1 Invitation à l’expérience d’une responsabilité paradoxale dans la pensée de J

1 Invitation à l’expérience d’une responsabilité paradoxale dans la pensée de Jacques Derrida Thèse de doctorat d’Alejandro Orozco Hidalgo Université de Paris 8 Saint-Denis – Vincennes Directeur de recherche : M. Charles Ramond Membres du jury : M. Carlos Contreras Guala Mme. Silvana Rabinovich M. Charles Ramond M. Guillaume Sibertin-Blanc Date de soutenance : 22 octobre 2021 2 Résumé Ce travail de recherche développe l’idée de déconstruction de la notion de responsabilité, à partir de la définition de déconstruction comme une mutation en cours qui met à mal la détermination juridico-égologique de la responsabilité et qui rend nécessaire un traitement déconstructif de cette notion. Notre approche suppose une prise de distance de la détermination philosophique de la notion de responsabilité, ainsi que de l’axiomatique propre à cette détermination. Le système conceptuel de cette axiomatique définit la responsabilité à partir de la liberté de l’individu souverain et fait d’elle un effet de force qui s’exerce sur le prochain. Le travail déconstructif que nous développons sur cette notion rend justice à la singularité absolue de l’altérité radicale à partir de l’inscription du secret et de l’inconscient dans la structure de la responsabilité. Nous parlerons ainsi d’une responsabilité infinie et événementielle dans laquelle l’individu est sans liberté, ou sans une forme particulière de liberté plutôt. La déconstruction de la notion de responsabilité fait appel à un sens plus originaire de cette notion, qui trouve une complicité étroite avec une exigence de justice au- delà du droit, et qui tient debout devant une force calculatrice qui domine le discours éthico- philosophique. Mais cette ouverture vers le tout autre indéterminé n’est possible qu’à travers l’inscription d’une poétique dans la pensée de la responsabilité. Mots clés : Derrida, déconstruction, responsabilité, décision, paradoxal 3 Abstract This research project develops the idea of deconstructing the notion of responsibility on the basis of the definition of deconstruction as an ongoing transformation that troubles the juridico-egological determination of responsibility and that necessitates a deconstructive treatment of the notion. My approach takes its distance from the philosophical determination of the notion of responsibility, along with the axiomatic that belongs to this determination. The conceptual system of this axiomatic defines responsibility on the basis of the sovereign individual’s freedom and makes responsibility an effect of the force exercised upon others. The deconstructive work I develop with regard to this notion does justice to the absolute singularity of radical alterity on the basis of the inscription of the secret and the unconscious in the structure of responsibility. I thus speak of an infinite and eventive responsibility in which the individual has no freedom. The deconstruction of the notion of responsibility calls forth a more originally sense of this notion, which finds a close complicity with a demand for justice beyond the law and which withstands the calculating force that prevails in ethico- philosophical discourse. Yet, this opening toward undetermined and entirely other alterity is possible only through the inscription of a poetic in the thought of responsibility. Key words: Derrida, deconstruction, responsibility, decision, paradoxical 4 Remerciements Je tiens d’abord à remercier le professeur Charles Ramond pour son soutien et sa patience tout au long du chemin. Je remercie également tous mes collègues et amis du groupe « Lire-travailler, Derrida » pour les projets, les discussions et les expériences vécues. Je remercie l’ensemble de ma famille pour leur soutien et leur amour. Je remercie enfin Lula et Gaba, Emiliano, Santiago et Dante d'avoir fait de moi ce que je suis. 5 Introduction Réponse et réaction, le projet de recherche intitulé « Invitation à l’expérience d’une responsabilité paradoxale dans la pensée de Jacques Derrida » est une façon d’agir devant l’invitation de Derrida à entreprendre la reformulation de la notion de responsabilité. D’un usage largement répandu de nos jours, la notion de responsabilité semble, selon Rodolphe Gasché, faire la relève du concept de vertu,1 ce dernier étant un concept traditionnellement placé au centre de la pensée éthique, depuis Platon et jusqu’à Kant. La notion de responsabilité prend une place centrale dans l’organisation des sociétés abrahamiques contemporaines depuis la fin du XVIIIe siècle, avec son apparition dans le langage juridico- politique, notamment en France, dans le contexte des Lumières, de la Révolution française et de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Des événements dont les effets s’expriment de façon déterminante dans les idées morales, juridiques et politiques du moment en Europe, qui rendent possible le surgissement de la détermination