QUATRIÈME SECTION AFFAIRE RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL (Requêtes no

QUATRIÈME SECTION AFFAIRE RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL (Requêtes nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13) ARRÊT STRASBOURG 21 juin 2016 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. ARRÊT RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL 1 En l’affaire Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal, La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de : András Sajó, président, Vincent A. De Gaetano, Nona Tsotsoria, Paulo Pinto de Albuquerque, Krzysztof Wojtyczek, Egidijus Kūris, Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges, et de Marialena Tsirli, greffière de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2016, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date : PROCÉDURE 1. À l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13) dirigées contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Paula Cristina Ramos Nunes de Carvalho e Sá (« la requérante »), a saisi la Cour les 16 août 2013 et 8 novembre 2013 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. La requérante a été représentée par Me J. Ribeiro, avocat à Porto. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe. 3. La requérante dénonce l’iniquité de trois procédures disciplinaires diligentées à son encontre, en violation de l’article 6 de la Convention. 4. Le 20 mars 2015, les griefs concernant le défaut d’accès à un tribunal, le manque d’indépendance et d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, l’absence d’une audience publique et, s’agissant des requêtes nos 55391/13 et 74041/13, la requalification juridique des faits qui lui étaient reprochés et la prise en compte d’un mode de participation à l’infraction disciplinaire différent des chefs des réquisitions ont été communiqués au Gouvernement et les requêtes ont été déclarées irrecevables pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour. 2 ARRÊT RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 5. La requérante est née en 1972 et réside à Barcelos. A. La requête no 57728/13 6. Le 16 novembre 2010, le Conseil supérieur de la magistrature (Conselho Superior da Magistratura) décida d’ouvrir une procédure disciplinaire contre la requérante, alors juge au tribunal de Vila Nova de Famalicão (procédure disciplinaire no 333/10). 7. Le 13 mars 2011, le juge inspecteur F.M.J. chargé de la procédure disciplinaire forma ses réquisitions, proposant l’application à la requérante d’une peine de 20 jours-amende, pour avoir traité un autre inspecteur judiciaire, le juge H.G., de « menteur » au cours d’un entretien téléphonique, violant ainsi son devoir de correction. Il lui reprocha par ailleurs d’avoir accusé l’inspecteur H.G. qui était chargé de son appréciation professionnelle « d’inertie et de manque de diligence ». 8. Le 29 mars 2011, la requérante présenta devant le Conseil supérieur de la magistrature (« le CSM ») une demande de récusation du juge F.M.J., au motif que celui-ci n’avait pas respecté sa présomption d’innocence et qu’il était proche de l’inspecteur judiciaire prétendument offensé par la requérante. 9. À une date non précisée, la requérante déposa au dossier son mémoire en défense, invoquant la nullité de la procédure disciplinaire, pour violation des principes de l’égalité et de l’impartialité, et pour un manquement à son droit d’audition. 10. Le 10 avril 2011, le juge F.M.J. demanda son déport devant le CSM se disant « l’ennemi juré » de la requérante consécutivement aux accusations qu’elle avait portées contre lui dans le cadre de sa demande de récusation. 11. À une date non précisée, le CSM accorda le déport du juge F.M.J., le remplaçant par un autre inspecteur, le juge A.V.N. 12. Dans le rapport final élaboré le 23 septembre 2011, l’inspecteur nouvellement désigné, le juge A.V.N., proposa l’application à la requérante de 15 jours-amende, pour violation de son devoir de correction. 13. Au cours de la procédure, un témoin présenté par la requérante fut entendu. Celui-ci déclara qu’il avait assisté à l’entretien litigieux et que la requérante n’avait pas tenu les propos qui lui étaient reprochés. 14. Par une décision du 10 janvier 2012, l’assemblée plénière du CSM condamna la requérante à une peine de 20 jours-amende, correspondant à 20 jours sans rémunération, pour violation de son devoir de correction, estimant qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer un sursis de peine en l’espèce. ARRÊT RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL 3 15. Au moment de la prise de la décision condamnatoire de la requérante, le CSM était composé de quinze membres dont six étaient des juges et neuf étaient des non-juges. 