Blasphème et Islam « The strange thing about laws against apostasy and blasphem

Blasphème et Islam « The strange thing about laws against apostasy and blasphemy is that most of the people who fall foul of them are neither apostates nor intentional blasphemers. In practice these laws have very little to do with theology and are mostly used as a pretext for settling political scores or pursuing personal grudges. »1 Au lendemain du massacre de Paris, il n’est pas facile d’écrire sur la question du blasphème, ni d’ailleurs d’écrire tout court. Au moment où je m’y risque, je constate d’abord, bien que je n’en trouve encore aucune trace sur le web, que la punition de la France pour blasphème est bien présente dans l’incroyable communiqué audio de Fabien Clain (accompagné d’un tout aussi incroyable nashreen djihadiste) revendiquant l’attentat : « la France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir qu’ils restent les principales cibles de l’État Islamique et qu’ils continueront à sentir l’odeur de la mort pour avoir pris la tête de la croisade, avoir osé insulter notre Prophète, s’être vantés de combattre l’islam en France et frapper les musulmans en terre du Califat avec leurs avions qui ne leur ont profité en rien dans les rues malodorantes de Paris ». L’insulte au prophète est considérée en Islam, lit-on partout, comme le blasphème par excellence. Pourtant le terme n’est pas explicitement utilisé dans le communiqué, il aurait sans aucun doute pu l’être dans ce contexte rhétorique (et linguistique, son auteur étant francophone). Cela doit être relevé, car nous verrons quelles questions pose l’usage, désormais systématique, de ce terme issu du grec (βλασφημία / blasphêmía), qui a tant prospéré dans l’histoire de l’Occident chrétien, ne correspond à aucun terme précis en arabe. Par contre il est le mot que l’on trouve dans certaines réactions de Musulmans sur internet pour dénoncer les actes et les propres des terroristes de Paris. On l’a surtout entendu dans la bouche du pape François : « Je veux réaffirmer avec force que la voie de la violence et de la haine ne résout pas les problèmes de l'humanité et qu’utiliser le nom de Dieu pour justifier cette voix est un blasphème ! »2. Il s’agit d’une réaffirmation parce qu’en 2013 déjà, le pontife avait déclaré que « dire que l’on peut tuer au nom de Dieu est un blasphème »3. Cet usage du mot est un signe majeur de son grand retour : le pape ne fait que l’approprier à son propre discours, ici d’opposition aux violences religieuses, parce que, justement, ceux qui les perpètrent invoquent le blasphème comme motif ou du moins comme 1 Brian Whitaker, « The Apostasy Game », 30/ 12/ 2014 http://www.al-bab.com/blog/2014/december/mauritania-apostasy-game.htm#sthash.fm68de9Q.dpuf 2 Déclaration du 15 novembre 2015 à Rome. 3 Méditation matinale en la chapelle de la maison Sainte-Marthe, du Mercredi 22 mai 2013. L'Osservatore Romano, édition hebdomadaire n° 22 du 30 mai 2013. prétexte. Cela fut le cas durant de longs siècles dans les contrée chrétiennes, mais semblait depuis longtemps révolu4, jusqu’à ce qu’éclate l’affaire Rushdie, au moment de la parution des Versets sataniques, à la fin de 1988 et surtout à partir du 14 février 1989, où le mot de blasphème fut avancé pour justifier la fatwa de mort lancée par l’ayatollah Khomeiny5. Mais le doux François est aussi le premier à affirmer que la liberté d’expression ne donne pas le droit « d’insulter la foi d’autrui ». « On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse au lendemain des assassinats des journalistes de Charlie Hebdo : « Si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal »6. Là, le mot n’est pas prononcé, et à dessein, car l’accent n’est pas mis sur l’insulte faite à Dieu mais sur l’insulte à la foi d’autrui, qui est un glissement sémantique majeur de la manière dont le blasphème est appréhendé aujourd’hui : il est assimilé à une insulte pure et simple faite à autrui en tant que croyant. Mais, même si le pape, dans ce cas, ne dit pas le mot, celui-ci est sous-entendu, comme devant si possible ne pas être dit7. C’est là aussi une tendance lourde qui accompagne le retour du blasphème, le mot est asséné lorsqu’il s’agit d’impressionner, d’intimider, de menacer, de tempêter (et aussi de dénoncer les atteintes à la liberté d’expression perpétrées au nom de la religion et par le piège tendu du défi, aussi, de la revendication à un prétendu droit8), mais il est tu, tenu à l’écart (tout en étant sous-entendu) lorsqu’il s’agit à la fois de convaincre de grands auditoires peu enclins à utiliser un mot associé par beaucoup, du moins dans les pays occidentaux, à