La poétique de l'oeuvre ouverte est fondamentale dans l'étude des oeuvres, dans
La poétique de l'oeuvre ouverte est fondamentale dans l'étude des oeuvres, dans le rapport que le lecteur peut entretenir avec l'œuvre. En effet, la poétique de l'œuvre ouverte, comme nous allons le voir en détails grâce au compte rendu de l'ouvrage de référence de Umberto Eco sur la question, permet de repenser le rapport du lecteur à l'œuvre : elle bannit la lecture de consommation, la passivité du lecteur face à l'oeuvre, pour au contraire mettre en valeurl'activité et l'effort que doit fournir celui-ci. Préface Umberto débute son ouvrage en donnant la définition suivante de l'oeuvre d'art : L'œuvre d'art est un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant. Puis il ajoute que cette ambiguïté peut devenir une fin explicite de l'œuvre. C'est à partir de ce point que U. Eco construit sa problématique : quand l'ambiguïté de l'œuvre devient plus qu'un hasard, un atout de l'œuvre. U. Eco ajoute pour clarifier le propos que, selon lui, l'artiste qui produit une œuvre sait qu'il structure un message à travers son objet : il ne peut ignorer qu'il travaille pour un récepteur. (Cette thèse de la conscience de l'artiste créateur pour un récepteur peut bien sûr être contestée : on peut considérer en effet que l'artiste crée sans avoir la volonté de s'adresser à un récepteur. On peut notamment citer l'exemple de l'art brut). C'est ainsi que l'artiste va exploiter cette ambiguïté, pour établir une relation privilégiée avec son lecteur. La poétique de l'œuvre ouverte Umberto Eco débute son propos en citant quatre exemples de musique récente (début du 20ème siècle) qui laissent beaucoup de liberté à l'exécutant : Karlheinz Stockhausen, le Klavierstück XI Luciano Berio, le Sequenza pour flûte seule Henri Pousseur, le Scambi Pierre Boulez, la troisième sonate pour piano Ils rompent tous les quatre avec la tradition de communication musicale : ce sont des œuvres ouvertes carl'interprète (le musicien) accomplit ces œuvres au moment même où il en assume la médiation. En effet, dans ces exemples de musiques, le compositeur laisse la liberté à l'exécutant de déterminer la durée des notes ou la succession des sons, dans un « acte d'improvisation créatrice. » La partition n'est pas figée et reste pour le musicien un champ de possibilités à exploiter selon sa sensibilité. En effet, lorsqu'une œuvre est consommée, il y a deux possibilités : soit l'œuvre est achevée, dans le sens où son auteur a fixé le sens et les possibilités. Soit l'œuvre est ouverte, comme dans les exemples donnés plus haut : l'interprète de la musique, ou bien le lecteur, l'amateur d'art en général, participe à l'œuvre et ce, de façon active, sa collaboration est nécessaire à l'œuvre. Ainsi, Umberto Eco indique que l'œuvre d'art est, d'un côté, un objet dont on peut retrouver la forme originelle, comme l'a conçue l'auteur : c'est la forme achevée de l'œuvre. D'un autre côté, le consommateur exerce une sensibilité personnelle et sa culture, ses goûts, ses préjugés orientent sa jouissance. U. Eco résume : Toute œuvre d'art alors même qu'elle est une forme achevée et close dans sa perfection d'organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu'elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d'une œuvre d'art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale. Ainsi, la poétique de l'œuvre ouverte s'applique à toutes les œuvres, au moins dans la mesure où l'amateur apprécie l'œuvre selon sa culture personnelle et ses émotions propres. Selon Pousseur (le musicien cité plus haut), la poétique de l'œuvre ouverte permet de favoriser « des actes de liberté consciente » chez l'interprète : il élabore sa forme personnelle et n'est pas lié à l'œuvre par la nécessité. On remarque ainsi que la poétique de l'œuvre ouverte consacre l'importance de l'élément subjectif dans la jouissance esthétique, c'est-à-dire l'importance de la personnalité du récepteur Dans l'histoire de l'art, le courant baroque est l'illustration de la notion moderne de l'ouverture : La recherche du mouvement et du trompe-l'œil exclut la vision privilégiée, univoque, frontale, et incite le spectateur à se déplacer continuellement pour voir l'œuvre sous des aspects toujours différents, comme un objet en perpétuelle transformation. Pourtant, même si on peut considérer à posteriori que les œuvres baroques sont des œuvres ouvertes, les artistes baroques n'avaient pas forcément conscience de faire ainsi. Ainsi, la notion d'ouverture chez les baroques est à relativiser. Cependant, bien plus tard, à la fin