A PROPOS DE TRAFIGURA, DU PROBO KOALA ET DU DÉVERSEMENT DE DÉCHETS TOXIQUES EN
A PROPOS DE TRAFIGURA, DU PROBO KOALA ET DU DÉVERSEMENT DE DÉCHETS TOXIQUES EN CÔTE D’IVOIRE UNE VÉRITÉ TOXIQUE Amnesty international et greenpeace pays-bas RÉSUMÉ RÉSUMÉ Dans ce rapport, il est question de criminalité d’entreprise, d’atteintes aux droits humains et des carences des États qui n’assurent ni la protection des personnes ni celle de l’environnement. On constate ici que les systèmes de mise en œuvre du droit international n’ont pas joué leur rôle pour les compagnies agissant à une échelle transnationale. On voit qu’une société a pu profiter des flous juridiques et des conflits de juridiction et que son comportement a eu des conséquences désastreuses. Pour les personnes au centre de cette histoire, l’affaire est horrible et se termine en tragédie. Tout a commencé le 20 août 2006: le matin, au réveil, les habitants d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, ont constaté que des déchets toxiques nauséabonds avaient été déversés en plusieurs lieux de cette ville. Des dizaines de milliers de personnes ont souffert de nausées, de maux de tête, de difficultés respiratoires, d’irritation des yeux et de sensations de brûlure. Ces gens ne savaient pas ce qui se passait ; ils étaient terrifiés. Les centres de santé et les hôpitaux ont vite été submergés. On a fait appel à des organismes internationaux pour aider un personnel médical debordé. Plus de 100 000 personnes ont été soignées, selon les registres officiels, mais ceux-ci sont incomplets et le total des personnes touchées est certainement supérieur. Les autorités dénombrent 15 décès. Moyennant des soins médicaux et avec le temps, les symptômes se sont apaisés, mais la peur reste vive au sein de la population. Six années se sont écoulées mais les personnes exposées ne savent toujours pas ce que contenaient les déchets. Ils avaient été exportés illégalement depuis l’Europe, acheminés illégalement jusqu’à Abidjan, et déversés illégalement dans cette ville. De nombreux textes législatifs aux niveaux national et international ont été ignorés. Une enquête menée pendant trois ans par Amnesty International et Greenpeace a mis au jour la raison centrale de la tragédie qui s’est déroulée à Abidjan: en l’absence d’un dispositif efficace d’application des lois, une entreprise a cherché à augmenter ses bénéfices sans tenir compte des coûts humains et environnementaux. Cette entreprise a pour nom Trafigura. C’est Trafigura qui a produit les déchets toxiques à bord du Probo Koala. La compagnie savait que ces déchets seraient dangereux. Elle savait qu’il lui faudrait procéder avec soin pour les traiter, mais elle a refusé de payer la somme nécessaire pour les éliminer dans de bonnes conditions alors cette possibilité existait aux Pays-Bas. Trafigura savait – ou aurait dû savoir – que les déchets ne pouvaient pas pas sortir d’Europe et que l’entreprise qu’elle avait chargé de les éliminer était incapable de le faire correctement. Trafigura savait que le déversement des déchets serait effectué dans une décharge municipale. Enfin, Trafigura a fourni des informations fausses ou trompeuses au sujet des déchets aux autorités publiques et aux entreprises de traitement des déchets dans plusieurs pays. Bien que Trafigura ait été condamnée devant un tribunal néerlandais pour exportation illégale de déchets depuis les Pays-Bas, la société n’a jamais été inculpée pour les avoir déversés en Côte d’Ivoire. Elle soutient que les déversements et leurs conséquences ne relèvent pas de sa responsabilité. L’enquête menée par Amnesty International et Greenpeace conclut que les déclarations de Trafigura manquent de crédibilité. Il en ressort par ailleurs que de nombreux États ont contribué à cette tragédie en n’imposant pas le respect du droit international en matière de droits humains, du droit de l’environnement et du droit de la mer. Ces États n’ont toujours pas pris les mesures appropriées pour empêcher que cette criminalité d’entreprise se reproduise, pour réparer les souffrances des victimes ou pour contraindre les responsables de ces faits à rendre compte de leurs actes. Ces carences ne permettent pas de lutter durablement contre l’impunité pour les crimes commis par les entreprises. Bien que la Côte d’Ivoire ait réagi rapidement à la crise, le gouvernement qui était alors au pouvoir a concédé à Trafigura une très large immunité judiciaire en échange d’un accord financier. Les Pays-Bas – le pays le mieux placé pour veiller à ce que les déchets de Trafigura reçoivent un traitement convenable – n’ont pas agi dans le respect de la loi et ont contribué à la violation du droit à la santé des habitants d’Abidjan. Trafigura Ltd., société basée au Royaume-Uni qui a dirigé les opérations à bord du Probo Koala à plusieurs moments critiques, n’a jamais fait l’objet d’enquêtes ou de poursuites de la part des autorités du Royaume-Uni. Tandis que le Probo Koala voguait dans les eaux de l’Europe et de l’Afrique de l’Ouest avec son chargement toxique, Trafigura naviguait entre les écueils de la législation, se dérobant au droit international et tirant parti des conflits de compétence. Le cauchemar infligé aux habitants d’Abidjan hante encore aujourd’hui beaucoup d’entre eux. Au vu de tout ce qui aurait dû être fait et ne l’a pas été – contraindre la société à rendre compte de l’ensemble de ses actes, divulguer toutes les informations et veiller au versement de dédommagements à tous ceux qui y ont droit – on peut affirmer que le déversement de déchets toxiques à Abidjan en 2006 n’est pas seulement un crime du passé: c’est un déni de justice qui se poursuit aujourd’hui. SOMMAIRE RÉSUMÉ DES PRINCIPAUX FAITS ................................................................................ 