041 19.01.2010 Communiqué du Greffier Arrêt de chambre1 Muskhadzhiyeva et autre
041 19.01.2010 Communiqué du Greffier Arrêt de chambre1 Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique (requête n° 41442/07) LA DETENTION D'ENFANTS TCHETCHENES ETAIT IRREGULIERE ET LEURS CONDITIONS DE DETENTION INACCEPTABLES Violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) (deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérants) Non violation des articles 3 et 5 § 1 (première requérante) Non violation de l’article 5 § 4 (tous les requérants) de la Convention européenne des droits de l’homme. Principaux faits Les requérants, Aina Muskhadzhiyeva et ses quatre enfants, Alik, Liana, Khadizha et Louisa (sept ans, cinq ans, trois ans et demi, et sept mois à l’époque des faits), sont des ressortissants russes d’origine tchétchène, nés respectivement en 1966, 2000, 2001, 2003 et 2006 et résidant dans un camp de refugiés à Debak-Podkowa Lesna (Pologne). En fuite depuis Grozny, en Tchétchénie, ils arrivèrent en Belgique le 11 octobre 2006 et y demandèrent l’asile. Les requérants ayant séjourné auparavant en Pologne, les autorités polonaises acceptèrent de les prendre en charge, en vertu du Règlement européen du 18 février 2003 « établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre [de l’Union Européenne] responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un Etat tiers ». Les autorités belges délivrèrent donc, le 21 décembre 2006, une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire à leur encontre. L’office des étrangers convoqua les requérants - qui avaient fui leur centre d’accueil - pour leur délivrer cette décision. Le 22 décembre 2006, ils furent placés au Centre fermé « 127 bis », lieu de détention géré par l’Office des Etrangers, situé près de l’aéroport de Bruxelles et destiné à la détention d’étrangers (adultes isolés ou familles) dans l’attente de leur éloignement. Plusieurs rapports indépendants établis au cours des dernières années soulignent, entre autres, le caractère inadapté de ce centre pour l’accueil des enfants. 1 L’article 43 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. - 2 - Une demande de mise en liberté des requérants fut rejetée le 5 janvier 2007 par le tribunal de première instance de Bruxelles, puis le 23 janvier 2007 par la cour d’appel de Bruxelles. Entre ces deux décisions, l’organisation « Médecins sans frontières » avait procédé à un examen psychologique des requérants, concluant notamment que les enfants - et surtout Khadizha - montraient des symptômes psychiques et psychosomatiques graves, et que leur libération était nécessaire pour limiter les dommages. Le 24 janvier 2007 les requérants furent rapatriés en Pologne ; le même jour, ils se pourvurent en cassation. Par un arrêt du 21 mars 2007, la Cour de cassation jugea ce pourvoi sans objet, les requérants ayant été éloignés dans l’intervalle. Un rapport, établi par un psychologue en Pologne le 27 mars 2007, confirma l’état psychologique très critique de Khadizha et attesta qu’il était possible que l’aggravation de son état soit due à la détention subie en Belgique. Griefs, procédure et composition de la Cour Invoquant l’article 3, Aina Muskhadzhiyeva et ses enfants se plaignaient des conditions de leur détention au centre « 127 bis », pendant plus d’un mois. Invoquant notamment l’article 5 §§ 1 et 4, ils se plaignaient en outre de l’illégalité de leur détention et de l’inefficacité du recours en cassation à cet égard, leur éloignement étant intervenu que la Cour de cassation ne se prononce. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 18 septembre 2007. L’arrêt a été rendu dans par une chambre de sept juges composée de : Ireneu Cabral Barreto (Portugal), président, Françoise Tulkens (Belgique), Vladimiro Zagrebelsky (Italie), Danut÷ Jočien÷ (Lituanie), Dragoljub Popović (Serbie), András Sajó (Hongrie), Işıl Karakaş (Turquie), juges, ainsi que de Sally Dollé, greffière de section. Décision de la Cour Sur la violation alléguée de l’article 3 Examinant tout d’abord le sort des quatre enfants requérants, la Cour rappelle avoir déjà jugé que la détention d‘une mineure isolée dans le centre « 127 bis » était contraire à l’article 3 et