Communication et langages Qu'est-ce que le Kitsch ? Abraham A. Moles Résumé Kit
Communication et langages Qu'est-ce que le Kitsch ? Abraham A. Moles Résumé Kitsch : voilà un mot qui n'est pas encore dans le langage courant, bien qu'il désigne une catégorie d'objets si courants eux- mêmes qu'on peut parler d'un phénomène kitsch. C'est, au premier abord, un phénomène qui caractérise notre civilisation de masse. Mais si l'on va plus loin, il pourrait caractériser l'esprit humain lui-même. Abraham Moles le dit dans cet ouvrage dont nous publierons un extrait « [...] Il n'est pas d'être humain, d'artiste, d'ascète ou de héros qui n'ait quelque chose de kitsch dans la mesure où il est quotidien [...] et plus loin, [...] nul ne peut, saut par intervalles, vivre sur les hauteurs : d'où le totalitarisme du kitsch. » A la limite, donc, tout est kitsch, sauf quelques cas rares de création absolue échappant à toute société, tout milieu, toute détermination, toute règle normative et qui ne peut être démonté et expliqué qu'a posteriori, l'acte créateur étant achevé. Mais l'esthétique des dieux n'est pas pour les hommes et la métacréation des dieux qui se mettent au service des hommes reste, sinon entre parenthèses, en tout cas en marge ». Citer ce document / Cite this document : Moles Abraham A. Qu'est-ce que le Kitsch ?. In: Communication et langages, n°9, 1971. pp. 74-87. doi : 10.3406/colan.1971.3856 http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1971_num_9_1_3856 Document généré le 05/01/2016 QU'EST-CE QUE LE KITSCH? par Abraham Moles Kitsch : voilà un mot qui n'est pas encore dans le langage courant, bien qu'il désigne une catégorie d'objets si courants eux-mêmes qu'on peut parler d'un phénomène kitsch l. C'est, au premier abord, un phénomène qui caractérise notre civilisation de masse. Mais si l'on va plus loin, il pourrait caractériser l'esprit humain lui-même. Abraham Moles le dit dans cet ouvrage dont nous publierons un extrait2 « [...] Il n'est pas d'être humain, d'artiste, d'ascète ou de héros qui n'ait quelque chose de kitsch dans la mesure où il est quotidien [...] et plus loin, [...] nul ne peut, saut par intervalles, vivre sur les hauteurs : d'où le totalitarisme du kitsch. » A la limite, donc, tout est kitsch, sauf quelques cas rares de création absolue échappant à toute société, tout milieu, toute détermination, toute règle normative et qui ne peut être démonté et expliqué qu'a posteriori, l'acte créateur étant achevé. Mais ■ l'esthétique des dieux n'est pas pour les hommes et la métacréation des dieux qui se mettent au service des hommes reste, sinon entre parenthèses, en tout cas en marge ». « Poésie ist Leben Pros a ist der Tod Engelein umschweben x. Unser tâglich Brot » « La poésie c'est la vie Mais la prose est la mort Des angelots s'envolent Autour du pain quotidien » F. Kempner LE MOT ET LA CHOSE ^ Le terme de « Kitsch » est mal connu en français ; il n'a été > employé qu'accidentellement dans la littérature scientifique, en S) particulier par E. Morin (Esprit du Temps). Concept universel, | familier, important, il correspond d'abord à une époque de la -2 genèse esthétique, à un style d'absence de style, à une fonction « de confort surajoutée aux fonctions traditionnelles, à un « rien § de trop » du progrès. "co o "2 1. Voir Communication et Langages n° 5 (mars 1970, « Qu'est-ce que le design ? », par 3 Marc Held). S 2. Le Kitsch, l'art du bonheur, par Abraham Moles, directeur de l'Institut de psychologie £ sociale de l'Université de Strasbourg (Editions Maure). o O Sociologie 75 Le mot Kitsch apparaît dans le sens moderne à Munich vers 1860 ; c'est un mot de l'allemand du sud bien connu : kitschen, bâcler, et en particulier faire de nouveaux meubles avec des vieux est une expression familière ; verkitschen, c'est refiler en sous-main, vendre quelque chose à la place de ce qui avait été exactement demandé : il y a là une pensée éthique subalterne, une négation de l'authentique. Le Kitsch, c'est la camelote (Duden), c'est une sécrétion artistique due à la mise en vente des produits d'une société, dans ses magasins qui en deviennent, avec les gares, les véritables temples. Le Kitsch est lié à l'art d'une façon indissoluble, de la même façon que l'inauthentique est lié à l'authentique. « II y a une goutte de Kitsch dans tout art », dit Broch, puisque dans tout art il y a un minimum de conventionalisme, d'acceptation du faire- plaisir au client et qu'aucun Maître n'en est exempt. Si le Kixsch est éternel, il a, pourtant, ses périodes de prospérité, liées, entre autres choses, à une situation sociale, à l'accès à l'affluence : le mauvais goût y est l'étape préalable du bon goût réalisée par l'imitation des Olympiens dans un désir de promotion