T out votre parcours, que ce soit celui du cher- cheur , comme celui de l’homme

T out votre parcours, que ce soit celui du cher- cheur , comme celui de l’homme et des engage- ments qu’il a pris, semble être un écho à votre histoire personnelle d’enfant juif né en pleine guerre. Je suis né en 1943 à Montluel dans l’Ain, dans un château qui abritait des résistants. Mon père a été pris, déporté et gazé à Auschwitz la même année. Quand la Gestapo est venue chercher le reste de la famille, nous nous sommes sauvés par une porte dérobée, il aurait suffi que le bébé que j’étais pousse un cri pour que nous soyons tous pris, mais nous avons pu échapper. Nous avons vécu ensuite plusieurs mois en Savoie, cachés par des Justes – puisque c’est ainsi qu’on les appelle maintenant – et sommes revenus à Montluel à la Libération. Peut-être est-ce cette sorte de karma d’échapper à la Gestapo, qui attise aujourd’hui ma pru- dence à diffuser certaines connaissances scientifiques. S’inscrivant sur cet arrière-plan, viennent alors jouer deux passions, la musique et la physique. Enfant, je tannais ma mère pour qu’elle m’achète un piano... Mais c’est anecdotique, le goût est venu plus tard. J’étais très bon en mathématiques et en physique et dès le début, j’ai eu une sorte de défi à relever. J’ai rencontré Moshé Flato, un brillant jeune physicien venu d’Israël qui a proposé de m’accepter en thèse si je entretien avec Joël Sternheimer A la croisée de la physique quantique et de la biochimie moléculaire, après une longue recherche théorique, Joël Sternheimer a mis au point une technique permettant la stimulation ou l’inhibition de la synthèse de protéines cibles au moyen de séquences sonores spécifiques, les « pro- téodies ». Il a ainsi théorisé un effet de la musique sur le vivant et permis son utilisation de façon métho- dique, ouvrant un champ potentiel d’application très étendu concernant le végétal, l’animal et l’humain. Ses travaux, qu’il poursuit depuis plus de trente ans de façon indé- pendante, témoignent d’un souci constant : le respect de son objet d’étude – qu’il s’agisse de particules ou de cellules –, et d’une vision globale d’un monde où de subtiles connexions régissent la matière au cœur du vivant. “Une recherche indépendante est indispensable” chemin de vie « UNE RECHERCHE INDÉPENDANTE EST INDISPENSABLE » réussissais en un an mes années de licence et mon diplôme. Aux innocents les mains pleines, c’est ce que j’ai fait ! Quand je suis retourné le voir, il venait de lire un article d’un Japonais sur les masses des particules élémentaires dont on peut comprendre ainsi l’impor- tance : si l’homme n’est qu’une somme de particules – une machine autrement dit –, les relations de masses entre les différents éléments sont essentiellement linéaires ; si l’homme est plus que cela, elles sortent de ce cadre. Les travaux de ce Japonais montraient des relations non plus linéaires mais quadratiques, qui pointaient vers une extension de la relativité et la nécessité de dimensions additionnelles à l’espace- temps. Nous étions, en 1964, dans un ordre du monde régi par la peur du nucléaire, il était clair que le pro- blème de la dissémination allait se poser un jour et qu’il fallait aller maintenant au-delà de la relativité et de la mécanique quantique, à la source de cette situation. Une piste se présentait à nous. Moshé Flato m’a propo- sé de rechercher ces formules quadratiques. Le lende- main matin, je lui apportais une réponse ! Nous avons publié en quelques jours un article aux Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, de Broglie l’a pré- senté. C’étaient cependant des calculs abstraits, dont nous ne voyions pas encore à l’époque les implications. Deux ans plus tard, je passais ma thèse. J’ai reçu l’in- vitation d’aller à Princeton, aux États-Unis, pour être l’assistant du professeur Wigner, prix Nobel, spécialis- te de la théorie des groupes qu’il était utile que j’ap- profondisse pour développer mes travaux. Qu’est-ce qui vous poussait à approfondir ces tra- vaux ? La notion dominante, dans ce contexte de peur du nucléaire, était celle de force, que ce soit d’ailleurs de fission ou de fusion. Pour moi, il était clair qu’il fallait aller vers des connaissances plus avancées, trouver ce qui se situe derrière, et qui est plus important en défi- nitive que cette notion de force. Sans doute la tradition juive a un rôle dans cette histoire. L’idéologie profes- sée par Hitler était celle d’un monde « où la force règne » partout sur la faiblesse, loi à laquelle ni les hommes ni la nature ne peuvent