Bruno Latour La fabrique du droit Une ethnographie du Conseil d’État Copyright
Bruno Latour La fabrique du droit Une ethnographie du Conseil d’État Copyright © Éditions La Découverte & Syros, Paris, 2002. © Éditions La Découverte, 2004. ISBN papier : 9782707144720 ISBN numérique : 9782348061318 Ce livre a été converti en ebook le 01/04/2020 par Cairn à partir de l'édition papier du même ouvrage. Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre national du livre. http://www.editionsladecouverte.fr Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. Cet ouvrage a été précédemment publié en 2002 aux Éditions La Découverte dans la collection « Armillaire ». Présentation Le recours aux liens juridiques prend dans nos sociétés une importance grandissante. Il existe pourtant peu d’études empiriques sur la fabrique quotidienne du droit. Alors que la très grande technicité de la matière juridique réserve le droit aux juristes de profession, la sociologie l’explique trop rapidement par les rapports de forces qu’il ne ferait que dissimuler. La méthode ethnographique se trouve donc particulièrement bien ajustée à l’analyse du droit. C’est toute l’originalité de cette étude du Conseil d’État que propose Bruno Latour. Il porte une grande attention aux actes d’écriture, à la fabrication et à la manipulation des dossiers, aux interactions entre les membres, aux particularités du corps des conseillers d’État, et surtout à la diversité des ressorts qui permettent de bien juger. Par une grande qualité de style, l’auteur sait rendre compte de la technicité des jugements et renouer les nombreux liens entre le droit et cette société qui le nourrit et à laquelle il sert, en même temps, de garant. Après l’étude des laboratoires scientifiques, du discours religieux, de la parole politique, Bruno Latour continue, avec le droit, son programme d’anthropologie systématique des formes contemporaines de véridiction. L'auteur Bruno Latour Bruno Latour, professeur émérite associé au médialab de Sciences Po, est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels, à La Découverte, Changer de société, refaire de la sociologie (2006), Enquête sur les modes d’existence (2012), Face à Gaïa (2015) et Où atterrir ? (2017). Table des matières Avertissement. Comment maintenir le secret de l’État Remerciements 1. Sous l’ombre de Bonaparte Deux emblèmes assez malencontreusement choisis Une modeste histoire de pigeons Un décret controversé « Un arrêt du tribunal des conflits suscite une vive controverse » La loi est flexible, mais c’est la loi Quel étrange atelier d’écriture En montant l’escalier d’honneur 2. Savoir faire mûrir un dossier Les tribulations d’une cote Un fragile pont de textes L’effeuillage d’un dossier 3. Un corps dans un palais « Rendez-vous salle des casiers » Un corps doucement agité Un métier d’import-export 4. Le passage du droit Un brutal mouvement de terrain Dans le raisonnement juridique, tout compte « On touche au cœur de l’État » « Profitez de cette occasion pour ébranler la jurisprudence ! » De minimis et maximis curat praetor 5. Objet des sciences, objectivité du droit Portrait du Conseil d’État en laboratoire Comment produire du détachement Références et enchaînements Res judicata pro veritate habetur 6. Parler du droit ? Les dangers de l’exotisme Une curieuse forme d’autonomie Cornu bos capitur, voce ligatur homo ! Bibliographie Index raisonné A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T V W A Avertissement. Comment maintenir le secret de l’État près avoir effectué, grâce à l’introduction de quelques conseillers, une semaine pilote en 1994, j’ai pu assister pendant deux périodes intensives de deux fois six mois aux divers travaux et réunions du Conseil d’État. J’ai pu également participer pendant deux mois aux sessions de formation des futurs juges des tribunaux administratifs. Les années suivantes, je suis retourné régulièrement au Conseil, pour assister aux séances, conduire des entretiens et discuter des conclusions préliminaires de mon étude. Comment enquêter sur le secret de l’État sans trahir de secret d’État ? Tel est le problème de méthode et de déontologie auquel j’ai été confronté en écrivant ce livre. Les anthropologues connaissent bien ce problème, mais ceux dont ils dévoilent les pratiques lisent rarement leurs ouvrages. Dans le doute, il est toujours possible de passer un pacte avec les informateurs afin de dissimuler les noms et les lieux des initiations ou des rituels dont les étapes se trouvent révélées, sans pour autant que ces cérémonies perdent leur efficace pour ceux qu’elles concernent directement. Il n’en est pas de même lorsque l’anthropologue doit étudier une institution