Par Mario Litwin La particularit

         Par Mario Litwin La particularité de l’Harmonie L’Harmonie est la grammaire de la musique. Elle renferme dans son essence les fondements de la composition musicale et de l’orchestration, tout en permettant par sa seule pratique la dé- couverte et le perfectionnement de la Théorie musicale et du solfège. Si la musique ne devait s’enseigner qu’à travers une seule discipline, ce serait inévitablement l’Harmonie. Une image fréquente définit l’Harmonie comme la « science du vertical ». Cette défini- tion est réductrice et incomplète, car l’Harmonie est une discipline structurée agissant en étroite relation avec « l’horizontal », la construction mélodique, dont le contrepoint est son expres- sion maximale. Une synthèse des grands courants occidentaux Deux courants fondamentaux dominent le paysage pédagogique de notre sensibilité musicale occidentale. Une vision académique, représentée par l’enseignement officiel est constituée d’une lignée qui trouve ses origines dans l’Harmonie traditionnelle. Elle dérive de la musique ecclésiastique et a atteint son apogée dans la première moitié du XXe siècle, et l’Harmonie du Jazz. Leurs origines culturelles différentes ont fait croire pendant très longtemps à beaucoup de théoriciens qu’il existait des di- vergences et des incompatibilités entre ces deux courants. Ils ont pourtant évolué dans des cadres culturels à la fois diverses et homogènes, ce qui a créé une complémentarité indéniable. Prétendre l’ignorer est à la source de tous les malentendus qui ont porté préjudice à des centaines de milliers d’étudiants en musique. On ne peut pas nier aujourd’hui la richesse apportée par la synergie de ces deux courants. Elle se manifeste surtout dans la production symphonique de beaucoup de compositeurs de la première moitié du XXe siècle, dans la créa- tion cinématographique et dans la chanson po- pulaire occidentale. Par ailleurs, l’étude et la pratique de l’une apportent une nouvelle lumière dans la compréhension de l’autre. Leurs différences méthodologiques sont à la base de leurs richesse et complémentarité. Pour l’Harmonie traditionnelle, les accords dérivent des gammes, ce qui permet la structuration de la tonalité et des modulations ; pour l’Harmonie du Jazz, les gammes dérivent des accords, ce qui facilite l’improvisation. L’harmonie traditionnelle est étroitement dépendante de « l’horizontal », de la mélodie, tandis que l’harmonie du Jazz est essentiellement « verticaliste ». Cette inspiration se retrouve chez les grands symphonistes du début du XXe siècle. Nous n’irons pourtant pas jusqu’à affirmer qu’elle est due à l’influence naissante du Jazz, bien que cette hypothèse ne soit pas à exclure complètement. Le système harmonique traditionnel a permis l’émergence de formations orchestrales géantes. Cent vingt musiciens sont un nombre facilement maîtrisable. Ceci illustre la finesse d’élaboration de ses concepteurs qui ont su créer un système musical appuyé par des modèles acoustiques fondés sur des bases mathématiques. Aucun autre système harmonique et mélodique que l’occidental n’a jamais permis l’émergence de si grandes formations orchestrales polyphoniques. En effet dans n’importe quel autre système connu, les capacités timbriques et harmoniques s’épuisent très rapidement dès que le nombre d’instrumentistes atteint plus d’une douzaine. L’Harmonie traditionnelle est conçue pour une grande souplesse et indépendance interprétative des instrumentistes. L’écriture orchestrale pré- voit des différences acoustiques et rythmiques sans perte d’équilibre sonore. Un groupe instru- mental peut avoir moins de musiciens que le nombre prévu par le compositeur, leur puissance s’atténue sans que l’ensemble orchestral perde sa cohérence. Dans ce cas, le spectateur peut certes entendre autre chose que ce qui a été prévu par le compositeur, mais la construction harmonique, basée à la fois sur le vertical et l’horizontal, conserve son équilibre. Même si les harmonies perdent leur puissance et leur ren- dement vertical par le nombre réduit de pupitres consacrés à une voix, l’oreille se satisfait, à l’instar de Rimski-Korsakov « par la bonne mar- che horizontale des voix ». Cette souplesse structurale accepte ainsi toutes les possibilités acoustiques de la salle, toutes les variations de mise en place des instrumentistes et par la même raison, permet l’existence de grandes formations orchestrales, sans les inconvénients provoqués par le grand nombre d’intervenants : grande distance entre musiciens, différences d’écoute, effets de masque, temps de réaction et vitesse du son, qui modifient les conditions d’écoute et risquent d’affecter la qualité de l’interprétation. La réalité des orchestres de jazz est autre. Leur construction verticaliste, ne permet pas la coexistence de mélodies indépendantes. Les voix inférieures à la voix leader, sont tributaires de cette dernière. Les mélodies des secondes, troisièmes et quatrièmes voix n’ont pas d’existence propre. Elles n’existent que