4 PARTIE I : UNE CATASTROPHE LOIN D’ÊTRE NATURELLE ..................................... 17 CHAPITRE 1 :INTRODUCTION................................................................................... 18 CHAPITRE 2 : L’ORIGINE DES DÉCHETS..................................................................... 20 CHAPITRE 3 : L’ARRIVÉE DES DÉCHETS EN EUROPE ................................................. 26 CHAPITRE 4 : LE DÉVERSEMENT DES DÉCHETS À ABIDJAN ....................................... 36 CHAPITRE 5 : UNE CATASTROPHE SANITAIRE ET ENVIRONNEMENTALE..................... 41 CHAPITRE 6 : LES DÉCHETS ET LEURS CONSÉQUENCES ........................................... 59 PARTIE II : QUI EST RESPONSABLE ? ........................................................................ 65 CHAPITRE 7 : LA CULPABILITÉ D’UNE ENTREPRISE : LES ÉLÉMENTS À CHARGE CONTRE TRAFIGURA ................................................................................................. 66 CHAPITRE 8 : RESPONSABILITÉ DE LA CÔTE D’IVOIRE, COUPABLE DE NE PAS AVOIR EMPÊCHÉ LE DÉVERSEMENT DES DÉCHETS.............................................................. 90 CHAPITRE 9 : RESPONSABILITÉ DES PAYS-BAS, QUI N’ONT PAS EMPÊCHÉ L’EXPORTATION ET LE DÉVERSEMENT DE DÉCHETS TOXIQUES.................................. 97 PARTIE III : LE COMBAT POUR LA JUSTICE .............................................................. 110 CHAPITRE 10 : LE DROIT À UN RECOURS EFFECTIF ET À DES RÉPARATIONS ........... 111 CHAPITRE 11 : LES LIMITES DE LA JUSTICE À ABIDJAN........................................... 114 CHAPITRE 12 : LES OPÉRATIONS DE NETTOYAGE ET DE DÉCONTAMINATION........... 129 CHAPITRE 13 : LES LIMITES DE LA JUSTICE À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE – PAYS- BAS ET ROYAUME UNI ............................................................................................ 136 CHAPITRE 14 : TOUS LES PAYS ONT MANQUÉ À LEURS OBLIGATIONS ENVERS LES VICTIMES................................................................................................................ 151 RECOMMANDATIONS ........................................................................................... 156 ANNEXES ............................................................................................................... 220 UNE VÉRITÉ TOXIQUE AFR 31/022/2012 Amnesty International – Septembre 2012 4 4 RÉSUMÉ DES PRINCIPAUX FAITS Fin 2005, une entreprise multinationale de négoce appelée Trafigura a décidé d'acheter de grandes quantités de naphta de cokéfaction, un hydrocarbure non raffiné. Elle voulait s'en servir comme base de mélange bon marché pour fabriquer du carburant, mais il lui fallait d'abord trouver un moyen de le raffiner. Pour cela, elle a utilisé un procédé industriel, le lavage à la soude caustique, qu'elle a d'abord réalisé sur terre, puis en mer, sur un navire baptisé le Probo Koala. Des courriels internes à Trafigura révélés pendant le procès au Royaume-Uni en 2009 confirment que la société savait avant de commencer que le lavage à la soude caustique créerait des déchets dangereux dont il serait difficile de se débarrasser. En juin 2006, après avoir tenté à plusieurs reprises, sans succès, de se défaire de ces déchets, Trafigura a pris contact avec une entreprise néerlandaise, Amsterdam Port Services (APS), qui a accepté de les prendre en charge à Amsterdam. Le Probo Koala est arrivé à Amsterdam le 2 juillet 2006, et APS a commencé à décharger les déchets sur une de ses barges, mais la terrible puanteur qui s'en dégageait l'a conduite à procéder à des analyses. Elle a constaté que les déchets étaient bien plus contaminés que prévu, et a augmenté le prix du traitement, qui est passé de 27 euros à 1 000 euros le m3. Trafigura a refusé le nouveau devis et a demandé que les déchets soient rechargés à bord du Probo Koala. Après d'intenses négociations, les autorités néerlandaises ont fini par accepter bien que la destination des déchets ne soit pas connue. Le 19 août 2006, le Probo Koala est arrivé à Abidjan, en Côte d'Ivoire, toujours chargé de ses déchets. Trafigura a conclu un contrat confiant à une société nouvellement agréée, la Compagnie Tommy, la charge d'évacuer les déchets vers une décharge locale. Dans le contrat manuscrit signé avec Tommy, il n'est fait nullement allusion à un quelconque traitement des déchets pour les rendre inoffensifs. Les déchets ont été transférés dans des camions et déversés dans la décharge, mais les problèmes d'odeur ont entraîné la fermeture du site. Les chauffeurs des camions ont alors jeté le reste des déchets dans environ 18 lieux différents autour de la ville d'Abidjan. Le 20 août 2006, la population d'Abidjan uploads/S4/ amnesty-veritetoxique.pdf
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- Publié le Sep 02, 2021
- Catégorie Law / Droit
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