l’image fort imprécise mais très négative des violences religieuses d’un temps révolu et de faire « avancer » les législations nationales et internationales dans la sanction de ce que l’on préférera nommer insulte à la foi d’autrui ou agressions à l’égard de la sensibilité des croyants, diffamation ou discours de haine contre la religion. Mais tous savent que ces expressions sont des euphémismes et qu’elles sous-entendent le vieux mot grec qui fait peur, et que l’on utilise quand l’on veut faire peur, parce qu’il a servi à criminaliser dans l’histoire un peu tout et n’importe quoi et sert aujourd’hui, surtout dans sa forme anglo-saxonne (blasphemy) à traduire, en particulier de 4 « semblait » est le terme qui convient, car il faudrait examiner les choses de près, à la fois pour les pays de culture chrétienne et ceux de culture musulmane. 5 Le terme ne figurait pas dans les traductions de la fatwa, mais on le trouve dans celles des déclarations de l’ayatollah le 23 février à la radio nationale iranienne (« Dieu a voulu que le livre blasphématoire des Versets sataniques soit publié aujourd’hui »). Il faut souligner qu’il s’agit bien de choix de traduction (nous ignorons quels étaient les termes en persan). 6 15 Janv. 2015 7 Lorsqu’il était encore le cardinal Bergoglio, en 2004, il avait qualifié la rétrospective de l’artiste Leon Ferrari de « blasphème en train d’être perpétré ». 8 Voir infra. l’arabe du droit coranique – car le grand retour du blasphème s’est fait par l’islam (ou plutôt par les islams) – une série de concepts souvent étrangers à ce que l’on nommait ainsi dans les cultures chrétiennes. L’une de mes hypothèses de travail (qui risque bien de passer elle-même pour un blasphème !), étant que la notion chrétienne a phagocyté les cultures d’islam par l’imposition du même mot à des actes autrefois relevant de catégories distinctes et qu’en retour le sens du mot s’est transformé du fait des apports de l’islam en même temps que des transformations culturelles de la modernité occidentale. C’est peut-être pourquoi il s’agit aujourd’hui plus que jamais (car elle l’a en fait toujours été) d’une notion instable, contrastée, voire contradictoire. Si les usages, mésusages et non-usages m’ont autant intéressé dans le monde contemporain, alors que je suis censé être un historien moderniste, c’est que ce mot est devenu le lieu d’un conflit d’acceptabilité au cœur des échanges et conflits politiques et culturels contemporains. Car le mot de blasphème dit, affirme, crée l’inacceptable par rapport au religieux, mais l’acceptabilité de cet usage reste en question, même si, à travers la stupide revendication du « droit au blasphème » de nombreux partisans de la liberté d’expression, contribuent puissamment, en fait, à sa banalisation et à sa normalisation (son acceptabilité) ; ils contribuent à rendre acceptable le fait que l’on utilise ce terme qui n’avait plus d’autre légitimité que dans le lexique de la théologie morale, pour désigner des énoncés et d’autres types d’actions dans le discours public et le langage courant, rendant ainsi disponible son usage direct ou indirect à nouveau disponible dans le domaine éthique et, finalement, juridique. Ce sont en fait ces notions d’acceptable et d’inacceptable qui m’avaient conduit à m’arrêter sur le blasphème comme désignant des actes absolument inacceptables parce que portant atteinte au sacré, parce qu’il est et une catégorie qui du fait de sa très forte charge accusatrice, et même de criminalisation spontanée, était disponible pour toutes sortes de manipulations politiques, juridiques et religieuses. Le blasphème a pu recouvrir et soumettre au même type de sanctions, les plus graves qui soient, des actes de parole surtout (et en fait bien d’autres formes d’action) relevant de l’hérésie ou de l’incrédulité, mais aussi de l’insoumission politique, ou simplement de la déviance morale (pratique du jurement, etc.). C’est pourquoi, du fait même d’un déficit entretenu de définition juridico-politique (et à la fois d’un trop plein de définitions théologico-morales), il fut un outil, une arme importante, plurifonctionnelle, dans la construction de la souveraineté des États chrétiens modernes9 Mon 9 Biblio. approche, en la matière, loin d’être originale, est en tout cas, on le voit, on ne peu moins essentialiste : il n’y a pas de blasphème en soi, mais ce qui est dénoncé (et éventuellement revendiqué) comme tel, le uploads/S4/ blaspheme-islam.pdf

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  • Publié le Jui 28, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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