JURISPRUDENCE INTERNATIONALE INTERESSANT LA BELGIQUE L’AFFAIRE DE LA BARCELONA
JURISPRUDENCE INTERNATIONALE INTERESSANT LA BELGIQUE L’AFFAIRE DE LA BARCELONA TRACTION, LIGHT AND POWER COMPANY, LIMITED (Nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne) Deuxième phase L’ARRET DU 5 FEVRIER 1970 DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE par Jean-Victor LOUIS Agrégé de l’Enseignement supérieur Secrétaire de l’institut d’Etudes européennes de l’Université de Bruxelles 1. Le 5 février 1970, la Cour internationale de Justice a rejeté, par quinze voix contre une, la demande introduite par le gouvernement belge contre le gouver nement espagnol dans l’affaire de la Barcelona Traction. Le professeur Riphagen, juge ad hoc désigné par la Belgique a joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente. Huit juges, dont le président de la Cour, M. Bustamante y Rivero, ont rédigé une opinion individuelle1. Trois juges ont fait des déclarations annexées à l’arrêt. Il s’agit de MM. Petrén, Onyeama et Lachs. Ces éléments témoignent des débats auxquels a donné lieu le délibéré. 2. Depuis la date du premier arrêt (24 juillet 1964) portant sur les exceptions préliminaires, près de six ans se sont écoulés. La procédure écrite s’est achevée le l 0r juillet 1968, soit un peu moins de quatre ans après le prononcé de l’arrêt de 1964. La Cour « a constaté avec regret que les délais initialement fixés par elle 1 II s’agit en outre, de Sir Gerald Fitzmaurice, et de MM. Tanaka, Jessup, Morelli, Padilla Nervo, Gros et Ammoun. 348 JEAN-VICTOR LOUIS pour le dépôt des pièces de la procédure écrite n’avaient pas été observés et que cette procédure avait été par là considérablement allongée » 2. Elle a souligné que « pour préserver l’autorité de la justice internationale et dans l’intérêt de son bon fonctionnement, les affaires devraient être réglées sans retard injusti fié » 3. La Cour a voulu rejeter ainsi sur les gouvernements la responsabilité de la longueur des délais. On ne peut certes lui donner tort même si l’on relève, par comparaison, le temps pris par la procédure orale et par le délibéré. Les plaidoiries se sont étalées au cours de soixante-quatre audiences entre le 15 avril et le 22 juillet 1969 et le délibéré a duré six mois et demi, en ce compris les vacances d’été. Il n’est pas douteux que la longueur relative du délibéré peut s’expliquer par l’importance des problèmes en discussion et la masse des docu ments produits par les parties. Il n’ empêche que l’étalement même du dépôt des pièces de la procédure écrite et, comme nous le verrons, la décision de la Cour de limiter son arrêt à un seul point, auraient pu permettre une accélération du rythme des travaux de la Cour, dont le rôle n’était pas, d’ailleurs, bien chargé. On ne saurait cependant perdre de vue la minutie et, dès lors, la lourdeur avec lesquelles le délibéré est organisé en vue d’aboutir à une concer tation optimale des points de vue de tous les juges *. 3. Les faits de la cause sont connus de nos lecteurs 6. Ils savent que le gouver nement belge a pris fait et cause pour ses ressortissants, actionnaires de la Barcelona Traction et de ses filiales mises en faillite, par la justice espagnole, dans des conditions qu’il prétend irrégulières. Par son arrêt de 1964, la Cour avait rejeté la première et la deuxième exception portant respectivement sur la portée du désistement de la Belgique en 1961 et sur la compétence de la Cour. Elle avait joint au fond la troisième et la quatrième exception qui étaient relatives l’une au droit de la Belgique d’exercer la protection d’actionnaires d’une société étrangère, en l’espèce, cana dienne et l’ autre au défaut d’épuisement par la Barcelona des recours internes offerts par le système juridictionnel espagnol. Nous avons souligné l’importance pour le développement du droit procédural de la Cour de l’arrêt de 1964, en ce qui concerne la portée du désistement et la jonction au fond des exceptions préliminaires6. 2 C.I.J., Rec., 1970, p. 6, par. 4. 3 C.I.J., Rec., 1970, pp. 30-31, par. 27. Voy. aussi la postface de l’opinion individuelle de Sir Gerald Fitzmaurice, p. 114 et la note figurant à la fin de celle du juge Philip C. Jessup, p. 222. 4 Voy. la résolution visant la pratique interne de la Cour en matière judiciaire, adoptée le 5 juillet 1968, en vertu de l’article 30 du règlement. 