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T TS S L L’ ’a ar rt t Page 1 sur 13 Introduction Si chacun de nous est susceptible d'éprouver du plaisir au contact d'une œuvre d'art, cette expérience personnelle ne suffit pas à répondre aux questions que l'on peut se poser sur la nature et la fonction de l'art, sur la spécificité du travail des artistes, sur celle des œuvres qu'ils produisent. Ces questions sont à peu près aussi anciennes que l'art lui-même. Dans plusieurs de ses dialogues, Platon prête à Socrate des propos très sévères sur les artistes, qu'il considère comme de simples imitateurs de la nature, marchands d'illusions, peu différents des sophistes1. Pour son disciple Aristote, l'art contribue au contraire à une « purification des passions» (la catharsis, en grec) : la poésie ou le théâtre éveillent en nous des émotions qui, à l'inverse de ce qui se passerait dans la vie réelle, sont éprouvées sans dommage et ressenties comme apaisantes. L'opposition entre Platon et Aristote porte sur un enjeu fondamental: quel lien l'art doit-il entretenir avec la réalité? Une anecdote rapportée par Stendhal montre à quel point la question n'est pas simple. En août 1822, lors d'une représentation de la pièce Othello de Shakespeare, le soldat en faction pour assurer la sécurité dans le théâtre, voyant Othello sur le point de tuer Desdémone, tire un coup de fusil et casse un bras à l'acteur qui jouait le rôle d'Othello. «L'illusion que l'on va chercher au théâtre n'est pas une illusion parfaite», commente Stendhal, «l'illusion parfaite était celle du soldat en faction au théâtre de Baltimore », alors que « les spectateurs savent bien qu'ils sont au théâtre2». I/ L'art doit-il imiter ou réinventer la réalité? 1) L’oeuvre d'art entre illusion, expression et révélation De la préhistoire au XIXème siècle, la peinture et la sculpture puis, dès l'Antiquité, la poésie ou le théâtre semblent se référer à une même conception de l’art : il s'inspire forcément de la nature ou, plus généralement, de la réalité. L'originalité de chaque artiste ou de chaque courant artistique s’exprime dans la très grande diversité des œuvres produites : les sujets peints sur les parois des grottes préhistoriques, sur les murs des églises au XIIIème siècle, sur les tableaux des XVIIème et XIXème siècles présentent d'innombrables différences; les techniques privilégiées, les intentions des peintres qui ont choisi de les représenter sont d'une infinie diversité (selon que l'art est mis au service de la religion, destiné à immortaliser de grandes batailles, exalter la gloire des rois...). Mais toutes ces œuvres ont en commun d'être figuratives, c'est-à-dire que la réalité qui leur a, d'une façon ou d'une autre, servi de modèle est facilement identifiable. Cela ne signifie pas pour autant qu'à ces époques la fonction essentielle de l'art est d'imiter le réel. Lorsque Platon reproche aux artistes - qui sont, selon lui, de simples imitateurs -de 1 Les sophistes professaient que, la vérité étant difficile d'accès, voire inaccessible, l'art de persuader l'opinion était le meilleur moyen de produire du consensus. Platon les considère comme des usurpateurs, imitateurs de la vraie sagesse 2 Dans Racine et Shakespeare, Jean-Jacques Pauvert, coll. «Libertés», 1965, p. 38-39 T TS S L L’ ’a ar rt t Page 2 sur 13 tromper leur public, il semble donc condamner presque sans appel l'art lui-même, au nom d'une conception de la philosophie et de la vérité qui dévalue aussi bien la connaissance sensible que la contemplation ou la production d'images. L'artiste joue avec les apparences, le sage doit leur préférer la réalité des Idées, accessibles à la seule connaissance intellectuelle. Pour l'historien contemporain de l'art Erwin Panofsky, la philosophie de Platon est, de ce fait, «étrangère à l'art»; en refusant toute valeur à l'imitation des réalités sensibles, elle ne tolère paradoxalement que des productions dont l'auteur - renonçant à toute originalité personnelle (qui est précisément la marque distinctive de l'art) - aurait pour seule ambition d'exprimer les Formes idéales qui constituent, selon lui, le modèle du monde visible ». Texte de Platon Pour Platon, on doit distinguer deux degrés dans la réalité : -l’Idée qui est le modèle de toute chose (ex : l’Idée de Chien, est le modèle de tous les chiens existants). L’Idée appartient au monde intelligible, auquel on n’accède que par la pensée -la réalité sensible, c'est-à-dire le monde dans lequel nous vivons, les objets que nous percevons au quotidien Donc pour Platon, le monde sensible auquel nous