Article 04 - Ars Sonora n°3 La spectromorphologie. Une explication des formes d
Article 04 - Ars Sonora n°3 La spectromorphologie. Une explication des formes du son par Denis Smalley Traduction de Suzanne Leblanc et Louise Poissant, révisée par Daniel Charles. Première parution dans Esthétique des arts médiatiques, tome 2, sous la direction de Louise Poissant, 1995, Collection Esthétique, Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, Québec. Nous remercions ici Louise Poissant et Nicole Harvey du Groupe de Recherche en Arts médiatiques : GRAM, Département d’arts plastiques, Université du Québec à Montréal, C.P. 8888, succ. Centre-Ville, Montréal (Québec) Canada H3C 3P8, tél. 514 987 3000 poste 8237, télécopie 514 987 4651, courrier électronique : gram@er.uquam.ca. Coordonnées de l’éditeur : Presse de l’Université du Québec, 2875, bd. Laurier, Sainte-Foy (Québec) Canada G1V 2M3, tél. 418 657 4399, télécopie 418 657 2096, courrier électronique : secretariat@puq.uquebec.ca. A noter que Louise Poissant vient par ailleurs de diriger une autre publication, le Dictionnaire des arts médiatiques. Introduction L’art de la musique ne se contente plus désormais d’emprunter ses modèles sonores aux instruments et aux voix. La musique électroacoustique donne accès à tous les sons, à un éventail sonore déconcertant qui s’étend du réel au surréel et même au-delà. Pour les auditeurs, les liens traditionnels avec la production physique du son se trouvent fréquemment rompus : souvent, les formes sonores et les propriétés électroacoustiques n’indiquent pas leurs sources ni leurs causes. C’en est fini des articulations familières des instruments et de l’expression vocale ; c’en est fini de la stabilité de la note et de l’intervalle ; c’en est fini aussi de la référence au temps et à la mesure. Les compositeurs ont également des problèmes : Comment frayer un chemin esthétique et découvrir une stabilité dans un monde sonore grand ouvert ? Comment développer des méthodes appropriées de production de son ? Comment sélectionner les technologies et le software ? Comment allons-nous expliquer et comprendre la musique électroacoustique ? La musique ne se crée pas à partir de rien. Si un groupe d’auditeurs trouve une pièce de musique électroacoustique « gratifiante », c’est parce qu’il y a, à la fois à l’intérieur et derrière cette musique, une base d’expérience partagée. Nous avons besoin de pouvoir discuter des expériences musicales, de décrire les caractéristiques de ce que nous entendons et d’expliquer comment elles fonctionnent dans le contexte de la musique. Définitions et contextes J’ai développé les concepts et la terminologie de la spectromorphologie 1) à titre d’outils pour décrire et analyser l’expérience auditive. Les deux parties du mot renvoient à l’interaction entre les spectres sonores (spectro) et les façons dont ils changent et se configurent à travers le temps (morphologie). La spectro- ne peut exister sans la -morphologie et vice versa : quelque chose doit recevoir une forme, et cette forme doit avoir un contenu sonore. Bien que le contenu spectral et la forme temporelle soient indissolublement liés, nous avons conceptuellement besoin de les séparer dans le discours : nous ne pouvons pas du même souffle décrire ce qui est formé et les formes elles-mêmes. Le vocable peut sembler du jargon et c’est peut-être une expression maladroite, mais je ne suis pas arrivé à trouver un autre mot pour résumer de façon aussi précise l’interaction des composantes en présence. Chaque composante du terme appartient à d’autres disciplines (visuelle, linguistique, biologique, géologique), mais convient tout à fait puisque l’expérience musicale irradie à travers ces disciplines. Il reste que la combinaison est unique : en musique, on a souvent besoin de mots nouveaux pour définir certains phénomènes sonores spécifiques. Une approche spectromorphologique présente les modèles et les processus spectraux et morphologiques, et fournit un cadre permettant de comprendre les relations et les comportements structuraux perçus dans le flux temporel de la musique. La relation avec la méthode de composition La spectromorphologie n’est pas une théorie ni une méthode de composition mais un instrument de description reposant sur la perception auditive. Son objectif est de servir d’aide à l’écoute, ainsi qu’à l’explication de ce que plus de quatre décennies de répertoire électroacoustique ont donné à entendre. La façon dont les compositeurs conçoivent le contenu et la forme musicale (leurs objectifs, leurs modèles, leurs systèmes, leurs techniques et leurs plans structuraux) ne correspond pas à ce que les auditeurs perçoivent de la même musique. Ce que le compositeur a à dire (dans ses notes de programme, ses conférences, ses feuilles) n’est pas sans importance et cela influence sans aucun doute (à la fois comme une aide et comme un empêchement) l’évaluation que fait l’auditeur de la musique et des idées musicales, mais cela ne se révèle pas toujours informatif ou pertinent