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Fabula Accueil> Colloques> Théorie, notions, catégories > « L’anatomie du cœur humain n’est pas encore faite » : Littérature, psychologie, psychanalyse colloques en ligne | Théorie, notions, catégories « L’anatomie du cœur humain n’est pas encore faite » : Littérature, psychologie, psychanalyse « « D De e q qu uo oi i l la a c cr ri it ti iq qu ue e p ps sy yc ch ho ol lo og gi iq qu ue e f fa ai it t- -e el ll le e l la a p ps sy yc ch ho ol lo og gi ie e ? ? » » F Fl lo or ri ia an n P Pe en nn na an ne ec ch h 1Gérard Genette, qui ne se trompe jamais, écrivait naguère que la poétique, entendue comme réflexion générale sur les formes et les genres, avait été reléguée, depuis le romantisme, par « une psychologie de l’œuvre à quoi, depuis Sainte-Beuve et à travers tous ses avatars, s’est toujours tenue ce qu’on nomme aujourd’hui critique [1]. » 2La formule « psychologie de l’œuvre » a de quoi surprendre : c’est manifestement la psychologie de l’auteur que vise la critique, à travers l’œuvre qui en émane et la révèle. C’est du reste sur cette traversée de l’œuvre vers autre chose qu’elle-même que fait fond l’un des reproches les plus fréquemment adressés à cette critique : délaisser l’œuvre au profit de l’auteur, ou plus exactement, n’envisager l’œuvre qu’en tant que produit d’une psyché, dont la psychologie se charge de rendre compte. Parler de « psychologie de l’œuvre » ne serait possible qu’à la faveur d’un glissement métonymique. 3Or, ce glissement métonymique est, en cette occurrence, parfaitement justifié – du moins si l’on accepte l’hypothèse dont je tenterai de donner ici une illustration en m’attardant sur les Essais de psychologie contemporaine de Paul Bourget, convoqués ici comme représentants de la « critique psychologique » du XIXe siècle. Comme souvent, cette critique met en jeu le triangle auteur/œuvre/lecteur, en dessinant entre ces trois instances des relations de production. 4On ne reviendra pas, ou guère, sur le rapport entre œuvre et lecteur : les tenants de la critique psychologique sont souvent présentés comme des précurseurs de la sociologie de la réception, puisqu’ils s’intéressent aussi à la façon dont la psychologie, entendue cette fois « De quoi la critique psychologique fait-elle la psychologie ? » (Fa... http://www.fabula.org/colloques/document1637.php# 1 of 12 2/18/16 3:53 AM comme sensibilité collective, est le produit d’une œuvre. 5En revanche, on s’attardera ici sur le rapport entre auteur et œuvre : plus précisément, il s’agira, au-delà du rapport de production, d’examiner un transfert de propriété à la source d’une ontologie de l’œuvre littéraire. Il est donc en effet possible de parler de « psychologie de l’œuvre » dans la mesure où la critique tend à faire de l’œuvre elle-même une psyché. 6Ce transfert de propriété, consistant donc à donner aux œuvres des propriétés de leur auteur, apparaîtra pour nous consubstantiel à un phénomène souvent observé sous la plume de Bourget, à savoir la substitution du terme « psychologie » au terme « critique ». Paul Bourget, en effet, célébrant l’avènement d’une « nouvelle critique » (tiens !) sous l’impulsion de… Sainte-Beuve, écrivait par exemple en 1883 : « Même le mot de Critique ne lui convient plus, il faudrait y substituer cet autre mot plus pédant mais plus précis de psychologie [2]. » 7C’est cette substitution qu’on prendra ici pour objet, et qu’on prendra également au mot, en posant simplement la question : qu’est-ce qui ne convient pas dans l’idée de « critique » ? Autrement dit, qu’est-ce qui justifie le recours à celle de « psychologie » ? P Ps sy yc ch ho ol lo og gi ie e e et t o on nt to ol lo og gi ie e Organicisme 8Repartons du lieu commun attaché au nom de Paul Bourget, sa fameuse « théorie de la décadence », passage le plus célèbre des Essais : Par le mot de décadence, on désigne volontiers l’état d'une société qui produit un trop petit nombre d’individus propres aux travaux de la vie commune. Une société doit être assimilée à un organisme. Comme un organisme, en effet, elle se résout en une fédération d’organismes moindres, qui se résolvent eux-mêmes en une fédération de cellules. L’individu est la cellule sociale. Pour que l’organisme total fonctionne avec énergie, il est nécessaire que les organismes moindres fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée, et, pour que ces organismes moindres fonctionnent eux-mêmes avec énergie, il est nécessaire que leurs cellules composantes fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée. Si l’énergie des cellules devient indépendante, les