Orientation lacanienne III, 6. PIÈCES DÉTACHÉES Jacques-Alain Miller Huitième s

Orientation lacanienne III, 6. PIÈCES DÉTACHÉES Jacques-Alain Miller Huitième séance du Cours (mercredi 26 janvier 2005) VIII Apparemment je vais devoir vous parler sans micro-cravate. Le micro va peut-être arriver dans un petit moment. Je commencerai par une annonce, pour laisser le temps au micro d'arriver, et pour ne pas négliger de la faire. Si vous n'en avez pas assez de m'écouter toutes les semaines, vous pouvez obtenir une rallonge. Il se trouve que je suis invité à parler, lundi soir, à parler brièvement, étant donné la mesure que je prends ici, un quart d'heure m’a-t-on dit, vingt minutes. Il faudra donc que je cesse, que je ne fasse pas trop le professeur, qui remonte toujours comme petit Jean à l'origine, comme le déluge. À parler donc brièvement dans un cadre assez spécial, c'est ce qui en fait le sel. Il y a une tradition, chez les avocats, qui est le Concours d'Éloquence. Non, on ne me demande pas de participer au Concours d'Éloquence des avocats, ce qui m’aurait plu. Alors je ne sais pas, je n’ai pas pu obtenir, de la personne qui a été en contact avec moi, de renseignements précis sur quand cette tradition a commencé, les anecdotes qui l’entourent, les formes qu'elle a pu prendre dans le temps, vous savez le genre de détails dont je suis friand et où on a toujours à pêcher quelque chose de révélateur. Elle est là cette tradition, je ne me pose même plus la question depuis quand. Tout ça j’imaginerais, ça doit bien remonter à la Restauration, à l'Empire, il y avait peut-être des formes de ça avant, à l’Age classique. Et donc, dans ces concours, ils s’efforcent de démontrer ce qu'ils savent faire, c'est-à-dire ce qu'ils savent dire. Démontrer qu'ils peuvent parler de tout, comme disaient les sophistes antiques – son nom m’échappe à l’instant, mais enfin il ne reste pas grand-chose d'ailleurs de ses écrits, je crois il reste la première phrase : Je vais parler de tout. Mais c’est très caractéristique. Alors c’est parler de tout, en pour et en contre. Donc défendre ce qu'on croit, c’est à la portée de n’importe qui ; défendre ce qu'on ne croit pas ou ce à propos de quoi on ne se pose même la question d’y croire ou de ne pas croire, là est le talent. Donc on leur dit s'ils doivent être pour et être contre et puis ils mettent en marche la machine à parler, ce qui résout tout de suite beaucoup de problèmes et qui permet justement d'en faire un chef-d'œuvre d'artisan, précisément parce qu'ils sont profondément désimpliqués. C'est à condition d'avoir pris cette distance, ce recul, cette distanciation, comme disait Brecht, et comme le recommandait Diderot, dans « le Paradoxe du comédien », c’est à condition de ne rien ressentir qu’on parle le mieux du monde. Alors ceux qui font ça, ce sont les jeunes avocats - les autres font ça tous les jours dans les prétoires, bien sûr - ce sont les jeunes avocats qui exploitent une propriété qui est celle de la vérité. Je me rends, là, au lieu de la parole, le fameux grand Autre, voilà une de ses incarnations. C’est le lieu de la parole, le lieu de la vérité et comme le dit Aristote dans sa rhétorique, toute affaire, tout cas a toujours deux côtés. Quand vous êtes très pris par votre passion vous ne voyez qu'un seul côté, ça vous paraît impensable l'autre. Mais J.-A. MILLER, - Pièces détachées - Cours n°8 - 26/01/2005 - 72 il faut savoir c'est un principe, c'est une propriété de la vérité qu'on puisse argumenter toujours pour et contre. C'est d'ailleurs ce qui vaut à chaque accusé, à chaque plaignant, d'avoir droit à un avocat, parler pour lui, quelle que soit la monstruosité supposée ou de sa plainte ou de son accusation. On peut tout plaider, il faut que ça parle. La vérité, évidemment, en disant ça, ne va pas vous paraître une personne très sérieuse. Eh bien c'est un fait, elle a de profondes affinités avec le semblant. Alors évidemment on se dit : en logique la vérité s'achète une conduite si je puis dire. Dans la logique, la vérité va devenir une personne sérieuse. En mathématiques deux plus deux font quatre, grande erreur, grande erreur. Ce qu'on appelle la vérité et ce qu'on inscrit éventuellement d'une lettre, V, ou T quand c’est de l’anglais, […] derrière, ça dépend du système de références choisi. Et le V va affecter telle ou telle formule ou proposition en fonction de ses références. On