esthétique qui s'arrête en chemin. Le monde des valeurs esthétiques n'y est plus dichotomise entre le « beau » et le « laid » : entre l'art et le conformisme s'étend la vaste plage du Kitsch. Le Kitsch se révèle avec force au cours de la promotion de la civilisation bourgeoise, au moment où elle adopte le caractère d'affluence, c'est-à-dire d'excès des moyens sur les besoins, donc d'une gratuité limitée, et dans un certain moment de celle-ci où cette bourgeoisie impose ses normes à une production artistique. Le Kitsch est donc un phénomène social universel, permanent, de grande envergure, mais c'est un phénomène latent à la conscience des langues latines, faute de terme adéquat pour le définir. Ainsi l'approcherons-nous d'abord et essentiellement par des exemples. Ce n'est pas un phénomène dénotatif sémantiquement explicite, c'est un phénomène connotatif intuitif et subtil ; il est un des types de rapport que l'être entretient avec les choses, une manière d'être plus qu'un objet, ou même un style. Certes, nous parlerons souvent du « style Kitsch », mais en tant qu'un des supports objectivables de l'attitude Kitsch, et nous verrons ce style se formaliser dans une époque artistique. Il deviendra une catégorie lui donnant accès aux anthologies et, bientôt, aux collections d'art. Mais le Kitsch précède et outrepasse ces supports, c'est un état d'esprit, qui, éventuellement, se cristallise dans les objets. Une méthode originale se propose ainsi pour cerner un phéno- Qu'est-ce que le Kitsch ? mène social : après avoir soigneusement mis en place les modifications du cadre économique de notre vie quotidienne, nous présenterons des exemples divers de Kitsch, dans les aspects les plus disparates de la culture de masse : arts visuels, peinture, sculpture, littérature, objets* musique, architecture, tout peut être support de Kitsch (Kitschtrager). L'extraordinaire convergence des exemples que nous présenterons définit donc avec une grande netteté le phénomène, indépendamment de ses supports, même si aucune définition formelle n'en est donnée. Mais le rôle d'un livre est précisément de faire passer d'une connotation intuitive, si importante soit-elle, jusqu'au statut scientifique de l'explicite. Si le Kitsch est un facteur esthétique latent, il s'agit de le révéler, comme l'image latente d'une pellicule photographique, dans le tissu ou l'écume des jours. L'émergence dans les langues germaniques d'un terme précis pour le désigner les a conduites à une première prise de conscience : à travers le mot, le concept devient apprehensible, manipulate ; c'est la méthode que nous suivrons désormais : la démarche scientifique, pour connaître, commence par nommer et cherche à définir. Pour y parvenir, nous fixerons d'abord la nature de ce cadre quotidien sur le plan économique et social et nous en esquisserons les changements récents, qui servent de conditions nécessaires à l'ambiance Kitsch. LE MONDE BOURGEOIS ET LES CHOSES Le rôle des sciences sociales est de réfléchir sur l'image du monde dans lequel nous sommes amenés à vivre. De ce monde, l'Extrême-Occident nous offre un cas surdéveloppé, destiné, que cela lui plaise ou non, à servir de modèle de développement aux autres contrées. Ce monde est caractérisé par l'intervention, entre l'homme et cette société, de médiateurs de plus en plus envahissants qui transforment la nature même de ses relations. Les rapports de l'individu avec le milieu social passent désormais, et fondamentalement, par les objets et produits devenus les expressions o, les plus tangibles de la présence de la société dans son environ- "g" nement, à partir du moment où ils prennent la place des ■ choses |» naturelles ». La psychologie de la vie sociale s'orientera vers c* l'étude des relations de l'individu avec les choses, puisque ces ■^ choses sont des produits sociaux bien plus caractérisés et plus « actuels que les êtres humains qui les ont réalisés. Ces êtres, à § leur tour, reculent à l'arrière-plan derrière l'aménagement d'une is civilisation mécanique des biens et des services. *£ II est normal d'appeler culture cet environnement artificiel que 1 l'homme s'est créé par l'intermédiaire du corps social. Marquons | d'abord Yextension de ce terme. L'environnement artificiel outre- o Sociologie 77 passe en effet infiniment ce que nos défunts professeurs d'histoire appelaient Y Art et la Science : pour eux, la « culture » était, essentiellement, ce qu'il y a dans les bibliothèques, dans les musées et dans les codes. Désormais, elle comporte essentiellement uploads/s3/ que-es-que-le-kitch 1 .pdf
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- Publié le Jui 10, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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