une incroyable ingénuité; disons, pour être plus juste, qu'elle apparaît surtout telle après le formidabl e tollé d'indignation que l'exposition a sus- cité. Gauchissant l'opposition entre high et loui pour en faire deux mondes qui aura ient toujours été complètement hermétiques, et l'art mineur exclu de toute attention parce qu'inférieur, uploads/s3/ georges-roque.pdf
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- Publié le Mar 01, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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