que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant était déterminante et prédominait sur la qualité d’étranger en séjour illégal. Certes, dans la présente affaire les quatre enfants n’étaient pas séparés de leur mère, mais cet élément ne suffit pas à exempter les autorités de leur obligation de protéger les enfants. Or, ceux-ci, en bas-âge, ont été détenus plus d’un mois dans un centre fermé dont l’infrastructure était inadaptée à l’accueil d’enfants, comme en témoignent plusieurs rapports cités par la Cour. La Cour souligne en outre l’état de santé préoccupant des enfants, diagnostiqué par des médecins indépendants. Elle conclut que l’article 3 a été violé en ce qui concerne les quatre enfants requérants. Examinant ensuite le sort de leur mère, la Cour rappelle qu’un parent ne doit pas être considéré automatiquement comme une victime des mauvais traitements infligés à son enfant. Il peut l’être, mais uniquement s’il existe des facteurs particuliers, conférant à la souffrance du parent une dimension et un caractère distincts du désarroi affectif que l'on peut considérer comme inévitable pour les proches parents d'une personne victime de violations graves des droits de l'homme. Dans le cas d’Aina Muskhadzhiyeva, la Cour juge - 3 - déterminant qu’elle n’était pas séparée de ses enfants. La présence constante de ses enfants auprès d’elle a dû apaiser quelque peu le sentiment d’angoisse et de frustration causé par leur enfermement au centre « 127 bis », de sorte qu’il n’a pas atteint le seuil requis pour être qualifié de traitement inhumain. L’article 3 n’a donc pas été violé en ce qui concerne la mère. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 1 Les requérants se trouvaient dans une situation dans laquelle il est en principe possible, selon la Convention, de maintenir un individu en détention (celle-ci autorisant l’arrestation ou la détention « régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours »). Cela ne signifie toutefois pas pour autant que leur détention était nécessairement régulière. Dans la mesure où les quatre enfants ont été détenus dans un centre fermé conçu pour les adultes et inadapté à leur extrême vulnérabilité, et même s’ils étaient accompagnés par leur mère, la Cour estime que l’article 5 § 1 a été violé à leur égard, En revanche, la Cour n’aperçoit aucune raison pour laquelle la détention de la mère serait contraire à la Convention. Elle était régulièrement détenue en vue de son expulsion du territoire belge. A son égard, la Cour conclut à une non-violation de l’article 5 § 1. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 4 La Cour de cassation a rendu son arrêt concernant la demande de mise en liberté des requérants après leur renvoi en Pologne. Il n’en demeure pas moins qu’auparavant, deux juridictions (compétentes pour juger en fait et en droit) s’étaient prononcées à bref délai sur leur demande, alors qu’ils se trouvaient encore sur le territoire belge. Or, la Cour rappelle qu’en principe, il est même suffisant qu’un recours puisse être exercé devant un organe unique, à condition que la procédure suivie ait un caractère judiciaire et donne à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de sa privation de liberté. Dans ces conditions, aucun des requérants n’a subi de violation de l’article 5 § 4. En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue la somme globale de 17 000 euros (EUR) aux requérants, pour dommage moral. *** L’arrêt n’existe qu’en français. Ce communiqué est un document rédigé par le greffe. Il ne lie pas la Cour. Les textes des arrêts sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int). Contacts pour la presse Frédéric Dolt (tél : + 33 (0)3 90 21 53 39) ou Stefano Piedimonte (tél : + 33 (0)3 90 21 42 04) Tracey Turner-Tretz (tél : + 33 (0)3 88 41 35 30) Kristina Pencheva-Malinowski (tél : + 33 (0)3 88 41 35 70) Céline Menu-Lange (tél : + 33 (0)3 90 21 58 77) Nina Salomon (tél : + 33 (0)3 90 21 49 79) La Cour européenne des droits de l’homme a été créée uploads/S4/ arret-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-x27-homme.pdf
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- Publié le Apv 12, 2021
- Catégorie Law / Droit
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