organismes qui composent l’organisme total cessent pareillement de subordonner leur énergie à l’énergie totale, et l’anarchie qui s'établit constitue la décadence de l’ensemble. L’organisme social n’échappe pas à cette loi. Il entre en décadence aussitôt que la vie individuelle s’est exagérée sous l’influence du bien-être acquis et de l’hérédité. Une même loi gouverne le développement et la décadence de cet autre organisme qui est le langage. Un style de décadence est celui où l’unité du livre se décompose pour laisser la place à l’indépendance de la page, où la page se décompose pour laisser la place à l’indépendance de la phrase, et la phrase pour laisser la place à l’indépendance du mot. Les exemples foisonnent dans la littérature actuelle qui corroborent cette hypothèse et justifient cette analogie [3]. 9Ce passage, pratiquement aussi célèbre que celui du « polypier » de Taine, pose comme lui une analogie, entre la société et le style, ou plus exactement entre la société et le langage – le « De quoi la critique psychologique fait-elle la psychologie ? » (Fa... http://www.fabula.org/colloques/document1637.php# 2 of 12 2/18/16 3:53 AM passage de langage à style n’étant pas explicité. On pourrait faire remarquer que Bourget est parfaitement conscient du fait qu’il ne propose qu’une « analogie », mais l’analogie dont il est question n’est pas l’analogie entre société ou langage et organisme, mais bien l’analogie entre société et langage, qui sont tous deux d’emblée considérés comme des organismes. 10La décadence, c’est donc la décomposition d’une totalité en parties, la perte d’une unité au profit de fragments indépendants. Un monde en décadence produit une littérature en décadence, qui présente les mêmes propriétés. On voit ici comment le rapport de production se transforme en rapport d’analogie : et si l’on dit souvent à juste titre que la critique psychologique du XIXe siècle se caractérise par le fait d’ériger l’œuvre littéraire en indice (de l’auteur, sa vie, son milieu, son époque…), on constate que l’indiciel se résout en iconique, que l’œuvre n’est pas seulement le produit, mais qu’elle est surtout l’image de sa cause. Le glissement métonymique de l’auteur (société ou personne) à l’œuvre est donc bien davantage une substitution de la métaphore à la métonymie. 11La phrase de Paul Bourget selon laquelle « c’est la grande découverte de notre critique moderne que cette mise à jour de l’étroite parenté, disons mieux, de l’identité qui existe entre le poète et le poème, l’œuvre et l’artiste [4] » peut donc être interprétée en ce sens : il y a bien « identité » entre l’homme et l’œuvre, non pas seulement au sens où l’œuvre révèle des caractéristiques de l’homme, mais au sens où elle les partage. Vitalisme 12Il y aurait lieu toutefois de distinguer entre deux types d’organicismes correspondant plus ou moins à deux types de critique. L’organicisme de la critique d’Ancien régime est très nettement lié au modèle corporel : l’œuvre a des « membres » en trop, ou à l’inverse manquants, et la tâche du critique est d’indiquer quels sont ces éléments, bref de proposer une nouvelle version, émondée ou amendée, de l’œuvre. L’organicisme de la critique romantique et post-romantique serait bien davantage lié au modèle de l’esprit. La vocation de l’ancienne critique rhétorique (qu’incarnent encore La Harpe et Marmontel) consistait à juger les œuvres et donc à supposer que d’autres œuvres étaient possibles. Pour la « nouvelle critique », il n’y a pas lieu de juger, puisque dans une critique étiologique comme celle que Sainte-Beuve ou Taine promeuvent, l’œuvre est symptôme, moyennant quoi il n’est plus question de réfléchir à ses possibilités, mais uniquement d’indexer sa nécessité. La référence à l’esprit comme modèle d’intelligibilité apporte alors un éclairage différent par rapport à la référence biologique. « De quoi la critique psychologique fait-elle la psychologie ? » (Fa... http://www.fabula.org/colloques/document1637.php# 3 of 12 2/18/16 3:53 AM 13On voit ainsi comment le vitalisme chez Bourget témoigne, de nouveau dans le texte de 1883, d’un geste de déplacement des propriétés de la littérature aux propriétés de l’œuvre elle-même : [La critique moderne a montré] comment la Vie de l’œuvre littéraire procède de la Vie de l’auteur, laquelle procède à son tour de la Vie de sa race, laquelle se modifie d’après les influences du milieu et du moment, – si bien qu’on peut reconnaître, dans les pages d’un livre, l’abrégé ou, uploads/s3/de-quoi-la-critique-psychologique-fait-elle-la-psychologie-pdf.pdf

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