appartenons est déjà une copie du vrai monde qui est le monde intelligible, il est éloigné d’un degré de la réalité, il est déjà de l’ordre de l’apparence. L’art se propose de copier ce qui existe dans le monde sensible, donc d’imiter ce qui est déjà une copie, donc selon Platon l’artiste nous éloigne de deux degrés de la réalité. L’art selon Platon est donc source d’illusion, nous éloigne de la vérité. La critique de Platon porte donc en fait sur la question de la connaissance et non sur les qualités esthétiques de l’œuvre d’art S'inspirer de la réalité, est-ce forcément et uniquement en fabriquer des imitations parfaites ? Si tel était le cas, comme le montre Hegel, l'art n'aurait pas grand intérêt. Les copies ne sont jamais à la hauteur de leurs modèles et, quand elles approchent la perfection (au point, par exemple, qu'un oiseau vienne picorer des raisins peints sur une toile ou un mur), c'est plutôt mauvais signe : un artiste qui se fixe pour principale ambition de tromper un oiseau ne révèle rien de plus que de l'habileté technique. L'art vise, par la libre production d'œuvres originales, la révélation de ce que la réalité ne donne pas immédiatement à voir - c'est ce qui justifie l'expression courante «création artistique3». Texte de Hegel Pour Hegel, l’art est capable de créer des imitations de la nature quasi parfaites qui soient effectivement capables de tromper celui qui les regarde et on a longtemps considéré que 3 Alors que, en toute rigueur, le mot « création» devrait être réservé aux actions divines. T TS S L L’ ’a ar rt t Page 3 sur 13 c’était l’accomplissement même de l’art de parvenir à ce type de représentations (c’était la conception d’Aristote par exemple). Mais selon Hegel, c’est limiter l’ambition de l’art que de ne pas lui donner d’autre but que de provoquer l’illusion et de toute façon, en réalité, selon lui, l’art ne pourra jamais rivaliser avec la nature (l’art ne s’adresse qu’à un ou deux de nos sens, quand la nature s’adresse à nos cinq sens). Ainsi, selon lui, l’art ne doit pas se donner comme but d’imiter la nature car il ne peut y parvenir et par ailleurs c’est une activité totalement inutile et décevante pour nous. En réalité, on éprouve du plaisir à contempler la réalité naturelle, mais pas son imitation dans l’art qui nous agace ou nous dégoûte. La véritable fonction de l’art doit son bien au contraire être de créer, en utilisant ainsi la faculté propre de l’homme d’inventer, plutôt que de vouloir rivaliser avec la nature. 2) Inventer le réel Même la peinture figurative - ou les œuvres littéraires qui racontent des histoires vraies ou vraisemblables -ne se contente jamais de copier le plus fidèlement possible des modèles. « Le style pour l'écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre», écrit Marcel Proust, «est une question non de technique mais de vision ». La vie d'un héros de roman peut ressembler beaucoup à la nôtre : l'art du grand romancier est de nous la raconter de telle façon qu'il nous donne en même temps la clé du monde dans lequel nous vivons. Et le traitement de la lumière par Rembrandt4 ou Vermeer5 donne au su/et de leurs tableaux et à la vision que nous en avons des siècles plus tard, même quand il s'agit de scènes ou de paysages connus, un sens que nous ne leur aurions jamais reconnu dans la réalité. Il n'y a à cet égard aucune contradiction entre l'art figuratif ou réaliste et l'art moderne et contemporain. L'abstraction en peinture - ou simplement la représentation déstructurée des corps et des visages par Picasso -, les textes poétiques écrits sans respecter la syntaxe et la ponctuation classique créent en quelque sorte de nouveaux mondes. Ceux qui qualifient un peu vite ces œuvres d'incompréhensibles oublient du reste que les scènes de la Bible si souvent reproduites par les peintres du XVIème ou du XVIIème siècle, qui peuvent donner l'illusion d'être plus familières, étaient tout aussi éloignées de la réalité dont elles s'inspiraient: les vêtements, les paysages, l'architecture... y sont, «au mieux», des reconstitutions très fantaisistes de ceux du temps et des lieux où ces scènes sont supposées s'être déroulées. La Vierge, par exemple, est en général représentée sous les traits d'une noble de l'époque du peintre, les paysages en toile de fond sont un mélange d'éléments disparates empruntés à la fois à l'environnement de l'auteur du tableau et au décor supposé de la scène évoquée. uploads/s3/ poly-art-cours.pdf
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- Publié le Jui 23, 2021
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