sur le plan de la perception. Bien que la spectromorphologie ne soit pas une théorie de la composition, elle peut influencer les méthodes de composition puisque la http://www.ars-sonora.org/html/numeros/numero08/08d.htm (1 de 20)07/11/2010 22:42:50 Article 04 - Ars Sonora n°3 conscience que prend le compositeur des concepts et des mots qui servent au diagnostic et à la description est susceptible d’affecter sa pensée créatrice, ainsi que cela s’est produit, j’en suis certain, dans mon propre travail de composition. Au sein d’un univers sonore dont l’ouverture ne peut que dérouter, les compositeurs ont besoin de critères pour sélectionner des matériaux sonores et comprendre leurs relations structurales ; aussi les outils descriptifs et conceptuels qui classifient et relient sons et structures sont-ils à même de leur apporter un appui précieux. La conscience spectromorphologique peut dès lors servir le processus compositionnel ; mais elle ne produira pas nécessairement pour autant un meilleur compositeur. Les idées spectromorphologiques, même si elles peuvent aider les auditeurs à se concentrer sur l’imagination et le savoir-faire du compositeur, n’aideront pas ce dernier à devenir plus imaginatif et à améliorer son art. À propos des partitions et des sonagrammes Il existe en musique électroacoustique trois types de partitions qui pourraient contenir de l’information perceptuellement pertinente. Le premier type, destiné à un interprète (dans les œuvres mixtes ou dans la musique électronique vivante), peut comporter des transcriptions graphiques de matériel acousmatique. Le deuxième type, plus rare, est la partition résultante, qui se caractérise habituellement par un certain degré de technicité, et qui sert à consigner la façon dont une œuvre a été réalisée. Elle offre une certaine représentation du contenu et de la forme, mais sans grande garantie de correspondance avec l’audition. Les plans formels élaborés par les compositeurs (à leur usage personnel ?) et l’ensemble des représentations du même genre s’inscrivent dans cette catégorie. Le troisième type est la partition de diffusion d’une œuvre acousmatique, qui consiste le plus souvent en une représentation graphique libre et sommaire du contexte sonore, produite principalement comme aide-mémoire et pour le minutage en vue de la diffusion d’une œuvre en concert. Ce troisième type de partition, de même que toute transcription de matériel acousmatique en une partition du premier type, comporte généralement de l’information spectromorphologique : on attribue aux événements et aux textures des configurations dont la dimension verticale représente l’espace spectral, alors que le plan horizontal dénote le changement à travers le temps. Ces partitions de transcription donnent généralement, à tout le moins, une idée des grandes lignes structurales, et elles peuvent être auditivement intéressantes dès lors que le transcripteur choisit de représenter certains critères plutôt que d’autres. D’un autre côté, on risque de n’avoir pas affaire à un choix libre et réfléchi, puisque la transcription se fait souvent à toute vitesse et spontanément, et qu’elle se borne à restituer ce qui se laisse aisément retracer sur un papier, en deux dimensions. Une telle partition sert un but particulier et ne requiert que ce qu’il faut de précision pour sa tâche ; une liste de minutages pourrait tout aussi bien faire l’affaire. On utilise parfois la partition de transcription, ou l’une de ses versions plus réfléchies, plus développées, comme aide pour l’écoute. Le sonagramme est une analyse spectrale graphique faite par ordinateur et dont on a considéré qu’elle résoudrait le problème de la représentation visuelle de la musique électroacoustique. J’y vois pour ma part une aide fort précieuse plutôt qu’une solution. Un sonagramme est une sorte d’analyse spectrale littérale effectuée à un degré déterminé de définition visuelle : à un degré de définition trop élevé, le détail se perd dans une masse confuse ; à un degré de définition trop bas, il n’y a pas suffisamment de détails. Mais un sonagramme n’est pas une représentation de la musique telle que l’oreille humaine l’a perçue — il est en un sens trop objectif. Ses formes doivent dès lors être interprétées et réduites à l’essentiel sur le plan perceptuel. En d’autres termes, quelqu’un doit décider de ce qui est à retenir et à écarter de la représentation ; et, plus particulièrement, il faut tâcher de déterminer quelle quantité de détails il est pertinent d’introduire pour l’auditeur attentif. Cette question de la quantité de détails constitue un problème pour l’analyste puisque les enregistrements (CD) autorisent une écoute répétée des passages les plus brefs d’une œuvre, ce qui permet de découvrir beaucoup plus de détails qu’il n’est possible d’en entendre dans le flot normal de la musique. Qu’est-ce qui est uploads/s3/ une-explication-de-les-formes-du-son.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2022
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