du 19ème, le symbolisme élabore lui aussi une théorie délibérée de l'œuvre ouverte. Eco cite l'Art poétique de Verlaine : De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air Sans rien en lui qui pèse et qui pose. Mallarmé écrit : Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème, qui est faite du bonheur de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve. La poésie symboliste coïncide vraiment avec cette volonté de « créer un halo d'indétermination autour du mot » selon les termes de U. Eco, à suggérer le(s) sens, à faire participer le lecteur. En cela, ce sont des œuvres ouvertes. Quant à la production littéraire contemporaine (contemporaine de l'ouvrage de U. Eco, c'est-à-dire, des années 1960), elle est basée sur l'utilisation du symbole comme expression de l'indéfini, ouverte à des interprétations diverses, ouvertes. U. Eco cite des exemples : Kafka : l'univers décrit dans les œuvres de Kafka sont pleine d'ambiguïté, il se substitue à un monde ordonné, c'est un monde privé de centre d'orientation, dans lequel les valeurs et les certitudes sont constamment remises en question. Paul Valéry : « Il n'y a pas de vrai sens d'un texte. » James Joyce : Ulysses reste selon U. Eco, « l'oeuvre la plus ouverte dont il nous soit permis de parler » (U. Eco consacre la moitié de son ouvrage à l'étude approfondie de Ulysses). Brecht : le dramaturge ne propose pas de solution, les drames ont une fin ambiguë : l'œuvre est ouverte au sens où l'est un débat : on attend, on souhaite une solution, mais elle doit naître d'une prise de conscience du public. L'ouverture devient instrument de pédagogie révolutionnaire. On voit donc que dans le début de la seconde moitié du 20ème siècle, l'ouverture de l'œuvre devient un moyen pour les artistes (et notamment les dramaturges du « théâtre de l'absurde », ou « nouveau théâtre ») d'interpeller le spectateur, et à travers lui, l'être humain, pour réagir face au néant de l'existence. Le dramaturge soumet au spectateur ses interrogations et se gardent bien de conclure, au contraire. A l'intérieur de la catégorie des œuvres ouvertes, il y a une autre catégorie d'œuvres : celle des œuvres en mouvement : il s'agit d'oeuvres matériellement inachevées. En musique, Eco cite le Scambi de Pousseur, en arts plastiques, les mobiles de Calder, les travaux de Bruno Murani. Quant à la littérature, le Livre de Mallarmé est un système de permutation de livrets qui permettait de constituer une infinité de livres au total. U. Eco fait ensuite une digression pour expliquer le rapport entre l'évolution de la poétique de l'œuvre ouverte et l'avancée des connaissances en sciences. En effet, il note que l'exemple de Pousseur : le fait que la structure musicale ne détermine pas nécessairement la succession correspond à la crise du principe de causalité. Ou encore, pour reprendre l'exemple du Livre de Mallarmé, ce projet était contemporain de la loi physique de complémentarité. U. Eco résume : « Il n'est donc pas surprenant de retrouver dans la poétique de l'œuvre ouverte, et plus encore de l'œuvre en mouvement l'écho plus ou moins surpris de certaine tendance de la science . » Ainsi, l'œuvre ouverte devient une « métaphore épistémologique. » Conclusion sur l'œuvre en mouvement : Elle rend possible une multiplicité d'interventions personnelles, mais non pas de façon amorphe et vers n'importe quelle intervention. Elle est une invitation, non pas nécessitante ni univoque mais orientée, à une insertion relativement libre dans un monde qui reste celui voulu par l'auteur. [...] L'auteur offre à l'interprète une œuvre à achever. Conclusion générale : L'œuvre ouverte est une invitation à faire l'œuvre avec l'auteur. U. Eco cite Pareyson : L'œuvre d'art est une forme, c'est-à-dire un mouvement arrivé à sa conclusion : en quelque sorte un infini contenu dans le fini. Sa totalité résulte de sa conclusion et doit donc être considérée non comme la fermeture d'une réalité statique et immobile, mais comme l'ouverture d'un infini qui s'est rassemblé dans une forme. Avec l'œuvre ouverte, et l'œuvre en mouvement : nouveau type de rapport entre l'artiste et son public nouveau fonctionnement de la perception esthétique place nouvelle assurée au produit artistique dans la société rapport inédit entre la contemplation et l'utilisation de l'œuvre d'art. Analyse du langage poétique Le but de Eco dans ce chapitre est d'analyser en son fond ce qui fait de toute uploads/s3/ umberto-eco 1 .pdf
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- Publié le Apv 01, 2022
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