Le théâtre et son double Antonin Artaud Le théâtre et la culture La culture et

Le théâtre et son double Antonin Artaud Le théâtre et la culture La culture et la vie ne sont pas séparées l’une de l’autre ; la culture nous permet de comprendre et d’exercer la vie. Ainsi, la culture est ce qui détermine nos comportements et nos pensées même, ou ce que l’on appelle la civilisation ; d’où culture et civilisation sont deux mots désignant une seule et identique chose. Or, parce que le théâtre est une forme de la culture, il faudrait donc s’en servir pour nous former et guider nos pensées et nos comportements, ainsi que nos refoulements intérieurs. Il est le seul parmi tous les arts qui ait encore ce pouvoir d’influencer sur la pensée de la communauté. C’est pour cela qu’il faut le libérer de la dictature de la parole, et lui rendre son langage concret. Car, toute vraie culture s’appuie sur les moyens barbares et primitifs du totémisme. Le théâtre et la peste Le théâtre et la peste s’entrecroisent en plusieurs points. Tous les deux n’existent que dans l’esprit de celui qui en est touché, sans que rien ne passe vraiment dans la réalité matérielle. Un pestiféré meurt sans une destruction de la matière, parce que son mal est essentiellement spirituelle plus que physique ; de même pour l’acteur et le spectateur : le sentiment du théâtre est infiniment plus valable que celui réalisé dans la réalité. Le pestiféré et le spectateur se fascinent par ce qu’ils voient, au point qu’ils y croient ; et quand on croit à une chose, on réagit selon sa loi. C’est pour cette raison que l’action du théâtre comme celle de la peste est sur le plan d’une véritable épidémie. Elle a le pouvoir d’agir sur la pensée de la communauté. Ce qui en fait un pouvoir presque spirituel, c'est-à- dire une action qui permet d’atteindre le possible comme ce qui n’existe pas matériellement en passant de ce qui existe. Enfin, le théâtre comme la peste permet de dégager un fond de possibilités pervers de l’esprit, de forces noires ; mais si elles sont noires, ce n’est point la faute de la peste ou du théâtre, mais de la vie. En dénouant ces forces noires et perverses, le théâtre les purifie en même temps : c’est par la destruction que se fait l’équilibre. La mise en scène et la métaphysique Si le théâtre occidental contemporain est en décadence, c’est qu’il rompu avec l’efficacité immédiate, qu’on ne peut atteindre que par un langage concret, compatible avec la nature même de la scène, en tant qu’espace concret. Ce langage concret qui doit emprunter tous les moyens d’expressions utilisables jusqu’ici : musique, danse, mimique, plastique, gesticulation, intonations, etc. C’est pour cela qu’il s’adresse aux sens avant de s’adresser à l’esprit. Il est incompréhensible comment les gens de l’Occident méprisent-ils dans le théâtre ce qui y est de plus théâtrale : la mise en scène. Le théâtre est le terrain de tous les moyens d’expression, il ne faut pas le réduire à aucun langage spécial. Le théâtre est un domaine du concret, c’est pourquoi il faut faire de la parole un emploi spirituel : la considérer sous la forme de l’incantation. La pantomime non pervertie est celle où les gestes représentent des idées, des attitudes de l’esprit, des aspects de la nature, et non des mots. Le théâtre alchimique Le théâtre comme l’alchimie est un art virtuel, il est un mirage. Il arrache ce qu’ils peuvent avoir de communicatif et de magnétique aux principes de tous les arts. Il est ainsi ni social ni actuel ; de même, il ne peut être philosophique, il est essentiellement poétique. Sa tâche consiste dans le fait de résoudre ou d’annihiler les conflits produits pas l’antagonisme de la matière et de l’esprit, du concret et de l’abstrait, et de fondre toutes les apparences en une expression unique qui devait être pareille à l’or spiritualisé. Sur le théâtre Balinais Les Balinais ont réussi à faire ce que l’on peut appeler le théâtre pur, par la prépondérance qu’ils ont accordée au metteur en scène, qui est devenu le vrai maître de la cérémonie. Ils ont créé une sorte de langage physique pour la scène, qui a pour base non des mots mais des signes. Ce langage est incroyablement travaillé et amélioré : ils ont par exemple une riche variété de mimiques pour toutes les circonstances de la vie ; ainsi qu’une vraie architecture spirituelle, contenant toutes formes d’expression. Ils ont aussi éliminé l’auteur au profit du metteur en scène, pour finir avec les mots dans le théâtre. Par des gestes rituels