1 Le rapport du droit international et du droit interne M. Bastien Lignereux Ma

1 Le rapport du droit international et du droit interne M. Bastien Lignereux Maître des requêtes 21 avril 2017 Bien que définie depuis 1958 par la Constitution elle‐même, l’articulation entre le droit interne et le droit international a, sous l’effet de l’emprise croissante du droit européen d’une part, et de l’introduction en 2010 du mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité de l’autre, fait l’objet, dans la jurisprudence récente du Conseil d'Etat, de plusieurs décisions qui ont contribué à préciser ses principes. I. Principes de l’articulation entre doit interne et droit international I.1. Les traités et la loi Le rapport entre les traités et la loi est réglé par l’article 55 de la Constitution, aux termes duquel : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » Cette règle pose ainsi clairement le principe de primauté des engagements internatio‐ naux par rapport à la loi1. La question du contrôle du respect de cette règle de hiérarchie des normes a toutefois fait l’objet d’évolutions. Le juge administratif s’est d’abord estimé incompétent pour contrôler la loi au re‐ gard de toute autre norme2. En effet, dans la tradition juridique issue de la Révolution française, la loi, « expression de la volonté générale » en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789, est la norme « première et inconditionnée »3, dont les juridictions doivent se borner à faire application. C’est la théorie dite de la « loi‐écran ». Ainsi le Conseil d’Etat4, tout comme la Cour de cassation5, se refusaient‐ils classiquement à examiner la compatibilité de la loi à un traité. Outre la théorie classique de la « loi‐écran », cette réticence trouvait également sa source dans l’idée qu’il appartenait au Conseil constitutionnel, et à lui seul, d’assurer le contrôle de la loi au regard des règles constitutionnelles, y compris de la règle posée à l’article 55 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a toutefois refusé, dans une importante décision de 1975 sur la loi rela‐ tive à l’interruption volontaire de grossesse, d’effectuer le contrôle de conformité de la loi aux traités, couramment dénommé « contrôle de conventionnalité », lorsqu’une loi lui est déférée avant sa promulgation6. Il juge, dans cette décision, qu’ « une loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ». 1 A cet égard, l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 est plus clair que l’article 26 de la Constitution du 27 octobre 1946, qui disposait que « Les traités diplomatiques régulièrement ratifiés et publiés ont force de loi dans le cas même où ils seraient contraires à des lois françaises, sans qu'il soit besoin pour en assurer l'appli‐ cation d'autres dispositions législatives que celles qui auraient été nécessaires pour assurer leur ratification. » 2 Cf., s’agissant de la conformité à la constitution, CE Sect. 6 novembre 1936, Arrighi. 3 Raymond Carré de Malberg, La Loi, expression de la volonté générale, 1931. 4 CE Sect. 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France. 5 Cass. Civ. 22 décembre 1931, aux conclusions Matter. 6 CC 74‐44 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse. 2 La Cour de cassation en a déduit, la même année, la compétence des juridictions judiciaires pour écarter l’application d’une loi contraire à un engagement international, même antérieur à celle‐ci7. Le Conseil d'Etat n’en a, dans un premier temps, pas tiré les mêmes conséquences8. Cette position n’était pas le fruit d’un vain nationalisme juridique, mais d’une conception stricte de sa compé‐ tence. D’ailleurs, dans ses formations consultatives, le Conseil d’Etat a toujours veillé à ce que les projets de loi respectent les engagements internationaux souscrits par la France. Dans la seconde moitié des années 1980, deux décisions du Conseil constitutionnel ont toutefois conduit le juge administratif à abandonner cette solution. D’abord, dans une décision du 3 sep‐ tembre 19869, il a indiqué « qu’il appartient aux divers organes de l’Etat de veiller à l’application des conventions internationales dans le cadre de leurs compétences respectives ». Surtout, statuant non plus en tant que juge constitutionnel des lois qui lui sont déférées, mais comme juge électoral (le contentieux des élections législatives lui est en effet attribué), il s’est reconnu compétent, dans une décision du 21 octobre 1988, pour examiner la conformité à un traité d’une loi, même plus récente que celui‐ci10. En outre, la France ayant ouvert en 