Ce pourrait être l'histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Pourtant,
Ce pourrait être l'histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Pourtant, le rapport de l'Instance équité et réconciliation (IER) était très attendu, car perçu comme le test de la détermination du roi Mohammed VI à tourner la page des exactions commises sous le règne de son père, Hassan II, décédé en 1999. Créée par le roi en 2004, l'IER a eu les moyens de son ambition. Près d'une année durant, elle a examiné plus de 16 800 dossiers, entendu 200 victimes de la répression des «années de plomb», réalisant du même coup une première dans le monde arabo-musulman : retransmettre en direct à la télévision nationale les témoignages d'anciens torturés. Cet organisme s'est aussi assuré une crédibilité : il est présidé par Driss Benzekri, un ex-marxiste, arrêté en 1974, qui a passé dix-sept ans en prison après avoir été torturé dans le centre de détention secret Derb Moulay Chrif, à Casablanca. Benzekri n'imaginait pas, alors, qu'il aurait un jour à interroger son tortionnaire Yousfi Kaddour, contre lequel il organisa en 1994 une manifestation devant l'ONU à Genève, ce dernier représentant le Maroc à une réunion sur les droits humains ! 1 018 morts ou 3 000 ? Trente ans plus tard, le document de l'IER 700 pages , remis le 30 novembre à Mohammed VI et dont une synthèse vient d'être rendue publique, consacre, certes, une volonté d'apurer le passé. Il confirme «9 779 cas au moins d'atteintes aux droits de l'homme» sur les 16 800 dossiers étudiés. Selon l'IER, les répressions entre 1956 et 1999 ont fait 592 morts, dont 322 abattus au cours de manifestations. S'y ajoutent 174 personnes décédées lors de détentions arbitraires ou de «disparitions» et dont l'IER «n'a pu déterminer les lieux d'inhumation». 109 prisonniers seraient morts en outre en prison dans les années 70, 11 au cours des décennies 80 et 90. Enfin, 66 autres victimes «rassemblent tous les éléments de la disparition forcée». Et l'organisme de laisser entendre qu'il n'a pas fait la lumière sur tous les cas de violation présumés, notamment sur le sort de dizaines de dissidents portés «disparus». Ce bilan total de 1 018 morts est contesté par l'AMDH (Association marocaine des droits de l'homme, indépendante), qui le juge «éloigné de la réalité». Il atteindrait en fait 3 000 morts, dont 1 500 au cours des manifestations du 21 mars 1965 et de 500 à 1 000 en 1981. Comment clore le dossier de ces années de plomb ? C'est là que le bât blesse car les limites de l'exercice de l'IER sont drastiques, devant concilier deux logiques contradictoires : celle de la société qui, avec force, exige «lumière et justice» sur cette période noire, et celle de la raison d'Etat qui refuse que soient nommés, et encore moins poursuivis, les tortionnaires dont certains sont souvent encore en poste , afin de ne pas déstabiliser les appareils sécuritaires sur lesquels le régime repose. Mais aussi de ne pas devoir «remonter» au véritable responsable de ces exactions, Hassan II. Du coup, l'IER se livre à une gymnastique non moins contradictoire : elle recommande la «fin de l'impunité pour les auteurs d'exactions» sans citer aucun nom de bourreaux dont beaucoup sont d'ailleurs connus de tous , ce qui lui vaut les critiques de la presse d'opposition, de l'AMDH ou du Forum vérité et justice. De même, cet organisme n'apporte rien de nouveau sur la répression des soulèvements du Rif, en 1959, ou sur l'affaire Ben Barka particulièrement sur le lieu d'inhumation de l'opposant , sinon pour dire qu'il a entendu «d'anciens responsables dont les noms ont été cités» et qu'il «poursuit l'enquête». L'IER conseille, par contre, le versement d'indemnités à 9 280 personnes. Avancée majeure en revanche, même si l'on sait que les autorités y réfléchissent depuis l'intronisation de Mohammed VI : l'IER préconise des «excuses publiques de l'Etat». Car «[sa] responsabilité est établie et évidente, et rien ne peut l'excuser», remarque Driss Benzekri. A ses yeux, la lutte contre l'impunité passe par une réforme de la Constitution pour «garantir l'indépendance de la justice, consolider l'Etat de droit et assurer la primauté du droit international sur le droit local». Travail de mémoire. Jusqu'où ces recommandations seront-elles appliquées ? C'est toute la question dans un royaume où, depuis les attentats de Casablanca en 2003, les services de sécurité ne font pas dans la dentelle, s'agissant des activistes islamistes ou supposés tels (plus de 3 000 arrestations). «L'IER n'a pas les moyens de mettre en oeuvre ses recommandations», reconnaît Benzekri, en précisant : «Le cercle de la transition démocratique interminable doit être brisé.» C'est sans doute là le fond du problème dans un pays qui peut se targuer d'être le seul du monde arabe à avoir créé une commission chargée d'examiner les exactions commises par l'Etat et à ouvrir la télévision aux victimes. Mais qui peut parfois confondre ce droit à la parole avec un travail de mémoire mené à son terme. uploads/S4/ annees-de-plombe-page-diffic-a-detourner.pdf
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- Publié le Dec 01, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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