6 Voy. l’arrêt du 24 juillet 1964 de la Cour internationale de Justice, cette Revue, 1965, n° 1, pp. 253 et ss. G Voy. ibid., pp. 255-261 et pp. 268-276. Voy. aussi Suy, E., « Contribution de la juris prudence internationale récente au développement du droit des gens » (II), R.B.D.I., 1966, n° 1, pp. 68 et ss., spéc. pp. 75-93. D e V is s c h e r , Ch., Aspects récents du droit procédural de la Cour internationale de Justice, Paris, 1966, spéc., pp. 87 et ss. et pp. 106-110. l ’a f f a ir e d e l a b a r c e l o n a t r a c t io n 349 L’arrêt de 1970 ne se prononce que sur le jus standi de la Belgique. Ayant conclu à l’absence du droit d’agir dans le chef de cet Etat, il a rejeté la demande. 4. Nous examinerons l’argumentation qui a conduit la Cour à refuser à la Belgique le droit d’agir contre le gouvernement espagnol en vue de la protection d’actionnaires belges d’une société canadienne et nous nous efforcerons, en outre, de dégager de l’arrêt quelques enseignements relatifs à la procédure devant la Cour. PREMIERE PARTIE LE DROIT INTERNATIONAL ET LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES A. LE RAISONNEMENT DE LA COUR 5. Une phrase résume assez bien le point de départ de l’argumentation de la Cour et en explique les limites : « La Cour a eu... à examiner une série de problèmes résultant d’une relation triangulaire entre l'Etat (Belgique) dont des ressortissants sont actionnaires d ’une société constituée conformément aux lois d’un autre Etat sur le territoire duquel elle a son siège, l’Etat (Espagne) dont les organes auraient commis contre la société des actes illicites préjudiciables tant à la société qu’à ses actionnaires et l’Etat (Canada) selon les lois duquel la société s’est constituée et sur le territoire duquel elle a son siège 7. » La question est circonscrite par la Cour au droit de la Belgique â exercer la protection diplomatique d’actionnaires belges d’une société, personne morale constituée au Canada, alors que les mesures incriminées ont été prises à l’égard non pas de ressortissants belges mais de la société elle-même. Dès lors, on conçoit l’importance attachée, dans cette optique, par la Cour au droit des sociétés auquel sont consacrés treize paragraphes de l’arrêt (pp. 33 à 37). Cela ne signifie pas que la Cour veuille « faire dépendre les règles du droit inter national de catégories du droit interne » 8. Elle s’en défend dès l’abord en précisant le sens de son examen du droit interne : « ... le droit international a dû reconnaître dans la société anonyme une institution créée par les Etats en un domaine qui relève essentiellement de leur compétence nationale. » Certes l’examen du droit interne à titre préjudiciel n’est pas en soi un phénomène 7 C.I.J., Rec., p. 31. 8 lbid., p. 33. Elle dira plus loin (p. 37) que si « elle devait se prononcer sans tenir compte des institutions de droit interne, elle s’exposerait à des graves difficultés juridiques et cela sans justification. Elle perdrait contact avec le réel, car il n’existe pas en droit international d’institutions correspondantes auxquelles la Cour pourrait faire appel. » 350 JEAN-VICTOR LOUIS nouveau. On sait qu’il en existe de nombreux exemples dans la pratique judi ciaire internationale 9. La Cour analyse la nature et l’interaction des droits de la société anonyme et des droits des actionnaires dans l’ordre interne. Elle se réfère, dira-t-elle plus loin, « à des règles généralement acceptées par les systèmes de droit interne reconnaissant la société anonyme, dont le capital est représenté par des actions... » 10. Elle décrit d’abord les traits essentiels de la société anonyme, tant au point de vue de sa situation juridique que de sa structure, par rapport aux droits des actionnaires. Elle conclut qu’e« droit interne ceux-ci ne peuvent se voir reconnaître un droit de recours que s’il est porté atteinte à l’un de leurs droits propres1 1 et non à un droit de la société ou à un simple intérêt. Or la Cour constate que le gouverneemnt belge ne fondait pas sa requête sur une atteinte à des droits propres des actionnaires. 6. Y a-t-il d’autres motifs qui permettraient de justifier la demande formulée par le gouvernement belge en faveur des actionnaires de la Barcelona Traction ? La Cour se réfère, ici aussi, au droit interne. Elle constate qu’il y a des circon stances où il est permis, en droit interne, de « lever le voile social » ou de « faire abstraction de la personnalité juridique », le plus souvent dans l’intérêt des tiers, mais exceptionnellement aussi en faveur des uploads/S4/ arret-barcelona-traction.pdf
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- Publié le Jul 23, 2022
- Catégorie Law / Droit
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