pour compléter rigoureusement l’harmonie. Les mélo- dies exposées par ces voix, sont souvent inco- hérentes et elles ne sauraient « accrocher » l’oreille comme dans une orchestration classique pour compenser toute variation de la mise en place. Ceci exige l’intervention d’excellents ins- trumentistes sachant jouer en respectant une mise en place parfaite. Ils sont obligés de s’écouter intimement les uns les autres créant un ensemble homogène. Ceci exige en plus un placement géographiquement proche. La finalité est de créer un rendu sonore serré comme si c’était le jeu d’un seul musicien. Lorsque dans la même œuvre coexistent les deux techniques, ceci permet des œuvres d’une grande richesse et d’une sonorité particulière dont quelques grands compositeurs du XXe siècle ont le secret. La situation de la Musique Assistée par Ordinateur. L’essor des nouvelles technologies a mis à la portée du grand public des instruments de musi- que sophistiqués sur le principe du synthétiseur. L’accessibilité de ces instruments polytimbriques a créé de nouvelles vocations. Une nouvelle génération de musiciens est née dont on distin- gue deux courants. Un premier courant polarisé par le côté ludique de l’ordinateur et encouragé par les modèles esthétiques simplistes a réussi à s’imposer. Ceci bien entendu sous le regard bienveillant des médias. Un autre courant de musiciens, conscient de l’ouverture que les nou- velles technologies provoque, est avide de nou- velles connaissances. Malheureusement, les pédagogues ont du mal à inscrire ces nouveaux courants esthétiques dans une continuité histori- que et se sentent décontenancés par ce qu’ils considèrent comme une menace au bon goût. Il est nécessaire de créer un chaînon man- quant d’ordre pédagogique permettant de faire le lien entre la formation traditionnelle et les nouvelles esthétiques. Ceci permettrait d’accompagner les nouveaux créateurs plutôt que de les abandonner à leur sort. Sinon on risque de subir l’amplification de l’émergence d’artistes hybrides qui relégueraient au rang de dinosaures démodés les grands principes esthétiques sur lesquels repose notre musique occidentale. Heureusement, le synthétiseur poly-timbrique informatisé réveille chez un grand nombre de jeunes musiciens le goût de la facture orches- trale. Le synthétiseur qui est d’une certaine fa- çon le concurrent de l’orchestre, notamment pour la musique enregistrée, s’avère sur certains aspects être son meilleur complimenteur. Il éveille des vocations orchestrales. Ces voca- tions doivent être encouragées Problèmes constatés dans la prati- que de la pédagogie de l’Harmonie. Il existe trois concepts théoriques autour des- quels tourne l‘apprentissage de l’Harmonie. Le concept compilateur. Le concept compositeur. Le concept empirique. C’est sur le premier, le plus connu, que l’on peut appeler de compilateur ou de « professeur d’Harmonie », que nous nous attarderons et dont nous dénonçons les erreurs pédagogiques malgré sa popularité et son acceptation dans les programmes officiels. La méthode la plus répan- due en France adhérant à ce concept est celle de Dubois. À travers cette méthode, l’étudiant apprend une multitude de règles souvent décon- nectées de ce qu’il lit et écoute tous les jours en tant que musicien. De nombreuses questions nous sont posées tous les jours par des étu- diants exprimant l’inquiétude provoquée par ces contradictions. L’étudiant a l’impression de subir une série de contraintes qui le briment dans son élan créatif plutôt que d’encourager sa créativité et son esprit de recherche. De plus, ce type de méthode explique comment composer dans le style de Bach ou de Mozart, considérant tout le reste comme des « exceptions » justifiées par le génie des grands maîtres. Ce concept encou- rage l’immobilisme et la béatitude. Ceux qui arrivent à créer après avoir été formés par ce concept pédagogique, le font malgré les métho- des et non-pas grâce à elles. En dramatisant, on peut dire que ce concept forme… des profes- seurs d’Harmonie pour former… des professeurs d’Harmonie… et ainsi de suite, tout en brisant les élans créatifs au moment où l’étudiant a le plus besoin d’encouragement. Questions souvent posées par la pratique de ce concept. Pourquoi les octaves parallèles sont-elles interdites alors que chez Mozart on en a beaucoup ? Pourquoi interdit-on les quintes parallèles alors que plus tard on les autorise sans aucune justification ? Comment l’Harmonie traditionnelle explique les fonctions supérieures introduites par les musiciens de jazz au XXe siècle ? Pourquoi si Le Sacre du printemps est une œuvre clé de l’histoire de la musique, on finit son diplôme d’Harmonie sans la compren- dre ? Toutes ces questions qui devraient être du domaine du professeur d’Harmonie, c’est le professeur d’Analyse musicale qui y répond selon son propre point de vue de compositeur. Le procédé est empirique et l’étudiant devient plus tard un compositeur plus ou uploads/s3/ harmonie.pdf

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