échapper ; point de vue semble-t-il que beaucoup partagent encore. Mais est-ce bien une vision correcte du monde ? La tradition juive dit exactement le contraire. Dans l’épi- sode où Josué s’adresse au soleil, il dit non pas « Soleil, arrête-toi » mais « Soleil, reste silencieux, tais-toi ». Rachi, au XIe siècle – qui est aussi mon ancêtre, à en croire les recherches généalogiques que ma mère avait faites pour tenter d’échapper aux persécutions en prou- vant que nous étions français de longue date – com- mente cela en citant un ancien midrash : toutes les créa- tures doivent chanter un cantique à l’Eternel. Le soleil chante aussi son cantique, et s’il ne le fait pas, il ne peut se mouvoir. Cela signifie que la notion première n’est pas la force, mais le chant. Une conception qui est non pas celle d’une « harmonie des sphères » où le mouve- ment issu de la force produirait un son, mais l’inverse. La physique contemporaine traduirait cela en disant qu’au-delà de la relation classique de Newton (la force comme étant le produit de la masse par l’accélération), la force dérive de la vibration (la force est la dérivée de la quantité de mouvement qui est, elle-même, inverse- ment proportionnelle à une longueur d’onde). Si la force dérive d’une vibration, c’est qu’elle n’est pas la notion première. C’est le contre-pied scientifique de l’option prise par Hitler : la vibration est première. Quelle est cette vibration ? C’est ce qu’il m’a semblé urgent de mettre en évidence. Bien sûr, ce n’était pas aussi clair que cela à l’époque. Cela passait par une tra- dition, une éducation, les rapports affectifs, charnels même. Mais il y avait cette opposition de tout mon être à cet ordre du monde régi par la force et la peur. Et votre séjour à Princeton, dans cette université prestigieuse où Einstein avait enseigné et où Oppenheimer – un des pères de la bombe atomique – était directeur d’Institut, va vous ramener au cœur de cette problématique. Oui, car pendant le temps de la traversée en bateau, les Américains avaient mis leur politique de recherche au service de leur effort de guerre au Vietnam. J’arrivais dans une université désorientée, faisant face à des suppressions de postes, dont celui pour lequel on m’avait invité. Certains acceptaient ces solutions de rechange, d’autres quittaient l’université. C’étaient les débuts du mouvement hippy, de l’opposition à la guer- re du Vietnam. Je me trouvais devant un dilemme. Parti pour une mission précise, confiée dans une perspective globale qui me paraissait essentielle, je me voyais pro- poser un travail sur le modèle des quarks, considérés encore comme des sous-particules – un monde fissible à l’infini, ce qui ne répondait pas à ce que nous avions découvert sur les relations quadratiques et qui, d’autre part, me heurtait, non seulement d’un point de vue idéologique mais physiquement, dans les deux sens du terme ! Au bout de trois jours, je démissionnais. J’ignorais cependant comment j’allais pouvoir financer mes études. C’est alors que Maurice Bazin, un profes- seur francophone, m’a dit mi-sérieux, mi-plaisantant : « Tu as les cheveux longs, pourquoi ne ferais-tu pas de « UNE RECHERCHE INDÉPENDANTE EST INDISPENSABLE » la chanson ? » C’est comme cela que je suis allé chan- ter à Washington Square des chansons que j’avais com- posées. Je suis retourné à l’Université, j’ai continué à suivre le séminaire de l’Institute for advanced study. C’est là qu’Oppenheimer, le directeur de l’Institut qui avait remarqué mes absences, m’a demandé ce qui se passait, et que je lui ai confié mes interrogations : ne valait-il pas mieux, en définitive, être chercheur indé- pendant. Cela répondait à tout un contexte familial et personnel : Rachi, dont j’ai parlé, refusait le salaire de rabbin et vivait de sa vigne pour préserver l’indépen- dance de son jugement, de Broglie, qui m’avait envoyé là, était chercheur indépendant lorsqu’il avait fait son travail de base. On était le 22 novembre 1966, et je revois le visage d’Oppenheimer, qui paraissait, trois mois avant sa mort, comme rongé par le remords d’Hiroshima – c’est lui qui avait dirigé le programme Manhattan à Los Alamos – se raviver soudain : « Ah, si vous voyez un moyen d’être indépendant, faites-le ; si j’avais votre âge aujourd’hui, c’est ce que je ferais ». Je suis retourné en France pour les vacances de Noël et un ami m’a introduit auprès d’une maison de disques. En quelques jours, sous le pseudonyme d’Evariste, nous avons uploads/s3/article-sternheimer-pdf.pdf

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