1982 le droit au recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme, il devenait indispensable que le juge administratif joue un rôle de « filtre » dans le contrôle du respect de la Convention EDH par la loi française. Au terme de ces évolutions, le Conseil d'Etat s’est, par une décision d’Assemblée du contentieux du 20 octobre 1989, Nicolo, reconnu compétent pour écarter la loi contraire à un traité, même lorsque ce dernier lui est antérieur. Depuis, le contrôle dit de « conventionnalité » a connu un essor considérable et conduit à plu‐ sieurs prolongements jurisprudentiels. En 1999, le Conseil d'Etat en a déduit que le gouvernement doit refuser de prendre les mesures réglementaires d’application d’une loi contraire à une norme internationale11. En 2007, il a jugé que la responsabilité de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conven‐ tions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résul‐ tent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France12. Dans ce cadre, le juge administratif accorde une indemnisation intégrale du préjudice subi, alors que, jusqu’alors, la responsabilité de l’Etat du fait des lois ne pouvait être engagée que lorsque le préjudice revêt un caractère grave et spécial, dans la logique de la responsabilité sans faute. Enfin, le juge des référés, qui statue en urgence, se prononce sur l’incompatibilité des dispositions législatives avec le droit international, en cas de méconnaissance manifeste des exigences qui en découlent13. En revanche, le juge administratif n’exerce pas de contrôle du respect par la loi de la coutume internationale14 ni des principes généraux du droit international15 puisque l’article 55 de la Consti‐ tution ne mentionne que les « traités ou accords » conclus par la France. 7 Cass. Ch. Mixte, 24 mai 1975, Administration des douanes et Sté des cafés Jacques Vabre. 8 CE Ass. 22 octobre 1979, Union Démocratique du Travail. 9 CC 86‐216 DC du 3 septembre 1986, Loi relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. 10 CC 21 octobre 1988, Elections dans la 5e circonscription du Val d’Oise. 11 CE 24 février 1999, Association des patients de la médecine d’orientation anthroposophique. 12 CE Ass. 8 février 2007, Gardedieu. 13 Cf., pour le droit de l’Union européenne, JRCE 16 juin 2010, Diakité puis, pour le droit international en gé‐ néral, CE Ass. 31 mai 2016, Gonzalez Gomez. 14 CE Ass. 6 juin 1997, Aquarone. 15 CE 28 juillet 2000, Paulin. 3 I.2. Les traités et la Constitution L’articulation entre les engagements internationaux et la Constitution est plus complexe. La Constitution du 4 octobre 1958 a prévu que les éventuels conflits de norme soient réglés avant la ratification ou l’approbation du traité. Son article 54 dispose ainsi que « Si le Conseil constitu‐ tionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement inter‐ national comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution. » Si le Conseil constitutionnel, saisi sur ce fondement, a déclaré un traité contraire à la Constitution, l’Etat a donc le choix entre procéder à une révision de la Constitution ou abandonner le processus de ratification16. Il en va de même lorsque le Conseil constitutionnel, saisi d’une loi autorisant la ratification d’un traité préalablement à sa promulgation, juge ce dernier contraire à la Constitu‐ tion17. Néanmoins, la saisine du Conseil constitutionnel préalablement à la ratification ou à l’approbation d’une convention internationale est relativement rare en pratique, si bien que les conflits de normes entre traités et Constitution ne sont pas tous purgés avant que les premiers n’entrent dans l’ordonnancement juridique interne, loin de là. Dans ces cas, il est donc revenu aux juridic‐ tions administratives et judiciaires de se prononcer sur leur articulation. Tout d’abord, le juge administratif tente de prévenir ces conflits de normes par la technique de l’interprétation conforme : dans une décision de 199618, le Conseil d'Etat se livre ainsi à une inter‐ prétation d’un accord franco‐malien d’extradition à la lumière du principe constitutionnel selon lequel l'Etat doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but poli‐ tique. Cet exercice peut conduire à une interprétation constructive du traité : en l’espèce, alors que l’accord ne prévoyait la possibilité pour uploads/S4/ b-lignereux-droit-international-et-droit-interne.pdf

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  • Publié le Oct 31, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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