juridico-égologique de la responsabilité que Derrida cible dans son analyse.2 Dans la pensée de Derrida, la notion de responsabilité est un point de gravité autour duquel se développe une pensée que traditionnellement l’on range sous le nom général d’éthique. Ce geste, nous l’interprétons comme double : d’abord, il affirme la nécessité d’une thématisation dans ce champ de pensée, à partir de la problématisation de la notion de responsabilité. Il affirme donc l’importance de cette notion en tant que dernier recours pour développer cette thématisation et en tant que recours le plus efficace pour le faire. Mais il pointe du doigt également une insuffisance du discours éthique qui se construit notamment à partir de Kant autour de l’idée d’une raison pratique pure et à partir des idées religieuses sécularisées telles que la « souveraineté », la « faute », la « culpabilité », la responsabilité, etc., des notions qui règlent et déterminent le monde juridique, politique et moral contemporain. Or, par « reformulation de la notion de responsabilité », nous entendons ici la réélaboration déconstructrice de sa détermination philosophico-conceptuelle, ainsi que des rapports établis entre elle et les « concepts » et notions qui déterminent son axiomatique.3 Cette réélaboration est une réponse à la nécessité d’explorer une autre compréhension de la responsabilité, au- delà de sa forme hégémonique, dans le but de déterminer autrement le rapport au tout autre. Il 1 Rodolphe GASCHE, « L’étrange concept de responsabilité », p. 362. 2 Jacques DERRIDA, Du droit à la philosophie, p. 62. 3 Jacques DERRIDA, Du droit à la philosophie, p. 408. 6 s’agit donc d’un effort pour chercher une définition plus féconde, nous permettant de rendre compte de ce qui se passe dans la vie « éthique » du monde contemporain. Cette réélaboration est donc un accompagnement du mouvement et du devenir déconstructif propre à cette notion, accompagnement dont le ton est donné par ce mouvement différentiel – la déconstruction de cette notion – qui dépasse la volonté de tout sujet soit-il « individuel ou collectif ».4 Tout au long de sa production intellectuelle, Derrida développa des réflexions concernant la notion de responsabilité ; de ce fait témoigne le long essai sur la pensée de Levinas « Violence et métaphysique » publié tout au début de sa carrière. Mais le souci pour ces thématiques devient explicite dans les travaux et écrits que ce philosophe a consacré à la recherche et à l’enseignement les deux dernières décennies de sa vie. C’est donc à partir des années quatre- vingt que Derrida se lance ouvertement dans le traitement des questions politiques, juridiques morales, théologiques, etc., ainsi que les différentes articulations de ces champs. Dans cet esprit, il développa tout un ensemble de séminaires sous le titre de « Questions de responsabilité » de 1991 à 2003, initiative qui articule des travaux de recherche sur l’hospitalité, le pardon, la peine de mort, la souveraineté, la démocratie, la justice, entre autres. Des recherches qui développent une pensée et un travail déconstructif, qui tiennent à rendre compte de ce qui arrive dans le monde à ces notions, ainsi qu’aux notions, concepts, textes et contextes connexes qui les entourent et leur donnent leur légitimité dans les divers espaces qu’ils touchent. Le titre de cet ensemble de séminaires marque l’importance donnée par Derrida à cette notion, dans un geste parallèle au refus du terme d’« éthique », de sorte qu’on peut bien parler d’une pensée derridienne de la responsabilité, une pensée se prétendant plus rigoureuse et plus responsable que les projets éthico-philosophiques déontologiques, lesquels ne peuvent fonder aucune responsabilité ou aucune décision.5 Telle est au moins la première hypothèse de lecture qui détermine notre recherche et que nous voudrions introduire ici : il y a une pensée de la responsabilité chez Derrida qui prend la place de ce que couramment on appelle la réflexion « éthique » et qui cherche à rendre compte de « ce qui se passe dans le monde ». Cette pensée de la responsabilité subit une surenchère dans les dernières décennies de la production intellectuelle de ce philosophe, mais elle est présente, voire intrinsèque à l’esprit de son œuvre. Et cette réflexion concerne la déconstruction de la notion de responsabilité, 4 Jacques DERRIDA, Psyché. Inventions de l’autre II, p. 12. 5 Jacques DERRIDA, Voyous, p. 199. 7 déconstruction comprise comme « ce qui se passe dans le monde » autour de cette notion et partout où elle est impliquée. Notre projet développe donc une réflexion sur la notion de responsabilité dans la pensée de Derrida, ayant comme fil conducteur la déconstruction de la notion de responsabilité et de son axiomatique. Or, uploads/S4/ 2021-10-orozco-hidalgo-inv.pdf

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  • Publié le Dec 25, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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