16. Quatre des membres non-juges déposèrent une opinion dissidente commune, au motif qu’en espèce il n’était pas possible d’établir, sur la seule base de la déposition de l’inspecteur H.G., que la requérante l’avait traité de « menteur », et que les propos faisant allusion à son « inertie » et « manque de diligence » relevaient de l’exercice de la liberté d’expression de la requérante. 17. À une date non précisée, la requérante se pourvut en cassation devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice (Secção de Contencioso do Supremo Tribunal de Justiça), demandant un réexamen de l’établissement des faits. À l’appui de sa demande, la requérante dénonçait le caractère disproportionné de la peine. 18. Le 21 mars 2013, la section du contentieux de la Cour suprême de justice confirma à l’unanimité la décision du CSM, considérant notamment : - qu’il n’existait aucun doute quant à l’interprétation des normes de droit européen et, partant, qu’il y avait lieu de rejeter la demande de renvoi préjudiciel de l’affaire devant la Cour de justice de l’Union Européenne ; - qu’il n’était pas du ressort de la Cour suprême de justice de faire le réexamen des faits de la cause mais uniquement de procéder au contrôle du caractère raisonnable de l’établissement des faits ; - que la requérante avait utilisé un faux témoignage ce qui méritait d’être retenu contre elle pour la fixation de la peine ; - que l’autorité administrative en charge de l’affaire n’avait pas le devoir d’apprécier le sursis de la peine d’amende étant donné qu’une privation de la liberté n’était pas en jeu dans le cas d’espèce ; - que les accusations d’« inertie » et de « manque de diligence » tenues par la requérante à l’encontre de l’inspecteur judiciaire H.G. avaient offensé celui-ci, restant en-deçà du minimum éthique attendu d’un juge, et qu’elles n’étaient pas couvertes par la liberté d’expression. B. La requête no 55391/13 19. Une deuxième procédure disciplinaire (procédure no 179/11) fut ouverte à l’encontre de la requérante pour utilisation d’un faux témoignage dans le cadre de la procédure antérieure. 20. Le 26 mai 2011, l’inspecteur judiciaire, le juge A.D.P.R., forma des réquisitions contre la requérante, lui imputant la violation de son devoir de loyauté. Il ne proposa pas à cette occasion l’application d’une peine concrète. 21. Le 14 juillet 2011, l’inspecteur judiciaire A.D.P.R. soumit son rapport final, proposant l’application à la requérante d’une peine de 60 jours de suspension de l’exercice. 4 ARRÊT RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL 22. Le 19 juillet 2011, la requérante forma une demande en nullité contre ce rapport devant l’inspecteur judiciaire en dénonçant le fait que la peine envisagée n’ait pas été avancée directement dans ses réquisitions. Par une ordonnance du 31 août 2011, l’inspecteur judiciaire A.D.P.R. rejeta la demande de la requérante. 23. Par une décision du 11 octobre 2011, l’assemblée plénière du CSM condamna la requérante à une peine disciplinaire de 100 jours de suspension de l’exercice, pour violation de son devoir d’honnêteté. Elle estima que la requérante avait fait une fausse déposition en demandant à un témoin qu’elle avait indiqué dans la procédure disciplinaire no 330/10 de tenir de fausses déclarations sur les faits qui lui étaient alors imputés. Le CSM établit ces faits en tenant compte du relevé des appels réalisés par la requérante avec son téléphone portable, et obtenu avec son consentement à la demande de l’inspecteur judiciaire F.M.J. 24. La décision du 11 octobre 2011 du CSM fut prise à l’unanimité, avec la présence de douze de ses dix-sept membres, dont cinq étaient des juges, y compris le président du CSM, et sept étaient des non-juges. 25. À une date non précisée, la requérante forma un recours contentieux devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice contre la décision du 11 octobre 2011. Contestant les faits, elle exposa ce qui suit : - qu’elle n’avait pas été entendue sur la peine disciplinaire proposée vu que les réquisitions ne précisaient pas celle-ci. - que le CSM avait modifié la qualification juridique des faits qui lui étaient imputés aussi bien que son mode de participation à l’infraction disciplinaire. - que la Cour suprême de justice uploads/S4/ affaire-ramos-nunes-de-carvalho-e-s-c-portugal.pdf

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  • Publié le Dec 23, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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