de son propre pays qui le domine intellectuellement et dont il reçoit, lui aussi, la protection que procure à tous l’État de droit. Je me suis trouvé dans une situation plus inconfortable que lorsque j’étudiais les scientifiques au travail. Si je n’ai jamais hésité à « ouvrir la boîte noire » des sciences, c’est que je savais que les chercheurs, qui partagent avec moi le même souci de l’enquête, la même libido sciendi, n’hésiteraient pas à me contredire publiquement. Une « science de la science », cela peut entraîner des conflits d’interprétation mais pas de contradiction de principe. Or, le droit n’a pas avec la clarté ni avec le savoir la même relation facile : il se peut que le secret lui soit nécessaire. Quel malheur, quelle bévue si l’enquêteur allait, par une volonté de savoir mal placée, mettre fin à l’obscurité indispensable au maintien d’une institution qui lui garantit, en fin de compte, son existence légitime. La première solution consiste, tout simplement, à ne pas trahir de secrets en ne révélant rien qui soit déplaisant ou dévalorisant pour l’institution. Comme je n’appartiens pas à ces écoles de sociologie critique qui ne se croient savantes qu’en pratiquant la dénonciation et qui ne se croient justes que lorsqu’elles laissent dans leur sillage des ruines fumantes et des secrets éventés, je n’ai pas eu de peine à faire l’apologie du Conseil d’État, au risque d’être accusé de sympathie exagérée. J’ai bien réussi sur ce point, puisque les membres du Conseil qui ont eu la patience de lire les versions préliminaires n’ont rien trouvé dans les pages qui suivent qui puisse mettre en cause leur maison. Toutefois, certains ont objecté au maintien dans le texte des données de base obtenues par l’assistance régulière, sinon aux délibérations (ce qui m’était bien sûr interdit), du moins à leurs préliminaires (appelés comme on le verra « séances d’instruction »). Ils ont souhaité que je maintienne mes interprétations jugées souvent excellentes mais pas ce que j’interprétais, considéré comme leur secret. Ils ne voulaient pas, en particulier, que l’on vienne placer verbatim, dans la bouche de simples humains discutant entre eux autour d’une table devant des dossiers étalés, la lente formation d’un jugement qui ne doit appartenir, par principe, qu’à une voix collective et anonyme. Nouveau conflit de devoirs : celui de l’ethnologue qui doit prouver ce qu’il avance à partir de données recueillies de première main ; celui du même ethnologue qui doit protéger le souci de ses informateurs de ne pas révéler la source dont proviennent, d’après eux, leurs mystérieux pouvoirs. Comment faire pour respecter à la fois les droits de l’enquêteur qu’on avait introduit dans l’institution précisément pour faire son travail en toute liberté et ceux d’un corps qui se réclame depuis deux siècles d’un total silence sur les cheminements parfois tortueux qui l’amènent à telle ou telle décision ? Comment faire entendre la voix des humains en interaction proférant le droit en bégayant, alors que le droit parle d’une voix impersonnelle et sûre ? La solution choisie consiste à protéger l’anonymat aussi bien des juges que des justiciables. En effaçant le numéro des affaires, en modifiant tous les noms propres, je me suis assuré qu’aucun fil ne permettrait de remonter d’une discussion particulière à un cas reconnaissable. Protection illusoire bien sûr pour ceux qui connaissent le droit administratif ou qui travaillent au Conseil puisque, par définition, les décisions leur offrent un visage aussi familier que celui de leurs cousins et amis. Mais protection quand même contre tout effet juridique permettant de mettre en cause des jugements rendus. Toutefois, si l’anonymat permet de protéger contre la révélation de tel ou tel secret spécifique protégé par le droit, il ne saurait garantir contre le but même que je recherchais : montrer en détail comment de simples interactions parviennent à fournir en tâtonnant des décisions à la fois fragiles et finales. J’ai décidé de conserver les échanges mais en les reconstituant de telle sorte qu’ils puissent apparaître comme des fictions vraisemblables. Certes, je pèche ainsi contre mes collègues des sciences sociales, puisque j’ai dû abandonner les données brutes, autant que contre mes informateurs, puisque je les peins d’une façon qu’ils trouveront parfois trop véridique, mais c’est la seule solution, certes boiteuse et bricolée, que j’aie trouvée assez ajustée uploads/S4/ la-fabrique-du-droit-bruno-latour.pdf
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- Publié le Aoû 12, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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