et des thèmes abstraits, et par un instant d’identification magique, nous savons, nous spectateurs, que c’est nous qui parlons. Car ce genre de théâtre est avant tout un théâtre populaire, non dans le sens négatif du terme, mais dans les sens noble du terme, c'est-à-dire un théâtre qui traduit l’esprit ou l’imaginaire de la communauté. Il devient une sorte de religion à laquelle tout le monde adhère. Théâtre oriental et théâtre occidental Le théâtre oriental à tendances métaphysiques ne peut qu’être opposé au théâtre occidental à tendances psychologiques. Cette différence est due aux formes qu’emploient chacun de ces deux théâtres et à la conception de chaque communauté de l’art. Le théâtre occidental est psychologique, parce qu’il est un théâtre de mots, de texte écrit, donc d’une réflexion minutieusement établie. En revanche, le théâtre occidental est un théâtre de signes ; il ne s’arrête pas aux aspects extérieurs des choses, il établit une sorte de relation magique avec tous les degrés objectifs du magnétisme universel. Le théâtre occidental est aussi psychologique, du fait que les occidentaux ne voient dans l’art que son côté formel, et jamais son expression profonde, au contraire du théâtre oriental, qui cherche une certaine poésie intense de la nature. Pourquoi le langage physique est plus métaphysique que psychologique, c’est que la figue ou le signe, contrairement au mot, masquent ce qu’ils voudraient signifier au point qu’ils le rendent très riche de significations, et c’est là où résident la puissance et la richesse du théâtre oriental. Pour une autre fois, il faut que l’auteur cède la place au metteur en scène, le vrai spécialiste de ce langage physique de signes. En finir avec les chefs-d’œuvre Il faut finir avec les chefs-d’œuvre du passé, parce que s’ils étaient bons pour le passé, ils ne le sont plus pour le présent. Ce qui a été dit n’est plus à dire, une expression ne veut pas deux fois ; en plus, le théâtre est le seul lieu où un geste ne se fait pas deux fois. Si la foule n’arrivait pas à comprendre une œuvre du passé, la faute n’est pas à la foule, mais à cette œuvre. Par ailleurs, une œuvre écrite est toujours individuelle, elle ne sert par là qu’à celui qui l’a écrite, mais jamais ceux qui la lisent ; dès qu’on a condamné le théâtre à cet individualisme, le théâtre n’a cessé de tomber en décadence. Le théâtre, au contraire, est un art collectif, un art qui révèle à la communauté ses inquiétudes cachées, il broie et hypnotise la sensibilité du spectateur pris dans le théâtre comme dans un tourbillon de forces supérieures. Le théâtre et la cruauté La foule pense d’abord par ses sens, et donc il sera absurde de s’adresser d’abord à son entendement. Ainsi, il faut faire du théâtre une sorte de rêve, auquel la foule puisse croire, afin de libérer en elle cette liberté magique du songe. Ce qui veut dire qu’on ne sépare pas, dans ce théâtre, le corps de l’esprit ni les sens de l’intelligence. Pour cela, il faut des moyens de mise en scène pure, organisée autour de thèmes généraux et cosmiques, connus de tous. Notre projet consiste à ressusciter l’idée du spectacle total. Le théâtre de la cruauté (1er manifeste) Notre projet est de créer une sorte de langage unique à mi-chemin entre le geste et la pensée, un langage qui s’adresse aux sens, qui deviennent les nouveaux organes d’une perception plus profonde. Il rompt ainsi avec la parole, qui ne désigne les choses que sous leur côté superficiel. Au contraire, il fait un usage tout particulier de la parole : il fait des mots des incantations, par une modulation de la voix, des vibrations et des rythmes. Il traite des sujets d’ordre cosmique, par des moyens qui fascine la sensibilité, ce qui est l’objet de la magie et des rites, dont le théâtre n’est qu’un reflet. Techniques – Le théâtre ne pourra redevenir lui-même qu’en fournissant au spectateur des précipités véridiques de rêves, il doit réveiller en lui des fantasmes sauvages et primitifs, sur un plan non pas supposé et illusoire mais intérieur, en jouant sur le magnétisme nerveux de l’homme, afin de réaliser magiquement une sorte de création totale. Thèmes – Un spectacle pour être réussi doit contenir impérativement un objet physique sensible à tous : cris, lumière, beauté incantatoire de la voix, objets neufs et surprenants, mannequins gigantesques, etc., autour duquel se concentra l’attention des uploads/s3/ le-theatre-et-son-double-compte-rendu.pdf

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