a trouvé d'ailleurs plus commode d'expliciter ses références pour pouvoir, selon qu’on serre un boulon, qu’on le desserre, qu’on enlève une pièce ou qu'on en rajoute, eh bien régler les effets de vérité qu'on obtient. Cette explicitation du système de référence est ce qu'on appelle l’axiomatique, à partir de quoi on pourra, selon certaines procédures qui peuvent être différentes selon les systèmes, on pourra commencer à déduire et à dire à la fin vrai ou faux. Le progrès qu'a représenté l'axiomatique, c'est un progrès mécanicien, ça fait bien voir de quoi ça dépend, la déduction, et ça permet de procéder au réglage du moteur logique en toute connaissance de cause. Alors, ce concours, traditionnel chez les jeunes avocats, s'appelle la Conférence du stage. Et d'ailleurs gagner le concours de la Conférence du stage est apparemment un grand honneur, un titre de gloire et par exemple, prenons celui-là, un avocat, qui est le mien, depuis 20 ans, et donc que j'ai connu encore assez jeune avocat, eh bien sur son papier à lettres, celui qui lui sert à m'envoyer parfois ses factures et parfois heureusement aussi des mots d'amitié, bien sûr sur son papier à lettres figure la mention « Premier secrétaire de la Conférence du stage », ce qui veut dire qu’en son temps il a été comme on disait à l'École Normale, il a été le cacique de ce concours. Et donc voilà un titre qu'on acquiert dans la jeunesse et qui vous suit, qui vous honore votre vie durant d’avocat. Alors là vient de commencer le premier tour de ce concours, qui en comporte trois, et donc là tous les jeunes qui veulent peuvent s'y inscrire pour le sujet qui leur convient. Et ils vont argumenter, ils vont s'essayer sur les thèmes en jeu, je crois que ça se passe assez souvent le lundi. La première réunion de ce premier tour a eu lieu ou va avoir lieu ou peut-être a eu lieu ce lundi, c'était le Ministre de la Justice qui était l’invité, dans quinze jours se sera un ancien Ministre des Affaires étrangères et entre les deux c'est moi. Qu'est-ce qui me vaut de figurer entre ces deux éminences, j'en ai une petite idée, mais enfin, n'empêche que ma présence y est, pour tout le monde, saugrenue. Et d'autant plus intéressante. Cela dit, j'ai appris que fréquemment on fait appel à telle ou telle personne, enfin des civils si je puis dire. Donc c’est pas non plus exceptionnel mais ça reste une curiosité. Donc il y a à chaque fois un invité qui s'assoit à côté du Bâtonnier du Barreau de Paris et qui écoute ce qui a lieu. On ne demande pas ensuite à l'invité de participer au vote, qui est réservé au bureau de cette conférence, sur qui est mieux qui est moins bien, donc on n’est pas engagé, on ne risque pas d'être coupable, ce qu’il ne faut surtout pas dans un tel cadre, encore que ce soit là nos défenseurs, mais on demande ensuite, une fois ce tournoi passé, à l'invité de dire quelques mots sur le thème, à son gré. J.-A. MILLER, - Pièces détachées - Cours n°8 - 26/01/2005 - 73 Alors le thème sur lequel on m’invite c'est le crime (rires). Le crime, en pensant que la psychanalyse est susceptible d'élucider quelque chose de cet acte et donc on attend de moi quelques paroles à ce sujet qui pourraient aider les avocats. Je dois dire que pour l'instant je n'y ai pas réfléchi, j'ai demandé seulement l'indication de quelques traités de droit sur la question, qui font mille pages et quelques chacun, il est douteux que je puisse les parcourir exhaustivement mais enfin je ferai l'emplette d'un ou deux demain et je réviserai la question. Je pourrais dire ce qui serait le mieux pour les avocats pour entendre les criminels, c'est d'être en analyse. Oui, j'aurais l'air là de prôner notre boutique, ça ne ferait pas bon effet et il faut que je m'applique à bien réfléchir comment faire un bon effet puisque ma pente risquerait d'aller dans le sens contraire simplement là pour le côté persifleur que j'ai parfois, dans un contexte institutionnel et là, ça ne conviendrait absolument pas, d'autant qu’au fond, la liberté d’un certain nombre de concitoyens est aussi dans les mains de ces bouches, si je puis dire. Alors j'ai demandé pour combien il y avait de places, on m’a dit oh il y uploads/S4/ 8-26janvier2005pieces.pdf

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  • Publié le Oct 13, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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